Une tribune pour les luttes

OWNI

Un flic pourfend le système

par Jean-Marc Manach et Guillaume Dasquié
+ « Il faut soutenir le policier Pichon, courageux lanceur d’alerte »
Verdict du procès : "La mise au pilori" (et à la porte !) du commandant Pichon

Article mis en ligne le vendredi 16 décembre 2011

La mise au pilori du commandant Pichon

http://blogs.mediapart.fr/edition/l...

15 Décembre 2011

Les usages policiers abusifs du fichier STIC n’avaient pas à être dénoncés par un fonctionnaire de police, a estimé le tribunal administratif de Melun, qui a rejeté trois des quatre requêtes du policier, mis en retraite d’office. Décryptage, par Virginie Gautron, juriste (Nantes), et Frédéric Ocqueteau, sociologue (CNRS-Cesdip).


Passé le choc du jugement du tribunal administratif de Melun en date du 8 décembre dernier, qui a rejeté trois des quatre requêtes en annulation pour excès de pouvoir introduites par le commandant Pichon contre le ministère de l’intérieur, une nouvelle réflexion s’impose désormais à tous les défenseurs des libertés publiques préoccupés par la menace constituée par les usages liberticides du fichier STIC.

S’agissant d’abord de la situation matérielle du commandant Pichon, 42 ans, elle est hélas très claire. Le 9 décembre à 11h25, le jugement, transmis à son conseil par télécopie valant signification, est devenu immédiatement exécutoire. Philippe Pichon est (mis) à la retraite d’office des cadres de la police nationale. Il ne pourra toucher sa maigre pension de l’État (1025 euros) que dans treize ans seulement, après avoir, durant vingt et un ans, rendu de bons et loyaux services à ses concitoyens. Deux hypothèses s’ouvraient à lui en appel. Ayant refusé de s’adresser directement à la CEDH, recours qui eut été possible et a priori d’issue plus favorable à sa cause, quoique de cheminement beaucoup plus long, il a préféré interjeter appel devant la cour administrative d’appel de Paris. Cette voie, en principe moins longue, reste cependant d’une issue plus incertaine, notamment quant à une requête accessoire également introduite pour obtenir un sursis à exécution. Quoiqu’il en soit, l’appel n’étant pas suspensif, vient à l’évidence de s’engager une nouvelle guerre d’usure dont le ministère de l’intérieur entend bien tirer profit. Comme c’est très souvent le cas, il espère la capitulation du commandant (honoraire) à brève échéance, sachant inévitable son étranglement financier. Ce qui, n’en déplaise aux juristes administrativistes vivant souvent dans le monde confortable du papier déréalisé, constitue à nos yeux, la première des violences de l’Etat à l’égard d’un adversaire courageux désormais tombé à terre.

Et c’est la deuxième leçon à tirer de ce jugement : il a fallu 45 jours au triunal administratif de Melun pour suivre presque aveuglément les réquisitions du rapporteur public énoncées le 20 octobre 2011. Cette juridiction n’a en effet rien trouvé à redire, en dehors d’un simple copier-coller, aux très faibles argumentations du gouvernement sur l’obligation de réserve et de loyauté du fonctionnaire justifiant le prononcé de la sanction maximale, alors que sa carrière fut reconnue exemplaire et surtout, qu’une ordonnance de référé du même tribunal, après avoir admis le doute sur la légalité de la sanction en raison d’une disproportion manifeste, avait ordonné deux ans auparavant, sa réintégration dans son service. Inutile d’épiloguer sur les raisons de ce spectaculaire revirement de position, qui en dit assez long sur les marges de manœuvre d’un tribunal de première instance pris dans l’étau des rapports de force politiques du moment.

Mais ne l’accablons pas, bien au contraire, car il faut lui reconnaître un grand mérite, celui d’avoir osé donner tort au ministère de l’intérieur, en démontrant le caractère illégal de la sanction disciplinaire de la mutation de Pichon de Coulommiers à Meaux en mai 2008. Celle-ci était liée, on s’en souvient, à l’incompatibilité d’humeur avec son chef de service née de leur différend au sujet d’une étude qui aurait comporté des critiques excessives sur la CSP que ce dernier dirigeait. Le tribunal décide en effet (p. 12) : « La mesure litigieuse ne saurait être regardée comme ayant été prise dans le seul intérêt du service (...) ; procédure irrégulière, cette décision, constitutive d’une sanction disciplinaire déguisée, est entachée d’illégalité. » Et condamne l’État à 1 500 euros de dommages.

