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CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme

Crise de l’accueil des demandeurs d’asile : la CNCDH adresse un avis au Gouvernement.

Article mis en ligne le mardi 3 janvier 2012

Communiqué de presse

Paris, lundi 2 janvier 2012 -

http://www.cncdh.fr/article.php3?id_article=890

Face à la crise du dispositif d’accueil des demandeurs d’asile, la CNCDH
a adopté le 15 décembre, un avis sur l’accueil des demandeurs d’asile fournissant des éclairages à
destination des autorités.

Rappel : l’asile, un droit protégé

Dans son avis, la CNCDH s’oppose à toute remise en question du droit d’asile, et rappelle que ce droit est
protégé tant par la Constitution que par différents engagements internationaux. Elle souligne également
que le droit communautaire impose à la France de permettre à tous les demandeurs d’asile de bénéficier
de conditions d’accueil décentes le temps de l’examen de leur demande, y compris ceux dont la demande
est traitée en procédure prioritaire.

Concernant les modalités d’accueil, la CNCDH réaffirme son attachement au modèle français : les
demandeurs d’asile doivent pouvoir faire le choix de leur mode d’hébergement durant la période
d’examen de leur dossier. Ceux d’entre eux qui ont de la famille ou des amis sur le territoire peuvent donc
être logés chez eux. S’ils souhaitent bénéficier d’un hébergement collectif, une place en centre d’accueil
doit leur être proposée. Il convient tant que possible d’éviter l’hébergement des demandeurs d’asile en
hôtel, solution coûteuse et inadaptée dans la mesure où certaines de ces personnes sont dans la nécessité
de bénéficier d’un accompagnement.


La CNCDH pour des conditions d’accueil dignes

La « rationalisation » du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile entreprise ces dernières
années a eu pour conséquence de précariser les droits des demandeurs d’asile, sans toutefois permettre
de réduction significative des dépenses engagées. Ainsi, les sommes allouées aux CADA (Centres d’accueil
pour demandeurs d’asile) sont largement insuffisantes, les demandeurs d’asile étant alors pris en charge
par le dispositif d’hébergement d’urgence, qui ne leur est pas destiné. Ce glissement d’un mode
d’hébergement spécifique (CADA) vers les dispositifs d’hébergement d’urgence est lourd en termes de
coût et a de nombreuses conséquences néfastes pour les demandeurs d’asile : principalement l’isolement
et l’absence d’accompagnement social, éducatif et juridique.

Enfin, la CNCDH regrette que la procédure prioritaire soit utilisée par l’administration pour réguler le
nombre de personnes prises en charge par le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile. En
effet, cette procédure, qui restreint les délais de traitements des demandes, prive les demandeurs d’asile
d’un droit à un recours suspensif, et les expose au risque d’un retour dans leur pays d’origine avant même
que leur dossier n’ait pu être étudié par la Cour nationale du droit d’asile.

La CNCDH souhaite donc que l’Etat veille au plein respect du principe de non refoulement et qu’une
éventuelle réduction de la durée de traitement de la demande d’asile ne se fasse pas au détriment de la
qualité des décisions prises.

Consulter l’Avis sur l’accueil des demandeurs d’asile en France, adopté par l’Assemblée plénière du 15 décembre 2011


COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE
DES DROITS DE L’HOMME

Avis sur l’accueil des demandeurs d’asile en France
(Assemblée plénière du 15 décembre 2011)

Le dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile (DNA) regroupe le dispositif
d’hébergement et le dispositif d’information, d’orientation et de premier accueil.
Le dispositif d’information, d’orientation et de premier accueil est animé par les plateformes
d’accueil des demandeurs d’asile qui sont censées permettre l’information et l’orientation mais
aussi l’accompagnement administratif et social.
Le modèle français d’hébergement est caractérisé par une liberté de choix par les demandeurs de
leur mode d’hébergement. A défaut d’un hébergement individuel, il appartient à l’Etat de fournir à
ceux qui le souhaitent un hébergement dans les Centres d’accueil pour demandeurs d’asile
(CADA) ; ces centres assurent hébergement, accueil et accompagnement administratif, social et
médical, scolarisation des enfants et organisation d’activités socioculturelles.
Lorsqu’ils ne sont pas accueillis en CADA, les demandeurs peuvent recevoir l’allocation
temporaire d’attente (ATA) ou être pris en charge par le dispositif d’hébergement d’urgence des
demandeurs d’asile (HUDA).

1. A des occasions répétées, la CNCDH [1] a interpellé le Parlement et le gouvernement pour
que le droit d’asile, reconnu tant par la Constitution que par différents engagements
internationaux de la France, et l’accueil des demandeurs d’asile soient effectivement
garantis. Pourtant, le dispositif national d’accueil connaît une crise majeure dans une
indifférence quasi-totale. L’ensemble des demandeurs d’asile, y compris ceux dont la
demande est traitée en procédure « prioritaire » ou ceux qui entrent dans le champ du
règlement Dublin II, a pourtant le droit de bénéficier de conditions matérielles d’accueil
décentes au sens de la directive 2003/9/CE du 27 janvier 2003 relative à des normes
minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres.

