Une tribune pour les luttes

OIP Observatoire international des prisons pour le droit à la dignité des personnes détenues

Prisons : les conditions de détention en France

Rapport 2011

Article mis en ligne le dimanche 11 décembre 2011

Voir en complément :

http://owni.fr/2011/12/07/prison-ca...

La France carcérale
par Pierre Alonso

Le 7 décembre 2011

Les recommandations du contrôleur général des prisons, publiées hier au journal officiel, pointent des violations graves des droits fondamentaux dans la prison de Nouméa. En cause : la surpopulation carcérale.
Dans la maison d’arrêt de la prison de Nouméa, 27 cellules sur 34 disposent d’un matelas “posé à même un sol crasseux et humide où circulent des rats et des cafards”, écrit le contrôleur général des prisons. Son rapport fait un lien direct entre “l’épisode dramatique survenu pendant le déroulement de la mission” – un meurtre dans une cellule occupée par six personnes – et “les conséquences inéluctables que fait peser la sur-occupation de l’établissement sur les conditions de détention”, frôlant les 200 % dans le centre de détention et le quartier de semi-liberté et atteignant 300% dans le quartier de la maison d’arrêt”.



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24 € + 4 € de frais de port


Extraits du dossier de presse.

LES CONDITIONS DE
DÉTENTION EN FRANCE

À l’heure où la répression de la délinquance et du crime s’est
installée au cœur du débat public, le rapport de l’OIP apporte un
autre éclairage sur la réponse pénale, la vie et le travail derrière
les murs des prisons. En 13 chapitres, l’Observatoire vise à offrir
un outil de référence permettant :
un décryptage des politiques pénales et pénitentiaires des
années 2005-2011 ;
une radiographie de l’univers carcéral français, dix ans après
les rapports parlementaires et deux ans après l’adoption de
la loi pénitentiaire.

13 thématiques, 3 fils rouges
1. Politique pénale
2. Politique pénitentiaire
3. Régimes différenciés
4. Sécurité
5. Discipline
6. Santé
7. Psychiatrie
8. Addictions
9. Suicides
10. Liens avec l’extérieur
11. Travail
12. Enseignement et formation
13. Droits sociaux