Concentrons maintenant l’attention sur la petite audace dont a su faire preuve le tribunal en argumentant sur les autres origines de ce différend. Elle conduit à se demander s’il n’y aurait pas là matière à forcer la cour administrative d’appel à fixer une nouvelle jurisprudence sur le sort du lanceur d’alerte en interne, et c’est l’espoir auquel nous nous accrochons. En effet, quatre considérants doivent être très attentivement médités.

En premier lieu, Philippe Pichon n’aurait pas été un authentique lanceur d’alerte, au sens de l’article 10 de la CEDH, « puisque », d’après le tribunal, « il aurait fallu que l’agent concerné fut seul à savoir, ou faire partie d’un petit groupe dont les membres auraient été les seuls à savoir, ce qui se passait sur son lieu de travail et serait donc le mieux placé pour agir dans l’intérêt général en avertissant son employeur ou l’opinion publique ». Et pourtant, tous ses efforts réels pour alerter sa hiérarchie depuis février 2007 sur les dérives du STIC authentifiées par les actes sont restés vains. Et c’est bien la raison pour laquelle, en désespoir de cause, par un geste citoyen transgressif, il décida d’alerter l’opinion publique en divulguant à la presse les deux fameuses fiches Stic, objet du scandale. Chacun sait qu’une motivation vénale n’a jamais été au rendez-vous, qui justifie le plus souvent la mise en quarantaine la plus énergique de la brebis galeuse hors de l’appareil, c’est-à-dire la révocation. Imaginons deux secondes le tribunal correctionnel du TGI de Paris se prononcer ultérieurement sur l’inexistence de cette motivation lors de son examen du « délit de violation de secret professionnel », après avoir appelé à la barre les témoins à décharge au sujet des différends de Pichon avec ses supérieurs hiérarchiques... Si le tribunal correctionnel venait à blanchir Pichon, la situation serait à vrai dire bouffonne et ubuesque, on en conviendra, alors qu’elle est devenue pour lui tragique.

D’autant plus que, s’agissant de sa lutte interne contre les usages du fichier STIC, le tribunal administratif observe encore : « Il est constant que le fichier STIC, qui concerne environ la moitié de la population française, comporte un nombre d’erreurs d’autant moins acceptables qu’elles sont susceptibles d’entrainer de graves conséquences pour les personnes concernées, au risque d’attenter aux libertés fondamentales... ». Si ce n’était pas là donner raison au combat du commandant Pichon et de quelques autres, nous en perdrions notre latin (nos humanités). Mais ce n’est hélas pas des seules fiches de deux « people » (Halliday, Debbouze), de candidats aux élections d’opposants au pouvoir en place (A. Soumaré) ou de quelque journaliste du Monde (J. Follorou) dont il est question ici. Il est question des millions de Français moyens suspectés comme vous et nous, qui de victimes se trouvent parfois étrangement transformés en dangereux délinquants, sur les fiches desquels des enquêtes de moralité sont susceptibles de les priver d’emploi, parce qu’elles les présument, souvent à leur insu, et à tort, défavorablement connus des services de police... Rappelons aux citoyens qui s’estimeraient non concernés, que plus d’un million d’emplois peuvent donner lieu à ce type d’enquête. Plus de 100 000 sont réalisées chaque année, occasionnant régulièrement des licenciements ou des refus d’embauche injustifiés (Rapports de la CNIL, 2005 et 2009).

Et le tribunal d’ajouter encore ceci : « ...et que l’administration s’est affranchie depuis de nombreuses années des règles de gestion de ce fichier, notamment celles relatives à l’effacement des données, ceci sans qu’aucune mesure ne soit prise par les autorités concernées. » Insistons sur le verbe non utilisé par hasard, qui reconnait indirectement la justesse de l’alerte de Pichon. Pichon s’est affranchi de son devoir de réserve, après avoir prêché dans le désert, parce que « l’administration » s’est affranchie depuis des lustres de son devoir de respecter les règles de gestion gouvernant le fichier STIC. Il n’eut de cesse de démontrer que les détestables coutumes policières devaient être énergiquement combattues par un vrai contrôle hiérarchique, de vrais contrôles extérieurs, une vraie clarification de la licéité de ce fichier. Souvenons-nous qu’il chercha, en vain, l’outrecuidant, à en démontrer le caractère illégal, en posant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) hélas rejetée par le tribunal administratif ... bien qu’admise par le juge d’instruction !

