Une tribune pour les luttes

CQFD n°93 (octobre 2011)

Euromed dévore Marseille

Collectif on se laisse pas faire et le CIQ des Crottes
Non à Euromed, permanence le mercredi aux Crottes de 18 h à 20 h à la MMA, 36 rue de Lyon, 13015.

Article mis en ligne le mercredi 14 décembre 2011

http://cqfd-journal.org/Un-urbanisme-de-destruction


Un urbanisme de destruction massive

paru dans CQFD n°93 (octobre 2011), par Saskia Mori


Tel un rouleau compresseur lâché dans un bazar oriental, Euroméditerranée déploie sur les quartiers portuaires de Marseille une des plus grandes opérations de rénovation urbaine en Europe. Labellisé Ecocité, son second volet – Euromed II – coûtera 800 millions d’argent public, se financera en grande partie par la vente de terrains et devrait engendrer trois milliards de bénéfices privés. Aïe aïe aïe.

Le méga chantier euromed, qui concerne plus de 30 000 Marseillais, est composé de deux périmètres. Le premier, de 310 hectares, a été circonscrit dès 1995 par une Opération d’intérêt national. Le second, de 170 hectares, en est une extension décrétée en 2007 qui, entre 2011 et 2030, va plonger ses grosses pattes au cœur des quartiers Nord. Pour cela, la puissance publique se met en quatre pour séduire les investisseurs : les plans promettent espaces publics remodelés, parkings, tramway, écoles, bibliothèques, parcs… La Ville bradera son parc immobilier et accompagnera l’opération de montages médiatiques tel « Marseille Provence 2013 capitale européenne de la culture ». Au quartier d’affaires de 600 000 mètres carrés de la première tranche s’ajouteront bientôt 500 000 mètres carrés de bureaux sur Euromed II. On prétend attirer des activités économiques high-tech et changer l’image de la ville pour « réaffirmer son positionnement sur le marché national et international ». En finir avec l’image de ville pauvre est un objectif cher à la municipalité Gaudin, dont la politique de « reconquête » avance délibérément contre les pratiques, usages et commerces des différentes communautés. Rationalité, ordre, esthétique, sécurité sont les principes d’un projet immobilier qui contribue à une production urbaine très éloignée de la réalité locale : on insère dans les quartiers des îlots résidentiels visant une clientèle aux revenus bien supérieurs à ceux des populations existantes.

Pourquoi, alors que les milliers de bureaux déjà construits peinent à trouver acquéreur et que les quartiers résidentiels n’attirent pas foule, Euromed poursuit-il sa fuite en avant ? Parce que si cette mutation urbaine et sociale prenait – ce qui est loin d’être gagné –, le nouveau territoire convoité pourrait s’avérer bien plus juteux pour les investisseurs qu’Euromed I : alors que Bouygues, Nexity, Constructa et consorts n’ont pu croquer qu’un tiers du premier périmètre, Euromed II livre la quasi-totalité des 170 hectares de l’extension à l’appétit des promoteurs, notamment grâce à une population à la densité et à la capacité de résistance supposées plus faibles… Il ne s’agit pourtant pas ici d’une friche, mais d’un quartier bruissant de la vie de ses 3 000 habitants. Lieu de convivialité et de travail, le marché aux puces – alimentaire, textile et articles de maison –, troisième centre commercial de la ville irriguant l’ensemble des quartiers Nord, est devenu en vingt ans un symbole puissant de l’ingéniosité populaire. Aux Crottes (du provençal « crotos », « cavités ») sont installées des activités d’import-export en lien avec le port, ainsi que des grossistes en fournitures pour le BTP, et un secteur automobile florissant composé d’une myriade de garages et autres casses. Avec ses 700 entreprises et ses 5 000 emplois, le quartier est, au même titre que la vallée de l’Huveaune, l’un des principaux centres économiques de la ville. Cette zone au foncier bon marché et bien desservie par deux autoroutes est même stratégique pour le port, par le biais d’entreprises lui permettant « d’accrocher » la marchandise à terre. Bien sûr, avec un habitat délabré et des espaces publics inexistants, il devient de plus en plus difficile de vivre dans un quartier abandonné par les pouvoirs publics depuis plus de vingt ans. L’organisation des transports en commun entretient une coupure entre les quartiers Nord et le reste de la ville confinant à l’apartheid. Mais l’identité industrielle du quartier a maintenu des loyers raisonnables, permettant à une population précaire de vivre à proximité immédiate du centre. Ce foncier peu onéreux constitue aussi le point d’ancrage d’activités liées à un port au destin fragile.

Pourtant, au lieu d’améliorer la coexistence de ces activités avec les riverains, d’enrichir avec eux et pour eux leur cadre de vie, d’aider le port à redresser la barre, Euromed préfère la politique de la table rase et déclenche une véritable guerre contre la réalité des quartiers. Au nom de la sécurité et de l’hygiène, on lâche aujourd’hui la police contre la vente « à la sauvette », contre les Roms, contre les sans-papiers, afin de mettre au pas, de diviser les communautés et pour, surtout, asphyxier le quartier. L’objectif est de libérer deux millions de mètres carrés en rachetant au prix du marché des terrains qu’on prévoit de revendre cinq fois plus cher. Cette spéculation éhontée, au prix de la relégation en périphérie des activités et des habitants actuels, a pour but d’implanter un quartier résidentiel écologique et un parc de bureaux de plus de 500 000 mètres carrés. Pour changer radicalement l’image du territoire, les grands moyens seront employés : transfert d’une gare de fret, dépollution des terrains, recouvrement d’une partie de l’autoroute, construction d’un parc de quatorze hectares, d’un «  pôle multimodal », d’équipements métropolitains et, en front de mer, des tours conçues par des architectes de renom… Exit le marché aux puces et son réseau d’entraide populaire : un plus chic « marché des cinq continents » prendra sa place entre hôtels de luxe et un palais des congrès destiné à accueillir meetings de chefs d’entreprises et pompeuses manifestations culturelles.

Se gaver sur le dos des pauvres, les déplacer impunément par expulsion pure et simple ou par augmentation des loyers… Détruire le tissu social existant et jouir du territoire à sa guise, au bénéfice d’investisseurs que l’on attire en bradant la ville… Attirer les classes montantes en leur faisant miroiter via des images de synthèse un quartier prêt à consommer… Voilà le vrai visage d’Euromed.


Peuple de Marseille, réveille-toi et gronde !

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