1. Politique pénale
(pages 6 à 39)
La période 2005-2011 est marquée par une systématisation et une aggravation de la
sanction en cas de récidive, principalement pour les petits délits. Une option contre-
productive en matière de prévention de la récidive.
– Entre août 2005 et novembre 2010, 18 nouvelles lois pénales ont été adoptées dans
l’objectif affiché de lutter contre la récidive ;
– La loi du 10 août 2007 instaure les «  peines plancher » pour les infractions commises en
récidive. Cette réforme n’a pas d’effet en matière criminelle, les cours d’assises dépas-
sant déjà largement les peines minimales prévues. Elle a un impact important en matière
de délits, puisque les peines plancher se situent à un niveau environ trois fois supérieur
au quantum moyen des peines prononcées en correctionnelle. Les premiers concernés
sont les auteurs de vols, de recels et de conduite en état alcoolique, qui représentent
à eux seuls les trois quarts des récidivistes. En utilisant largement les possibilités de
déroger aux peines plancher, les magistrats parviennent néanmoins en 2008 à ne les
appliquer que dans un cas sur deux (44 % des éligibles).
L’OIP alerte sur le caractère contre-productif des peines minimales. En juin 2007, le chercheur Sebastian Roché a montré que dans les pays les ayant expérimenté, elles «  ne
garantissent ni une diminution de la délinquance ni une moindre récidive
 ». Plusieurs
études montrent même un « effet inverse à celui recherché ». Au Canada, un rapport de
septembre 2005 pour le ministère fédéral de la Justice concluait que les peines minimales
ne constituent « pas un outil efficace en matière de détermination de la peine, c’est-à-dire
qu’elles gênent le pouvoir judiciaire discrétionnaire sans offrir de meilleurs résultats quant à
la prévention du crime
 » (pp. 13-15).
Il est demandé parallèlement aux juges de l’application des peines de convertir
davantage de courtes peines avant leur mise à exécution (en surveillance électronique, semi-liberté ou placement extérieur) ou de faire sortir plus rapidement les
détenus pour limiter la surpopulation. Une politique ambivalente et déjà remise en
cause par le projet de loi de programmation sur l’exécution des peines. (p. 16 et suiv.) :
– La loi pénitentiaire du 24 nov. 2009 fait passer d’un an à deux ans le seuil des peines
d’emprisonnement devant être examinées pour aménagement avant leur mise à exécution (sauf en cas de récidive) ; elle élargit les motifs d’octroi à des condamnés ne
présentant pas nécessairement des garanties d’insertion.
– Ces dispositions n’ont pas été accompagnées des moyens nécessaires à leur mise
en œuvre par les services d’application des peines (SAP) et les services pénitentiaires
d’insertion et de probation (SPIP). Le chiffre de 85 000 peines non exécutées est brandi
au plus haut sommet de l’Etat, alors qu’il s’agit à 95 % de courtes peines en attente
d’aménagement dans des SAP engorgés. Des personnes condamnées ne sont pas
ou peu suivies en milieu ouvert par des conseillers d’insertion et de probation qui se
retrouvent avec 80 à 150 dossiers chacun.
Observatoire international des prisons pour le droit à la dignité des personnes détenues
– L’affaire de Pornic est l’occasion d’une remise en cause (rapport Ciotti, juin 2011) de la
politique d’aménagement des courtes peines de prison. En septembre 2011, Nicolas
Sarkozy annonce à Réau un plan de 30 000 places de prison supplémentaires d’ici fin
2017. Il souhaite « ouvrir des prisons dédiées aux condamnés pour courtes peines, ne
présentant pas de dangerosité particulière
 ». Cette annonce reprise dans le projet de loi
de programmation sur l’exécution des peines sous-tend un renoncement à l’exécution
des courtes peines en milieu ouvert, là encore en dépit des études montrant que les
aménagements de peines sont plus favorables à la prévention de la récidive que la
détention.
Pour les auteurs de crimes, l’apparition des mesures de sûreté et les restrictions
apportées aux possibilités d’aménagement de peine ouvrent la perspective d’un
enfermement ou d’un contrôle de nature perpétuelle, fondé sur des « évaluations de
la dangerosité »
dont les limites sont régulièrement éprouvées. (p. 24 et suiv.)
– Une surveillance judiciaire ou une surveillance de sûreté (suivis en milieu ouvert) peuvent
désormais être imposées à certains condamnés sur la base non plus des faits commis,
mais de leur «  dangerosité » présumée. La rétention de sûreté, qui vise à maintenir
enfermés des détenus après la fin de leur peine dans des « centres socio-médico-judi-
ciaires
 » de sûreté, reposera sur « une probabilité très élevée de récidive ».
– Ces mesures sont notamment décriées par la Commission nationale consultative des
droits de l’Homme (CNCDH) en ce qu’elles se fondent sur le concept de dangerosité, une
« notion émotionnelle dénuée de fondement scientifique ». Dans les pays qui pratiquent
des expertises criminologiques alliant observations cliniques et évaluations actuarielles,
personne ne prétend plus mesurer la « dangerosité » d’une personne, mais les « facteurs
de risque »
auxquels elle est exposée à un instant T. L’évaluation clinique seule, telle
que pratiquée en France, a été maintes fois critiquée par les chercheurs qui la qualifient
d’« informelle, subjective et impressionniste ». (p. 31)

2. Politique
pénitentiaire

(pages 40 à 77)