Las, le tribunal prend tout à coup ses distances, comme s’il avait eu un remords de dernière minute face à ses quelques audaces préalables. Le voilà qui se livre maintenant à une reconstitution totalement fantaisiste du fil réel des événements : « et il était tout aussi constant que ces dysfonctionnements étaient, à la date des faits reprochés, connus d’un nombre important de personnes et étaient d’ailleurs, l’objet d’un contrôle de la CNIL, laquelle a remis un rapport au premier ministre le 20 janvier 2009. »

On se demande bien quelles personnes au parfum sont visées par le tribunal, qui auraient été suffisamment au fait des lentes procédures d’accès indirect à leur fiche (entre douze et dix-huit mois d’attente, malgré un délai légal de six mois) et fort soucieuses de vouloir apurer le contenu de la leur propre, pour ne pas se soucier du sort de l’ensemble des autres. Puisque ce ne sont apparemment pas les célébrités du show business, doit-on en déduire une allusion aux hommes politiques, aux avocats, aux juges, aux universitaires en général, bref à cette minorité de citoyens juridiquement mieux éclairés que la plupart ? Mais pourquoi pas à tous les « Français moyens », censés ne pas ignorer la Loi qui protège leur innocence plutôt que leur culpabilité a priori ? Pourquoi pas à tous les « Français moyens » qui pour ne pas ignorer la Loi, devraient plutôt douter de la pureté des intentions policières à leur sujet ? Un tribunal peut-il décemment écrire de ce prétendu nombre important de personnes qu’elles avaient réellement conscience des risques générés par la gestion calamiteuse du fichier STIC, sans les prendre pour des demeurés ? D’autant qu’il est plutôt question d’endormir leur vigilance, avec l’appui du groupe de contrôle (ou de légitimation) des fichiers policiers présidé par l’omniprésent Alain Bauer. Dans son rapport de 2008, ce groupe n’est-il pas allé jusqu’à proposer une « une campagne d’information pédagogique » vantant les atouts des fichiers pour « renforcer l’acceptabilité des fichiers au sein de la population », lui démontrer l’existence de « garanties offertes pour la protection des libertés » et pour « lutter contre les idées fausses » !!! (Rapport, 2008, p. 126).

Des entretiens récents auprès de magistrats nous amènent à considérer que nombre de ces spécialistes du droit sont encore loin de se représenter le problème du fichier STIC dans ses justes proportions délétères, sous information qui, au reste, n’est pas vraiment à leur honneur. N’ayons pas la cruauté de rappeler à ce nombre important de personnes, -simples citoyens dont font eux-mêmes partie les juges du tribunal de Melun-, la destination judiciaire réelle de la plupart des fiches non expurgées extraites du fichier STIC. L’accélération des procédures censées évacuer rapidement les contentieux de masse, les usages de stupéfiants par exemple, ont aggravé les effets pervers du fichage à ce sujet. Il est aujourd’hui démontré que les fiches (non expurgées du STIC) influent directement sur l’orientation des procédures judiciaires par les parquets dans le cadre du Traitement en Temps Réel (TTR). Sans la moindre base légale, on les retrouve ensuite dans certains dossiers pénaux, alors que les présumés coupables déférés ont été antérieurement mis hors de cause par d’autres magistrats pour absence de charges suffisantes. De façon plus problématique encore, elles constituent désormais le principal critère de poursuite dans le cadre des directives permanentes adressées par certains procureurs aux OPJ, ces derniers étant alors chargés d’orienter eux-mêmes les affaires, sous prétexte d’éviter un afflux d’appels ingérable au parquet. Or, si d’après le tribunal administratif, un nombre important de personnes en est au courant, doit-on en déduire au risque de la diffamation, que la magistrature du parquet, gardienne des libertés fondamentales, serait devenue la première des complices d’un système à ce point perverti ?

Enfin, ultime argument sur le prétendu contrôle de la CNIL. Cette autorité administrative indépendante, dont le contrôle a priori se limite à des recommandations, en l’absence de tout pouvoir de sanction, a vu ses prérogatives restreintes en 2004. Son avis n’a plus à être favorable et les délais qui lui sont accordés pour se prononcer ont été réduits à deux mois. Alors que cet avis est réputé favorable lorsqu’il n’est pas rendu dans les délais impartis, son manque de moyens l’empêche parfois de se prononcer dans les temps, comme ce fut le cas en 2006 pour le fichier d’éloignement des étrangers (ELOI). Malgré son accablant rapport de 2009, évoqué par le tribunal administratif, l’absence d’empressement du gouvernement à ordonner l’apurement du STIC s’explique. Le dernier rapport de la CNIL sur l’année 2010 vient d’ailleurs de montrer que les taux d’erreurs sur les fiches persistaient à une hauteur de 79%. Or, ce rapport n’avait fait que consolider la thèse de Ph. Pichon, puisqu’il est désormais prouvé que ses alertes internes avaient largement précédé les notes de service du ministère de l’intérieur enjoignant tous les commissariats à se mettre au clair avec le fichier STIC, avant que ne débarquent les enquêteurs de la CNIL.

