Une tribune pour les luttes

Alexandra et les nombres

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Article mis en ligne le mercredi 14 décembre 2011

(Communiqué du Collectif de Soutien aux populations Rroms et bulgares turcophones de Bobigny)

Alexandra Cioban, 10 ans, sans ses parents depuis le 8 décembre.

Jeudi 8 décembre matin, Alexandra se rend à l’école Marie Curie (Bobigny-93). Lorsqu’elle rentre de l’école ses parents ne sont pas chez eux. Ils ont été emmenés par des policiers à l’issue d’une opération de contrôle.

Vendredi 9 décembre, des enseignants de l’école s’étonnent de l’absence d’Alexandra, elle est en effet assidue. Un enseignant, informé de l’opération policière de la veille, se rend sur le terrain. Alexandra n’y est pas. Elle est partie avec son frère au commissariat remettre à sa mère des documents administratifs. Son père, lui, a été expulsé la veille pour la Roumanie. Vendredi après-midi, Alexandra vient à l’école. Sa mère est transférée au CRA (Centre de Rétention Administrative) de Paris. Pour la seconde nuit consécutive, ses parents ne sont pas là.

Samedi 10 décembre matin, Gabriela, la maman d’Alexandra, passe au Tribunal Administratif de Paris. Elle conteste l’arrêté concernant son placement en centre de rétention. En effet, le 29 septembre 2011, elle s’est vue délivrer une OQTF (Obligation à Quitter le Territoire Français) remise sur son lieu de vie par des policiers. Elle habite sur le terrain dit de « la rue de Paris » qui appartient à la Séquano Aménagement et qui en mars dernier, à la demande de la Ville de Bobigny, a été mis à disposition des familles expulsées du terrain du pont de Bondy. La Ville de Bobigny est donc favorable à la présence de ces familles sur ce terrain et ni elle ni la Séquano n’ont jamais autorisé les forces de l’ordre à y pénétrer. Ainsi, c’est en dehors de tout cadre légal qu’à l’occasion des opérations du 29 septembre et du 8 décembre, la police s’est permis d’entrer sur un terrain privé pour aller chercher chez elles, des familles, les faisant sortir du terrain pour leur remettre une OQTF et/ou les interpeler. Nous rappelons que les OQTF contraignent leur destinataire à devoir quitter le territoire français et/ou à la contester dans délai de 30 jours. Gabriela a fait les deux puisque, après le 29 septembre, elle est rentrée en Roumanie. Par ailleurs, elle a déposé un dossier au B.A.J. (Bureau d’Aide Juridictionnel) en vue de faire un recours contre cette OQTF contestable tant sur le fond que sur la forme.

Malgré la production d’une preuve de sa sortie de France (OQTF tamponnée par les autorités roumaines lors de son séjour en Roumanie), malgré les éléments familiaux : une fille mineure à la maison ; le tribunal décide de rejeter sa requête. Suite à l’exposé des avocats des deux parties, les seules questions posées par le Président à Gabriela sont : « auprès de qui avez-vous fait faire ce tampon ? » et « quand êtes-vous revenue en France ? ». A la première question Gabriela répond : « auprès de la Police roumaine » à la seconde : «  le 15 octobre ». Cette décision de rejet est donc prise contre les déclarations de Gabriela et contre la preuve de sa sortie du territoire. Le Président s’est basé sur la position de l’avocat de la partie adverse qui lors de son exposé a déclaré : «  ces tampons sont facilement dupliqués, et c’est fréquent chez les roumains… ». Les déclarations non étayées (comment peut-il affirmer que ces tampons sont faciles à dupliquer ? Y a-t-il eu une enquête sur ce sujet ? Le document fourni a-t-il été expertisé ?), et les préjugés sur les Roumains l’ont donc emporté sur le témoignage de Gabriela et surtout sur les éléments de preuve !
Par ailleurs, le Président ne pose aucune question sur la situation familiale et ne relève même pas le fait pourtant mentionné par l’avocate de permanence à savoir que cette mesure administrative sépare une enfant de 10 ans de ses parents. Gabriela très digne, essayant jusque là de contenir sa détresse, est assommée par la décision qui vient d’être rendue, elle va s’asseoir, baisse la tête et pleure silencieusement. Quelques minutes après, escortée par 5 policiers elle est reconduite au CRA. La traductrice nous informe qu’elle souhaite faire appel. Elle restera donc, probablement en rétention encore pendant plusieurs jours. Le collectif la soutiendra dans cette démarche.

Notre collectif dénonce :
- le traitement injuste, inhumain et l’acharnement qu’exerce l’Etat français sur cette famille et sur tant d’autres,
- les conditions d’interpellation douteuses (pénétration de la police sur un terrain privé sans mandat, ni autorisation,…),
- la distribution massive d’OQTF sans valeur (non prise en compte de la durée de présence en France, non prise en compte de l’intérêt des familles, non respect de la procédure : entretien individuel,…),
- la non prise en compte de la situation familiale dans l’application des mesures administratives,
- la non prise en compte de l’équilibre psychologique d’une enfant de 10 ans risquant d’être traumatisée par cette expérience.
- une décision de justice qui ignore les faits et se base sur des discours sans fondement réel.

et appelle à un rassemblement de soutien : Mercredi 14 décembre, 13h00 devant le CRA de Paris

Demain, à l’école, Alexandra pourra travailler les nombres.
Les unités : cela fait 4 jours que sa mère est en rétention, 5 jours que son père a été expulsé.
Les dizaines : 45, c’est le nombre de jours que sa mère peut passer en rétention.
Les centaines : 105, c’est le nombre d’OQTF remise en 8 jours sur les terrains balbyniens de «  rue de Paris » et de la « rue de la République ».
Et si elle est douée, Alexandra pourra s’attaquer aux grands nombres.
La classe des mille : 17 500 c’est d’après notre ministre de l’intérieur, le nombre de reconduite à la frontière en septembre 2011, et 30 000 son objectif à atteindre d’ici la fin de l’année.
La classe des millions : millions, dizaines de millions ou vraisemblablement centaines de millions d’euros, c’est le coût (opérations policières, rétention, procédures, expulsion,…) de cette politique du chiffre aussi absurde qu’inutile.

Bobigny le 11 décembre 2011.

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