Une augmentation exponentielle du parc carcéral se poursuit entre 2005 et 2011,
sans parvenir à enrayer durablement le phénomène de surpopulation (p. 62 et suiv.).
Entre 2005 et 2011, le nombre moyen de personnes incarcérées passe de 58 288 à 60 761,
soit un accroissement de 4 %. Pendant cette période, le nombre de places comptabilisées par l’administration est passé au 1er janvier de 50 094 à 56 358. Les annonces de
programmes de construction se succèdent. En réalité, il s’agit toujours du programme
« 13 200 » initié en 2002, qui devait s’achever en 2007 et dont une grande partie (6 000
places) seront mises en service après 2011. Pour fin 2017, c’est désormais un objectif de
80 000 places de prison qui est annoncé, soit une augmentation de 60 % en 12 ans.
Le phénomène est désormais connu : l’accroissement du parc carcéral a tendance
à générer une augmentation des incarcérations, si bien qu’il n’apporte pas en soit une
réponse durable au problème de la surpopulation. L’effectif des détenus en surnombre a
d’abord diminué entre janvier 2005 et janvier 2011 (8 135 contre 4 185), sous l’effet conjugué
de l’accroissement du parc et du développement de la surveillance électronique. Pour finalement doubler au cours du premier semestre 2011 (8 645 en juillet 2011) et retrouver son
niveau de 2004-2005.
Dans un contexte de surpopulation, les conditions de détention restent indignes
dans de nombreux établissements, et les nouvelles prisons sont critiquées pour le
manque de contacts humains inhérent à leur fonctionnement (p. 50 et suiv.).
La nouveauté réside dans la succession de condamnations de l’État par les juridictions
administratives pour avoir imposé des « conditions [de détention] n’assurant pas le respect
de la dignité inhérente à la personne humaine
 », entraînant des indemnités à verser aux
requérants détenus. Les motifs de condamnation concernent la surface des cellules (10
à 12 m2 partagées par trois détenus, Rouen, 2008), des dispositifs d’aération obstrués ou
défectueux (Nanterre, 2011), l’absence de cloisonnement des toilettes dans des cellules
partagées à plusieurs (Bois d’Arcy, 2011)...
La communication de l’administration pénitentiaire autour de l’application des Règles
pénitentiaires européennes apparaît comme un «  cache-misère », d’autant que seuls
les quartiers arrivants sont véritablement concernés (p. 45 et suiv.).
A partir de mars 2007, huit règles pénitentiaires sur un total de 108 sont expérimentées
dans certains établissements. Les principales améliorations concernent l’accueil des arrivants, qui bénéficient pendant environ deux semaines de meilleures conditions de détention (gratuité de la télévision et du réfrigérateur, crédit de téléphone, remise de vaisselle et
literie propres...) et d’une meilleure attention et disponibilité des personnels (quartiers à
taille humaine, informations données aux arrivants...). L’application de ces huit règles reste
néanmoins inégale et surtout, l’effet du choc carcéral ne s’avère que reporté à l’arrivée en
détention ordinaire : « être placé dans une cellule sale encombrée de matelas par terre,
abandonnée aux codétenus, après un séjour de dix jours dans un quartier arrivant neuf
près de surveillants attentifs peut apparaître dépourvu de sens
 » (Chauvenet, Rambourg,
2010).

3. Régimes
différenciés

(pages 78 à 95)

L’une des plus importantes régressions issues de la loi pénitentiaire
de 2009 réside dans la généralisation de « régimes différenciés »
de détention au sein d’un même
établissement.
Prétextant « la nécessité de diversifier la prise en charge des détenus
au regard de la variété de leurs profils
et de leurs besoins
 » l’administration
pénitentiaire a obtenu avec la loi du
24 novembre 2009 la consécration de
régimes de détention différents au sein
d’un même établissement. En fonction
« de leur conduite en détention, de leur
volonté de se réinsérer socialement, et de leur capacité à évoluer
 », les uns sont désormais
placés en régime fermé, les autres en régime ouvert, avec des possibilités ou non d’ouverture des portes des cellules en journée, et des conséquences sur l’accès à un poste de
travail ou à un aménagement de peine.
Censé s’inscrire dans le cadre d’un parcours d’exécution de peine établi au terme d’une
évaluation pluridisciplinaire, l’affectation des condamnés dans une unité plus ou moins
sécurisée repose essentiellement sur des critères flous de comportement, de personnalité
et dangerosité. Echappant aux garanties qui entourent le placement au quartier disciplinaire, notamment le droit à un avocat, le placement en régime «  fermé » d’un condamné
peut être assimilé à une sanction déguisée.
Qualifié de «  pure et simple ségrégation » par le Contrôleur général, ce système revient
à effectuer un tri entre les détenus que l’institution choisit de favoriser et ceux qu’elle
abandonne à leur sort en faisant peser sur eux toutes les contraintes. Une telle approche
s’inscrit à l’encontre des Règles pénitentiaires européennes (RPE) qui n’admettent aucune
inégalité de traitement dans les conditions de détention mais simplement des mesures de
sécurité adaptées, sur la base de critères précis tels que le risque d’évasion ou le risque
qu’une personne ferait encourir pour elle-même ou pour les autres. Elle s’écarte des principes établis en 2000 par le rapport Canivet, qui préconisant l’élaboration d’un corpus de
«  normes de qualité, accessibles, précises et prévisibles », soulignait que « la norme et son
application doivent être constantes et égales pour tous, sans varier selon les détenus, les
surveillants ou les établissements ».