Ajoutons que le rapport sévère des députés Batho et Bénisti de 2009 n’a hélas rien changé à cette situation alarmante dénoncée par la CNIL, comme l’ont bien montré les dispositions initialement contenues dans le projet de loi de simplification du droit, finalement abandonnées !... Si la LOPPSI 2 (art. 11 et s.) renforce en apparence les dispositifs de contrôle et d’apurement, il faudra plusieurs décennies, sinon plusieurs siècles, pour que l’unique magistrat référent désormais chargé d’assurer la mise à jour des fichiers épuise le stock des enregistrements inexacts ou incomplets (plus d’un million de fiches).

Le petit tribunal administratif de Melun, alors qu’il aurait pu faire montre d’un peu plus d’audace, a véritablement manqué de courage. Il s’est in fine enferré dans des arguments bien spécieux. N’ayant pas osé discuter la jurisprudence abondante et très nuancée qui lui fut servie sur le devoir de réserve des fonctionnaires, il s’est contenté de suivre les réquisitions du gouvernement, en rejetant trois requêtes en annulation. Ce faisant, il a hélas pris le risque d’adresser un message inacceptable à l’ensemble des OPJ et des parquetiers couvrant aujourd’hui leur travail, dans un moment où 127 d’entre eux s’indignent que leur image soit gravement altérée auprès de leurs concitoyens les soupçonnant de dépendance à l’égard du pouvoir exécutif !

En réalité, il est clair que personne en France ne veut vraiment savoir au prix de quelles turpitudes dépend l’efficacité procédurière aux chiffres au sein de la machine pénale, vu que tous ceux qui sont censés en connaître de très près, se désintéressent du sort réel des fiches navette de retour, quand, dans le meilleur des cas, les parquets auraient ordonné l’apurement des fiches Stic au sein des services de police. Rappelons qu’en 2007, seuls 21,5% des classements pour insuffisance de charges ou infraction mal caractérisée, 0,5 % des décisions de non-lieu, 6,9 % des acquittements et 31,2 % des relaxes ont été transmis aux services de police pour rectification en 2007 (CNIL, 2009, p. 17 et s.). Quand bien même cette transmission serait effective, les parquets qui se voudraient vigilants n’ont pas les moyens de vérifier si leurs demandes de rectification sont exécutées, faute de terminaux d’accès au STIC, accès pourtant expressément prévu par la loi du 18 mars 2003. Or d’après le rapport des députés Batho et Bénisti, il n’est pas rare que la police ne s’exécute pas (Rapport 2009, p. 136).

Voilà le contexte dans lequel situer la mise au pilori du commandant Pichon. Tout le monde y a une part de responsabilité, mais personne ne voudra en convenir en particulier. En dépit de la gestion scandaleuse du fichier Stic, en dépit du « caractère illégal des actes auxquels M. Pichon fut confronté » à Coulommiers, en dépit « des graves déficiences dans la manière de servir des supérieurs hiérarchiques directs », comme l’admet le tribunal, en dépit de la saisine classée sans suite pour alerter le procureur de la République de Meaux en vue de l’intéresser aux dysfonctionnements des usages de ce fichier par le biais de l’article 40 du CCP, en dépit du fait que tout le monde savait... le devoir du commandant Pichon était néanmoins de se taire, sans quoi il aurait à en payer le prix fort. Nous y sommes.

Pour la justice administrative de Melun, un bon policier doit toujours se taire ; il n’a pas à exposer ses états d’âme consciencieuse aux citoyens, car un bon fonctionnaire de police ne sert pas les intérêts des citoyens libres. Il sert d’abord les intérêts des maîtres de la machine policière, et accessoirement de la machine judiciaire. Puisqu’il avait été dûment mis en garde de devoir se taire au prix de menaces et de harcèlements constants, puisqu’il avait été puni par deux fois de manière humiliante et disproportionnée sur le plan disciplinaire, toutes ces cérémonies de dégradations successives qu’il dut affronter devaient compter pour rien. Puisque le commandant Pichon savait les « risques qu’il prenait en adoptant le comportement qui a finalement fait l’objet de la sanction litigieuse », il devait en assumer seul les conséquences.