4. Sécurité
(pages 96 à 113)
Avec onze évasions recensées
en moyenne annuelle entre 2008
et 2010, les prisons françaises
sont parmi les plus hermétiques
d’Europe : on ne compte dans
notre pays qu’une évasion pour
2 millions de journées de détention. Même s’il s’agit pour elle
d’un « seuil quasi incompressible
en deçà duquel il sera difficile de
descendre
[1] », la direction de l’administration pénitentiaire n’a pour-
tant pas manqué de demander
et d’obtenir une augmentation de
43 % du montant des budgets
consacrés à la sécurisation de
ses établissements entre 2007
et 2009.
La prééminence de la mission de garde de l’administration pénitentiaire (AP) se
traduit par une omniprésence et un sur-développement des dispositifs de sécurité
interne et externe.
Et de fait, au-delà de l’arsenal
traditionnel de mesures de contrôle et de contrainte dont elle dispose, l’institution s’est
engagée ces dernières années dans une fuite en avant technique et technologique visant
à prévenir les évasions ainsi que les incidents (agressions et mouvements de protestation). Tout en confortant un pouvoir de police intérieure qui l’autorise à recourir à une certaine forme de violence institutionnelle (fouilles des personnes, placements en quartiers
d’isolement ou disciplinaire...), l’AP a sollicité et obtenu le renforcement de son dispositif
sécuritaire, au travers d’un investissement massif dans la sécurisation périmétrique des
établissements (miradors, filins anti-hélicoptères,...) et l’armement des personnels (armes
longues équipant les miradors, matraques et bâtons de défense, flash-balls, fusils équipés
de balles en caoutchouc de type « gomme-cogne », grenades à éclats en caoutchouc,
aérosols, grenades à gaz incapacitant...).
Confirmant que dans leur interprétation des Règles pénitentiaires européennes, les autorités françaises semblent confondre « niveau de sécurité » et « régime de détention », cette
orientation semble se poursuivre par le biais d’une classification des établissements selon
leur niveau de sécurité : renforcée, normale, adaptée, allégée (projet de loi de programmation sur l’exécution des peines).
DAP, rapport d’activité 2007.

5. Discipline
(pages 114 à 139)

Malgré quelques avancées, l’administration pénitentiaire ne parvient pas à renoncer
à une approche de la discipline coercitive et contre-productive. L’OIP préconise une
approche éducative, fondée sur la consultation, la responsabilisation, le respect du
droit et de l’expression des détenus comme des personnels.
Réclamé notamment par la CNCDH, le remplacement du quartier disciplinaire par le confinement en cellule a été écarté dans le cadre de la loi pénitentiaire, qui se borne à réduire
de 45 à 30 jours sa durée maximale (alors qu’elle est moitié moindre dans les pays voisins :
15 jours aux Pays-Bas et en Italie, 14 en Espagne et en Angleterre, 9 en Belgique...). Pour
toute modification de la procédure disciplinaire, le législateur s’est limité à autoriser la présence d’un membre extérieur à l’administration au sein de la commission de discipline, là
où était attendu que sa présidence ne soit plus dévolue au chef d’établissement.
Si ces timides évolutions s’ajoutent aux quelques avancées procédurales intervenues auparavant (codification des infractions et des sanctions, présence de l’avocat au prétoire...),
l’action disciplinaire reste fondée sur une logique de « contention », sans que n’aient été
pris en considération les constats et recommandations issus des nombreuses recherches
sur l’origine des violences en milieu carcéral et sur les moyens de les limiter, de les prévenir
ou de les appréhender.

6. Santé
(pages 140 à 175)

Alors que les besoins sanitaires de la population incarcérée sont bien plus importants que ceux de la population générale, l’accès aux soins reste difficile en détention, notamment pour des consultations spécialisées.
La prévalence de la tuberculose est dix fois plus élevée en détention qu’à l’extérieur. Plus
de la moitié des arrivants rencontrent des problèmes d’addiction aux drogues et/ou à l’alcool... Les conditions d’hygiène et de surpopulation dans certains établissements apparaissent incompatibles avec un bon niveau de santé, comme le montrent de nombreux
rapports des DRASS et DDASS.
La triple exigence posée au travers de la normalisation des soins engagée en 1994 – les
médecins exerçant en détention ne sont plus employés par l’administration pénitentiaire
mais par l’hôpital public ; les soins dispensés ont vocation à être de même niveau que
ceux dispensés à la population générale ; les détenus plus considérés comme des patients
ordinaires – semble aujourd’hui remise en cause.
L’institution carcérale tente d’imposer depuis quelques années aux personnels soignants la notion de « partage opérationnel d’informations », leur enjoignant d’enrichir un
cahier de liaison électronique (CEL) des informations de nature médicale dont ils sont seuls
détenteurs ou de participer à des commissions pluridisciplinaires. Face à la « demande
incessante
 » de l’administration pénitentiaire « de tout connaître de la personne, de sa
vie passée, voire de prédire ses actes pour le futur
 » pointée du doigt par le Contrôleur
général, il est attendu des autorités sanitaires qu’elles réaffirment la primauté tout à la fois
du respect du secret médical, de la qualité de la relation thérapeutique et de l’indépendance des équipes médicales.