Voilà ce qu’est devenue la démocratie transparente d’aujourd’hui, ravagée par le sécuritarisme bafouant chaque jour un peu plus ce qu’il reste de nos libertés. Avec ou sans Philippe Pichon, nous autres, les citoyens moyens, nous ne nous résoudrons jamais à cette caricature de démocratie. Jamais.


Le commandant Philippe Pichon ne pourra pas réintégrer la police. Curieusement, il l’a appris 48 heures avant le délibéré du tribunal administratif..

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On enterre bien les flics récalcitrants, et même avant l’heure : le commandant Philippe Pichon a appris avec 48 heures d’avance que le tribunal administratif de Melun confirmait sa mise à la retraite d’office à l’âge de 39 ans. Après une séance houleuse le 20 octobre dernier, plus d’une heure et demi de débats au cours desquels l’avocat du policier, William Bourdon, avait malmené la représentante des services juridiques du ministère de l’Intérieur, Pascale Léglise, les juges avaient annoncé qu’ils délibéreraient le 25 novembre. Par la bouche de plusieurs représentants du syndicat national des officiers de police, le récalcitrant a appris, deux jours plus tôt, que les jeux étaient faits.

«  C’est une décision politique », a-t-on clairement fait savoir à celui qui a le double tort d’avoir dénoncé le fichier STIC en donnant à la presse les fiches de quelques célébrités et d’en avoir fait un livre. «  Tu es allé trop loin contre le président », ont ajouté ces porteurs de message, allusion au fait que le fonctionnaire avait clairement ciblé Nicolas Sarkozy à plusieurs reprises.
De la Place Beauvau à Matignon, tout le monde connaissait donc la teneur de la décision du tribunal administratif… avant même qu’il ne se prononce. Trop fort. Tellement fort que le défenseur du policier s’apprêtait, le 24 novembre au soir, à écrire une lettre au président du tribunal pour lui faire part de ses réserves face à cette « atteinte à la procédure ».

Une situation inédite, selon William Bourdon, qui trouve « ahurissant » et « inquiétant » le seul fait d’imaginer qu’il puisse y avoir un canal d’information entre le tribunal et le ministère. (...)


« Il faut soutenir le policier Pichon, courageux lanceur d’alerte »

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24 novembre 2011

Le commandant Pichon, victime du STIC
« Il faut soutenir le policier Pichon, courageux lanceur d’alerte »

Philippe Pichon, policier atypique, est menacé de révocation. Le Syndicat de la magistrature a dénoncé « l’acharnement du ministère de l’intérieur contre le policier », en vif conflit avec sa hiérarchie et mis en examen pour avoir divulgué les fiches de police de deux personnalités. « Quand un policier parle aujourd’hui de manière critique de son institution, on le bâillonne », a observé Mathieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat.

Le commandant Pichon a été renvoyé devant un tribunal correctionnel, dont l’audience est prévue en 2012, après avoir été été mis en examen pour « détournement de données confidentielles » contenues dans le Système de traitement des infractions constatées (Stic) et « violation du secret professionnel ». Il lui était reproché d’avoir rendues publiques et consulté les fiches de Jamel Debbouze et Johnny Hallyday.

Le policier a reconnu les faits, arguant d’un « geste citoyen » afin de dénoncer un fichier controversé. En mars 2009, il a été mis à la retraite d’office mais a déposé un référé devant le tribunal administratif pour contester cette décision. Le tribunal administratif de Melun a ordonné la suspension de la décision et réintégré Philippe Pichon, en le suspendant de ses fonctions. Il a demandé sa réintégration, le commissaire du gouvernement s’y est opposé, la décision sera rendue demain, vendredi 25 novembre. Le syndicat de la magistrature se dit «  choqué » que cette décision soit rendue avant celle qui sera rendue au pénal.

Par Frédéric Ocqueteau, sociologue, directeur de recherche au CNRS (CESDIP) et Virginie Gautron, juriste, maître de conférences en droit pénal et sciences criminelles (Université de Nantes).

« Le Système de Traitement des Infractions Constatées, le fameux fichier STIC agonise tandis qu’un nouveau fichier, celui du Traitement Judiciaire des Infractions devrait progressivement le remplacer. La mise en cause du liberticide fichier Stic aura été paradoxalement accélérée par une conscience vigilante appartenant à notre police, celle du commandant Philippe Pichon.

Dès 2008, en effet, cet officier s’est rendu célèbre pour avoir révélé à la presse les dangers de ce fichier, en divulguant sciemment deux fiches non expurgées retraçant les accrocs de l’itinéraire de deux personnalités du show business. L’alerte en direction des medias qui valut à son auteur mise en examen et de nombreux déboires disciplinaires depuis lors était pourtant remarquablement fondée, puisque son geste citoyen fut largement corroboré par l’accablant rapport de la CNIL du 20 janvier 2009. Rappelons qu’aux termes d’une enquête difficile, la Commission avait pointé les dangers et les dérives du fichier STIC, parmi les victimes et mis en cause nominatifs. Et cela, tant dans son évaluation des conditions d’alimentation ubuesque de l’information entrante, que de ses déplorables mises à jour et consultations policières sauvages : le fichier STIC n’était pratiquement jamais purgé des éléments de toutes sortes qui n’avaient point à y figurer. 2500 vérifications effectuées par la CNIL durant l’année 2010 ont montré que, depuis lors, la situation ne s’est hélas guère améliorée puisque 21% seulement des fiches STIC seraient exactes (Rapport CNIL, 2011, p. 15).

Quand on se penche de près sur les raisons de cette situation alarmante, aucun des arguments mobilisés par les différents échelons de la hiérarchie policière pour défendre l’honorabilité de cet indigne fichier n’emporte la conviction du citoyen. En effet, s’il n’était qu’un outil reflétant le travail mené par les services répressifs français, comme l’a soutenu le DGPN Frédéric Péchenard, on devrait à bon droit se poser des questions sur la qualité générale de leur travail.


Prothèse au flair policier

S’il n’était qu’un simple outil parmi d’autres pour enrichir le bon discernement du corps d’encadrement tenu d’augmenter le taux des élucidations avec les différentes sources de renseignement dont il dispose (comme l’affirma un commissaire syndicaliste), rien ne garantirait pour autant que cette qualité de discernement soit de mise parmi les échelons subordonnés préparant en réalité leurs décisions. S’il était un outil de prévention de la récidive légale, nul ne verrait vraiment pourquoi le casier judiciaire de Nantes (CJN) n’y suffirait point, le CJN étant un instrument beaucoup plus fiable et infiniment mieux contrôlé par les juges. Si enfin, il n’était qu’une prothèse au « flair du policier » dans la recherche de la vérité à l’égard d’un suspect, alors il faudrait admettre que sa véritable finalité serait de servir les traditionnelles techniques de pression à l’obtention des aveux, à une époque où l’on ne cesse pourtant de marteler que les progrès spectaculaires de la police scientifique et technique les auraient rendues totalement caduques.

En réalité, ce sont là de bien piètres arguments de justifications corporatistes. Or, à propos de cet outil, ce qui bien plus avéré, ce sont les tentations permanentes de détournements de ces douteuses finalités à d’autres fins. Et elles ne sont hélas pas à l’honneur de ceux qui les pratiquent. Sans évoquer le potentiel de corruption par vente sauvage de fiches par vénalité ou monnaie d’échange (tricoche), ni même les pratiques classiques de fichage des « opposants » de toutes sortes au pouvoir en place qui n’ont jamais disparu –qu’il soit de droite ou de gauche ne change au demeurant rien à l’affaire-, il faut surtout comprendre autre chose. Ce fichier reste un large incitateur à l’inertie de la machine policière. Il justifie surtout la défense de pratiques coutumières dont elle n’entend pas si facilement se délester. Il reste en effet très utile aux OPJ qui n’ont rien à se mettre sous la dent a priori, à propos de n’importe quel incident signalé. Un simple clic, un nom…, et hop, voici le STIC consulté 20 millions de fois par an.

Cette paresse, liée à l’automatisme de la consultation préalable avant toute interrogation liminaire sur ce que l’ « on » vous signale, se justifierait ainsi par la conviction enracinée que notre police pourrait toujours y glaner ou récolter quelque chose d’intéressant au moindre soupçon, à l’égard de n’importe qui. Voilà en somme une justification pratique officieuse inavouable, mais parfaitement entendue et tout à fait « couverte » par les services des parquets. Ceux-ci, sauf exceptions, n’entendent pas vraiment savoir ni réellement contrôler la qualité de la masse des informations qui leur sont transmises quotidiennement sur les « mis en cause » par les services de police. Car, en dépit de réglementations tatillonnes à ce sujet, ils ne se donnent ni n’ont véritablement les moyens de contrôler réellement le devenir de leurs décisions de classements sans suite qu’ils émettent par le biais des fiches navettes au sujet de celles et ceux qu’ils ont mis hors de cause.