7. Psychiatrie
(pages 176 à 207)
Les évolutions conjointes de la psychiatrie et de la justice pénale ont abouti à un
transfert de prise en charge des personnes les plus marginalisées et atteintes de
troubles psychiques sévères de l’hôpital vers la prison.
Saturé, et souffrant d’un manque patent de solutions d’accueil adaptées, le secteur de
psychiatrie générale laisse à la rue nombre de personnes atteintes de troubles mentaux
jusqu’à ce que leurs symptômes les fassent basculer dans la criminalité ou la délinquance.
En parallèle, les autorités judiciaires prononcent de moins en moins de non lieux pour irresponsabilité pénale. Les procédures rapides, prédominantes en matière délictuelle, sont
peu propices à la détection de la maladie mentale et les expertises se font rares. Magistrats
comme jurés ont, en outre, tendance à sanctionner plus sévèrement les auteurs d’infractions atteints de troubles mentaux, estimant qu’ils présentent une double dangerosité,
psychiatrique et criminologique.
Résultat : plus de 20 % des détenus seraient atteints de troubles psychotiques. Or, la
prison ne peut être considérée comme un lieu de soins : elle est en elle-même pathogène,
accroissant ou générant des maladies mentales. Les personnels soignants sont en sous-
effectif et les locaux mis à leur disposition ne leur permettent pas toujours de dispenser
des soins de qualité dans le respect de l’éthique médicale. Quant aux conditions d’hospitalisation d’office des détenus ne pouvant être maintenus en détention, elles s’avèrent
souvent désastreuses : patients placés dans des chambres d’isolement, aux murs nus,
sans mobilier, et fréquemment attachés à leur lit.
Alors que seuls 2 à 5 % des auteurs d’homicide et 1 à 4 % des auteurs d’actes de violences sexuelles sont atteints de troubles mentaux, la figure du « fou criminel » gagne
les esprits et l’approche sécuritaire contamine les politiques de santé publique, quand bien
même ce sont davantage les ruptures de soins et l’isolement social que les troubles psychiques en eux-mêmes qui favorisent le passage à l’acte. Loin de remédier à cette situation
par des politiques de renforcement de la psychiatrie générale, d’insertion et de prévention de la délinquance, les
pouvoirs publics mettent
en place des dispositifs
judiciaro-sanitaires visant
à palier en aval à l’impossible soin psychiatrique en
milieu carcéral, telles les
unités hospitalières spécialement
aménagées,
souvent nommées « hôpitaux prisons ».

8. Addictions
(pages 208 à 227)

La politique de lutte contre les drogues et les toxicomanies développée entre 2005
et 2011 se situe à rebours des recommandations d’instances de l’ONU (Office contre
la drogue et le crime, Organisation mondiale de la santé). Alors que ces dernières insistent
sur la nécessité de considérer la dépendance aux stupéfiants comme un état pathologique
à part entière appelant des réponses de santé publique, les autorités françaises mettent
l’accent sur une logique de sécurité publique et de répression. L’emprise de stupéfiants ou
l’ivresse manifeste sont ainsi devenues des circonstances aggravant la peine encourue.
Une sanction spécifique a été créée pour les infractions d’usage commises par des agents
de service public ou de transports (loi du 5 mars 2007). « La criminalisation et les pratiques
répressives entravent les initiatives de promotion sanitaire, perpétuent la stigmatisation et
augmentent les risques sanitaires auxquels » les personnes « peuvent être exposées
 »,
déplore le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de toute personne à jouir du
meilleur état de santé possible.
La pénalisation accrue de l’usage de drogues favorise une présence massive des
publics ayant des conduites addictives en prison – près d’un tiers des entrants en
prison sont toxicomanes. Or, l’offre de soins en prison est insuffisante au vu des besoins
et l’approche sanitaire de réduction des risques ne parvient pas à s’imposer face à celle
de la lutte contre les trafics ou la consommation. Les programmes d’échange de seringues
restent aux portes des prisons ; diverses pratiques dérogatoires aux protocoles de soins se
sont développées, dont la distribution de traitements de substitution pilés ou des sevrages
rapides. Ces méthodes ont pour double conséquence de favoriser les consommations à
risque et de susciter une réaction de distanciation vis-à-vis du dispositif de soins.