Mémoire sale

Le résultat pratique, c’est qu’hélas, des vagues de nouveaux « défavorablement connus des services de police » sont toujours plus nombreux à être ainsi labellisés par la coutume policière, au vu de ce qui s’incruste dans la mémoire jamais effacée du STIC. Voilà le véritable motif de la pérennité du fichier STIC en son état. Il réside dans la conviction intime de ses défenseurs acharnés qu’il y aurait une supériorité du savoir de la police sur des citoyens ayant toujours quelque chose à se reprocher, bien plus que d’un savoir de la police mis au service de citoyens présumés innocents.

Ce «  savoir » impur est constituée d’une mémoire sale qui se transforme en pouvoir de pression assumé en tant que tel sur tous les citoyens (y compris chez ceux, les naïfs, qui estimeraient « ne rien avoir à se reprocher »), parce qu’elle n’est jamais véritablement lavée par les juges, gardiens de nos libertés. Un commissaire courageux anonyme ne confiait-il pas éloquemment à une journaliste : « Un flic ne pourra jamais se résoudre à détruire les données, même erronées, mêmes sales. Qui a envie d’effacer sa mémoire ? En plus, policièrement parlant, un fichier nettoyé ne vaudrait pas le coup. Chez nous, on aime l’informel, ces petites choses qu’on est les seuls à savoir. Le STIC est même devenu notre chouchou. Vous nous le supprimez, on est morts »… (Le Nouvel observateur, 26 février 2009).

Le geste de protestation du commandant de police Philippe Pichon fut de s’inscrire en totale opposition éthique à cette croyance et pratique sociologiquement dominante, reçue par le siens comme une fatalité ou un mal nécessaire dans le meilleur des cas. Or, son geste de résistance fut salué par le tribunal de l’histoire en train de lui donner raison (au vu de la jurisprudence européenne notamment). Reste que s’il n’a jamais été un martyr, il risque aujourd’hui une mise à mort professionnelle définitive pour avoir voulu en finir avec cette détestable hypocrisie. Beaucoup de ses collègues approuvent heureusement son combat, mais la pression politique sur l’appareil policier est devenue telle aujourd’hui, y compris parmi les syndicalistes, que personne n’entend plus prendre le risque de se solidariser ouvertement avec lui. Ce qui veut dire qu’on préfère se taire au point d’accepter qu’il soit sacrifié, parce qu’il n’avait pas à transgresser un détestable tabou.

Citoyens atterrés

Mais nous autres, citoyens atterrés et indignés par le harcèlement dont Philippe Pichon fait l’objet de la part des plus hautes hiérarchies de la police afin de le voir quitter la machine « de son plein gré », allons-nous le laisser tomber à notre tour et accepter pareille injustice ? N’avons-nous pas au moins le devoir minimal de demander à la justice administrative de surseoir à statuer sur ses différentes requêtes en excès de pouvoir, en attendant au moins le prononcé du verdict de la justice pénale ? Car de deux choses l’une :

- ou bien, le commandant Philippe Pichon bénéficiera au pénal d’une relaxe à raison du droit, et de façon cohérente, il devra être alors blanchi sur le plan disciplinaire et réintégré dans les cadres d’une police qu’il servira beaucoup mieux à l’intérieur qu’à l’extérieur ;

- ou bien, la justice pénale le condamnera, estimant qu’il a réellement eu tort d’avoir franchi une ligne jaune. Le ministère de l’Intérieur sera alors fondé à en tirer toutes les conséquences disciplinaires.

Mais en toute logique, il ne serait pas convenable ni juridiquement fondé qu’il en décide maintenant. S’il le faisait, il se rendrait coupable d’une vulgaire opération de «  basse politique » qui ne ferait qu’entacher un peu plus le machiavélisme de ceux qui auront pris le risque de sacrifier un fonctionnaire méritant au nom d’une singulière conception de la « haute police ». Or, on sait ce qu’il en coûte à mettre à mort sciemment le lanceur d’alerte d’une juste cause… Si nous n’y prenons pas garde, l’Etat de droit serait déjà engagé sur la pente irréversible de l’Etat policier. »

Lire aussi :

http://libertes.blog.lemonde.fr/201...
Entre Prométhée et Frankenstein, le STIC, nouvelle croyance policière
Par William Bourdon, avocat à Paris
et Philippe Pichon, commandant de police


Un flic pourfend le système

par Jean-Marc Manach et Guillaume Dasquié

Avec les liens et le graphique.
http://owni.fr/2011/10/18/un-flic-p...

Le système STIC, le plus gros des fichiers policiers, fiche la moitié de la population française, sans cadre légal. Le policier Philippe Pichon a été mis à la porte pour l’avoir dénoncé. Jeudi, la justice examine son recours.

Ce jeudi 20 octobre, le Tribunal administratif se penchera sur le cas du commandant Philippe Pichon, exclu de la police nationale le 20 mars 2009 par arrêté de la ministre de l’époque Michèle Alliot-Marie, pour avoir évoqué plusieurs pratiques illicites en vigueur dans la police. Et en particulier pour avoir osé dénoncer les dysfonctionnements du Système de traitement des infractions constatées (STIC).

Pichon, qui entend bien retrouver tous ses droits, conteste le bienfondé de l’arrêté ministériel. Et la juridiction administrative lui a, dans un premier temps, accordé le bénéfice du doute en ordonnant sa réintégration provisoire ; dans l’attente de cette audience de jeudi, consacrée au fond du dossier.

Outre un essai décapant publié en 2007 chez Flammarion, “Journal d’un flic”, son administration lui reproche surtout d’avoir mené campagne contre ce STIC. Véritable “casier judiciaire bis” truffé d’erreurs et de données obsolètes, et dans lequel un certain nombre de policiers viennent piocher des infos en dehors de tout cadre légal. Le STIC fiche pas moins de 5 millions de suspects et 28 millions de victimes, soit plus de la moitié de la population française.

Après avoir plusieurs fois alerté sa hiérarchie, en vain, sur ces dysfonctionnements, ayant même “évoqué la possibilité de s’en ouvrir à la presse ou dans un cadre universitaire“, Philippe Pichon aurait confié les fiches STIC de Jamel Debbouze et Johnny Halliday à un journaliste qui les lui avait demandées afin d’en démontrer le peu de sérieux – c’était dans la foulée du scandale autour du fichier EDVIGE. Et le site Bakchich.info les publia dans un article intitulé “Tous fichés, même les potes de Nicolas Sarkozy“.

Traçabilité de l’approximation

Si le STIC se révèle une encyclopédie de l’approximation et de l’erreur policière, cependant, il était déjà interconnecté à un dispositif permettant de tracer l’accès à ses registres. Permettant alors d’identifier pas moins de 610 fonctionnaires ayant interrogé le STIC au sujet de Djamel et 543 au sujet de Johnny. 24 fonctionnaires ayant imprimé la fiche de l’humoriste et 16 celle du chanteur. L’épisode avait entraîné l’ouverture d’une autre procédure, pour violation du secret professionnel, confiée elle à un juge d’instruction.

Qui reçut des explications claires de Philippe Pichon, vite suspecté. Celui-ci expliqua son “geste citoyen” en raison des nombreux dysfonctionnements du STIC, au sujet desquels il avait plusieurs fois alerté sa hiérarchie, en vain. Dans son ordonnance de renvoi, qu’OWNI a pu consulter, le juge écrit d’ailleurs que le fichier :

a été unanimement critiqué et l’est encore notamment par la CNIL qui avait relevé de singulières défaillances et avait émis 11 recommandations (…) Il appartiendra au Tribunal de se prononcer en tant que Juge du fond sur la légalité de l’acte administratif réglementaire ayant présidé à la création du STIC.

Le renvoi de Philippe Pichon devant le Tribunal correctionnel, pour violation du secret professionnel, accès frauduleux à un système automatisé de données et détournement d’informations à caractère personnel, a quant à lui été fixé au 22 mai 1012. C’est là que, par souci de cohérence, les magistrats pourraient se pencher sur la légalité du STIC.

D’ici là, il semble peu probable que le Tribunal administratif prenne le risque, ce jeudi, de confirmer l’expulsion du commandant Pichon. Lequel pourrait bien être traité en héros, au mois de mai, lorsque le débat portera sur le sérieux et la légalité de ce STIC.

Créé en 1994, légalisé en 2001, le STIC a fonctionné en violation de la loi informatique et libertés pendant six ans. Lorsque la CNIL fut enfin autorisée à le contrôler, ses découvertes la conduisirent “à faire procéder dans 25 % des cas à des mises à jour, ou même à la suppression de signalements erronés ou manifestement non justifiés” :

Par exemple, une personne signalée par erreur comme auteur d’un meurtre, ou encore un enfant de 7 ans signalé dans le STIC pour avoir jeté des cailloux sur un véhicule…

En 2008, la CNIL constata un taux record de 83% d’erreurs dans les fiches STIC qu’elle fut amenée à contrôler. Et, au terme d’une enquête approfondie de plus d’un an, la CNIL estima que plus d’un million de personnes, blanchies par la justice, étaient toujours fichées comme suspectes dans le STIC…

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