9. Suicides
(pages 228 à 249)

« La France présente l’un des taux de suicide carcéral le plus élevé de l’Europe des
Quinze
 », un taux qui a «  quintuplé en 50 ans alors qu’il a dans le même temps peu
changé dans la population générale
 » (INSEE).
Rapports et circulaires sur le suicide en prison se sont multipliés ces dernières années. Les
programmes de prévention mis en œuvre en 2004 et 2009 n’ont pour autant pas provoqué
d’évolutions notables du nombre de suicides. En 2003 et 2010, la fréquence des suicides
(un tous les trois jours) et le taux de mortalité par suicide (14,6 pour 10 000 placements
sous écrou) sont dramatiquement identiques, tandis que la sursuicidité carcérale reste
anormalement élevée (on se donne la mort 5 à 6 fois plus en prison qu’à l’extérieur).
Si le premier enjeu est d’assurer une totale transparence sur l’ampleur d’un phénomène
suicidaire que les données rendues publiques par l’administration pénitentiaire minorent, il
faut espérer également qu’à brève échéance les mesures de prévention mises en œuvre
cessent de se focaliser jusqu’à l’absurde sur l’empêchement du geste suicidaire, occultant
l’indispensable restauration de la personne dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie.
Les autorités sanitaires devraient également être appelées à exercer la responsabilité de
la définition, du pilotage et de la mise en œuvre de la politique de prévention du suicide
en prison, ce transfert de compétence au ministère de la Santé étant appelé par des instances européennes qui ont rappelé à la France qu’il s’agit là avant tout d’une question de
santé publique.

10. Liens avec
l’extérieur

(pages 250 à 283)

Alors que des progrès ont été réalisés en termes d’accès au téléphone et visites
familiales, le droit à la vie privée et familiale subit encore des restrictions insuffisamment encadrées. Quant au droit d’expression, notamment sur les conditions de
détention, il n’est pas même reconnu aux personnes détenues.
Les contacts avec le monde extérieur sont « indispensables pour lutter contre les effets
potentiellement néfastes de l’emprisonnement
 » (Règles pénitentiaires européennes). Plus
concrètement, les RPE indiquent que les personnes détenues doivent pouvoir «  communiquer aussi fréquemment que possible – par lettre, par téléphone ou par d’autres moyens
de communication – avec leur famille, des tiers et des représentants d’organismes extérieurs, et recevoir des visites des dites personnes » ; « se tenir régulièrement informées
des affaires publiques » ; « communiquer avec les médias » ; « participer aux élections, aux
référendums et aux autres aspects de la vie publique »
(RPE n° 24-1 à 24-12). Les éventuelles restrictions à l’exercice de ces droits « doivent être le moins intrusives possible »,
« définies clairement » et « ne pas être laissées à la discrétion de l’administration pénitentiaire
 » (Commentaire des RPE). Malgré quelques progrès notables, tels la généralisation à
tous les détenus de la possibilité de visites sans surveillance (unités de vie familiale) ou de
l’accès au téléphone, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 n’a pas permis à la France
de se mettre en conformité avec ces règles.
Au 1er janvier 2011, seules 17 prisons sur 191 étaient pourvues d’unités de vie familiale,
permettant au détenu de recevoir ses proches dans des appartements fermés de type F2
ou F3, pour des durées de 6 à 48 heures, jusqu’à 72 heures une fois par an. _ Quant aux
conditions de déroulement des parloirs ordinaires ou aux modalités de contrôle s’imposant
aux communications, elles portent encore largement atteinte aux principes émanant des
recommandations internationales. S’agissant des droits de communiquer avec l’extérieur
ou de recevoir des visites, la législation reste balisée par une accumulation de restrictions et
de mesures de surveillance, dont la définition en des termes particulièrement vagues laisse
grande latitude aux autorités chargées de leur application. Pour des « raisons d’ordre »,
l’administration pénitentiaire peut par exemple retenir «  tout manuscrit rédigé en
détention
 » (Article D.444-1 du code de procédure pénale). Au même motif, ou au titre de
la « prévention des infractions », elle peut également refuser, suspendre ou retirer l’accès
au téléphone à un détenu, ainsi que les permis de visite des membres de la famille d’un
condamné. C’est ainsi que le législateur a consacré le pouvoir d’ingérence de l’institution
dans la vie privée de toute personne détenue comme dans celle de son conjoint, des
membres de sa famille, de ses proches, et des tiers avec lesquels elle entretient un lien
quelconque...
Enfin, la réglementation française continue de méconnaître les droits des personnes
détenues à la liberté d’opinion et d’expression – l’administration étant notamment autorisée à censurer tout écrit des détenus en vue d’une publication – ainsi qu’à celles de
réunion et d’association pacifiques. Le droit à l’information, notamment à travers l’accès
aux publications, s’est également vu restreint par la loi pénitentiaire.

11. Travail
(pages 284 à 305)

Soustrait à l’application du droit commun, le travail carcéral s’exerce dans des conditions dignes du XIXe siècle. Comme l’indique le règlement intérieur de certaines mai-
sons d’arrêt, « la personne détenue qui travaille n’est pas un salarié » bénéficiant de
la protection du droit du travail, « sauf pour les règles d’hygiène et de sécurité ».
Les règles du salaire minimum ne s’appliquant pas aux détenus, leurs rémunérations mensuelles nettes en 2010 n’ont pas dépassé, en moyenne, 318 euros par mois pour un équivalent temps plein. Le travail des détenus consiste le plus souvent à effectuer des tâches
simples, répétitives, sans grande valeur ajoutée, ni lien avec le marché de l’emploi (ensa-
chage de couverts en plastiques, mise en filets d’oignons, assemblage de brochures...).
En dépit des conditions dans lesquels il s’exerce, le travail carcéral est très prisé par les
détenus, car il s’agit pratiquement de la seule source de revenus. En raison de la faible offre
de postes, travailler s’avère en détention reste un privilège : en 2010, le taux d’emploi des
détenus a été de 24 %.
La loi pénitentiaire a été l’occasion d’un nouveau renoncement à satisfaire aux exigences
de l’Organisation international du travail (OIT) d’offrir aux personnes détenues des garanties
similaires aux travailleurs libres en matière de rémunération, protection sociale et sécurité
au travail. Le travail carcéral reste ainsi aux antipodes de l’objectif affiché de favoriser la
réinsertion des détenus. Comme le souligne la directrice de l’agence Pôle emploi spécialisée dans l’accompagnement des sortants de prison : « Ce qui domine lorsqu’ils parlent de
leur travail en prison, c’est la révolte. Ils ont l’impression d’avoir été exploités. Leur vision du
travail serait meilleure s’ils étaient davantage respectés et mieux mis en valeur.
 »

12. Enseignement et
formation

(pages 306 à 323)

Les dispositifs en charge de l’éducation et la formation professionnelle en prison
sont dans une situation persistante de crise structurelle et budgétaire. Ce, malgré
les besoins de la population carcérale : plus d’un quart des détenus sont illettrés ou
éprouvent des difficultés à lire, et près de la moitié n’ont aucun diplôme. En 2010, le
taux de personne ayant bénéficié d’une formation professionnelle n’a pas dépassé
8,6 % et le taux de personnes scolarisées 24,6 %.
Alors que les ministères de la
Justice et de l’Education nationale se sont engagés à offrir aux
personnes détenues une «  éducation de qualité équivalente à
celle dispensée dans le monde
extérieur
 », la majorité des créations de postes réclamées par
les unités d’enseignement en
prison entre 2005 et 2010 ont été
refusées pour des raisons d’économie budgétaire. Et les fonds de
fonctionnement de ces unités ont
été réduits de près de 3,5 %. Les
services de l’enseignement se
trouvent dès lors dans l’incapacité de répondre à toutes les demandes et sont contraints
de prioriser les formations de bas niveaux au détriment des niveaux plus élevés, notamment l’enseignement de second degré. Ils n’ont plus le temps nécessaire pour procéder au
repérage systématique de l’illettrisme auprès des entrants. Et moins de la moitié des personnes repérées comme illettrées et un septième des personnes éprouvant des difficultés
de lecture ont pu accéder à une formation générale.
Les crédits dévolus à la formation professionnelle sont marqués par la même tendance : les
sommes versées par le ministère de l’Emploi et le Fonds social européen (les deux principaux financeurs de la formation professionnelle) se sont amenuisées de 15,8 % entre 2006
et 2010, alors même que les coûts des prestations se sont accrus et que la population
détenue a augmenté de 5,4 %. L’offre de formation professionnelle a dès lors été réduite et
le temps moyen de formation est tombé à 144 heures en 2010, contre 191 heures dix ans
auparavant. La pratique consistant à rémunérer tous les détenus stagiaires a été remise en
cause : nombre de formations ne sont plus rémunérées, avec pour effet de détourner les
détenus de ces cursus professionnalisants au profit de postes de travail non qualifiants, à
la seule fin de bénéficier d’un revenu.

13. Droits sociaux
(pages 324 à 334)

Majoritairement issue de milieux défavorisés, la population pénale se trouve souvent
dans une situation de grande précarité en détention et sort appauvrie économique-
ment et socialement de son expérience carcérale.
Outre la perte fréquente de leurs éventuels acquis (emploi, logement...), les personnes
détenues doivent simultanément faire face à une diminution de leurs ressources et à une
augmentation de leurs dépenses : elles se retrouvent tout à la fois exclues du bénéfice de
nombreuses prestations sociales – tel le revenu de solidarité active (RSA) – et confrontées
à un coût mensuel de la vie intramuros qui s’élève à plus de 200 euros.
En 2008, estimant que 35 % de la population incarcérée disposait de moins de 50 euros
par mois, la Chancellerie a reconnu que « certaines personnes détenues connaissent cette
difficulté dès l’incarcération. D’autres le deviennent par la perte des minima sociaux liés à
l’incarcération, la rupture, l’absence ou la perte d’un emploi en détention
 ». _ Elle ajoutait que
l’absence de ressources suffisantes en prison « crée une dépendance qui pèse psychologiquement et économiquement » sur la personne détenue et « son environnement familial »,
avec pour effet de la soumettre à « une situation de grande vulnérabilité » en détention et
d’aboutir à une «  remise en liberté sans ressources ou sans assistance, laquelle favorise
les nouveaux passages à l’acte délinquant
 ».
Pour autant, toutes les propositions visant à ce que la population incarcérée accède à une
quote-part du RSA – de la même manière que la population hébergée en établissement
sanitaire et social – ont été rejetées lors de la discussion parlementaire de la loi pénitentiaire. En refusant aux détenus l’accès aux « revenus convenables d’existence » dont bénéficient les personnes exclues du travail ou les travailleurs pauvres, les pouvoirs publics ont
pris la responsabilité de les maintenir dans une situation de grande pauvreté pendant leur
incarcération et à leur libération. « A-t-on besoin de fabriquer des récidivistes et des exclus
qui, les uns comme les autres, sont des charges lourdes pour la collectivité
 ? », interpelle
le président d’Emmaüs.

Notes

Alors même que l’institution pénitentiaire fait l’objet
d’une remise en cause permanente sur sa capacité à
respecter l’État de droit et les droits de l’homme, le
nombre de personnes incarcérées atteint des niveaux
historiques et les plans de construction de nouvelles
prisons se succèdent.
Au terme d’un long processus d’élaboration, la loi
pénitentiaire de novembre 2009 n’a finalement pas
apporté d’avancée majeure dans la reconnaissance
de droits visant à protéger la personne détenue.
Elle vient même entériner certaines régressions,
telle la mise en place de « régimes différenciés ».
Quant à l’injonction paradoxale faite au juge de
systématiser la réponse «  prison » (peines plancher) et
de transformer les courtes peines d’emprisonnement
en surveillance électronique, elle s’est accompagnée
d’un tournant législatif qui ajoute à des peines de
plus en plus longues des mesures de sûreté pour
les auteurs d’infractions les plus graves, sur la base
d’une évaluation de la « dangerosité » hasardeuse et
artisanale.

À
l’heure où la question de la prévention
et de la répression de la délinquance
et du crime s’est installée au cœur
du débat public, la radiographie de
l’univers carcéral français réalisée par l’OIP n’est
pas seulement une initiative citoyenne salutaire, elle
constitue une véritable démarche d’utilité publique.
En retraçant les évolutions des politiques pénales et
pénitentiaires au cours de la période 2005-2011, dans
toutes leurs nuances et contradictions, ce rapport
permet à chacun de connaître l’usage qui est fait de
l’emprisonnement et la réalité de ce qui se passe
derrière les murs de nos prisons.

L’Observatoire international
des prisons (OIP) est
une organisation non
gouvernementale dont l’action
vise à favoriser le respect
de la dignité des personnes
détenues. Créée en 1996, la
section française de l’OIP
défend les droits fondamentaux
des personnes incarcérées et
milite pour le développement
des mesures alternatives
à l’emprisonnement

Observatoire international des prisons – section française
7 bis, rue Riquet – 75019 Paris – Tél. : 01 44 52 87 90 – Fax : 01 44 52 88 09 – contact chez oip.orgwww.oip.org
Association loi 1901 à but non lucratif. L’OIP dispose du statut consultatif auprès des Nations unies.
SIRET 40766804500054 - code APE 9499Z

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