2. Cette situation critique est d’autant moins acceptable que les demandeurs d’asile n’ont pas
concrètement accès au travail durant leur procédure d’asile : la France leur oppose la
situation du marché de l’emploi même après la première année de l’examen de leur
demande à l’Ofpra ou pendant leur recours. Par ailleurs, le montant de l’allocation
temporaire d’attente [2] est insuffisant comme le Conseil d’État l’a souligné à de multiples
reprises [3] et ne permet pas de survivre en l’absence d’hébergement.
Cela rend d’autant plus nécessaire l’existence d’un dispositif d’accueil adéquat, seul à
même de permettre de garantir aux demandeurs un respect effectif de leurs droits. Les
conditions d’accueil des demandeurs ne sauraient constituer une variable d’ajustement à la disposition des autorités pour dissuader des étrangers ayant des craintes de persécution de
demander protection à la France.

3. La crise de l’accueil des demandeurs d’asile trouve plusieurs origines : la sous-capacité
structurelle du dispositif par rapport aux besoins d’accueil, l’augmentation relative de la
demande [4] et la baisse effective des crédits alloués au DNA.

4. A ces causes s’est ajoutée une crise de la gouvernance du dispositif d’accueil. Ces
dernières années ont ainsi été marquées par la disparition des Directions départementales
des affaires sanitaires et sociales (DDASS), la régionalisation de l’accueil et la création de
l’Office français pour l’immigration et l’intégration (OFII).
Cette crise de la gouvernance se manifeste également par la sous-dotation constante des
budgets consacrés à l’ATA et à l’hébergement d’urgence des demandeurs qui, au mépris
du principe de sincérité budgétaire [5], place chaque année sous tension les acteurs du
secteur. Sans cohérence d’ensemble et au détriment d’une gestion efficace des politiques
publiques, ces multiples changements ont rendu le pilotage et l’organisation de la politique
d’accueil illisibles. Par ailleurs, dès lors qu’elle se focalise sur la baisse des coûts, la
politique de «  rationalisation » du système d’accueil entreprise par le ministère ne peut
être vue que comme un nouveau facteur d’affaiblissement d’un secteur déjà en crise, ce
qui a des conséquences importantes pour les demandeurs eux-mêmes.

5. Profondément attachée au respect du principe de liberté de choix par les demandeurs
d’asile de leur mode d’hébergement, la CNCDH rappelle que ce principe ne doit pas être
utilisé par les autorités pour s’exonérer de leur obligation de fournir aux demandeurs
d’asile qui le souhaitent un hébergement. En 2010, selon le rapport de l’OFII [6], seuls 28,3%
de ceux y ayant droit étaient pris en charge dans les CADA alors qu’en 2008 le ministère
annonçait un objectif de 90% [7].

6. Les autres demandeurs, dépourvus de possibilité de logement chez des proches, sont soit
pris en charge par le dispositif d’hébergement d’urgence, lui-même largement insuffisant,
soit livrés à eux-mêmes ou aux marchands de sommeil. Cette situation résulte en grande
partie de la marginalisation des CADA au profit des dispositifs d’urgence : en 2010, les
crédits consacrés aux mesures d’urgence (HUDA+ATA) sont ainsi supérieurs à ceux
consacrés aux CADA. Une telle gestion à court terme a pour conséquence de confier
l’hébergement à des dispositifs plus onéreux, moins adaptés et n’incluant pas
d’accompagnement, alors que le total des crédits alloués aux dispositifs d’urgence et aux
CADA permettrait aisément un hébergement de tous ceux qui le souhaitent en CADA.

La CNCDH souhaite que l’objectif affiché d’optimisation de la prise en charge des
demandeurs dans les CADA soit privilégié pour répondre à l’augmentation de la demande
d’asile et que de nouvelles places soient créées. En parallèle, la définition d’un référentiel
prestations-coûts des CADA, lancée par le ministère de l’Intérieur, doit impérativement
préserver la qualité de l’accompagnement offert par ces centres tel que prévu par le Code de
l’action sociale et des familles.

7. La « rationalisation » du dispositif d’information, d’orientation et de premier accueil se
concentre autour du fonctionnement des plateformes d’accueil. Or l’un des schémas
proposés au ministre de l’Intérieur pour décision imminente supprimerait la mission
d’aide au dossier OFPRA et au recours, garantie pourtant fondamentale de l’accès à une
procédure d’asile effective. On ne peut que s’élever contre un affaiblissement de cet
accompagnement des demandeurs, ce d’autant plus qu’ils ne bénéficient pas toujours
d’une information adéquate de la part des autorités administratives [8].

La CNCDH recommande que la « rationalisation » entreprise de ces plateformes leur
permette de mener à bien chacune de ces missions, y compris l’accompagnement social et
juridique. Celui-ci est en effet essentiel pour garantir l’accès de tous à une procédure d’asile
effective et aux droits sociaux et se révèle particulièrement nécessaire dans un contexte de
saturation des CADA.

8. Enfin, la CNCDH rappelle que l’examen approfondi des demandes d’asile et le principe
de non refoulement ne peuvent être sacrifiés sur l’autel d’une «  rationalisation » du DNA.
Cette exigence nécessite de s’assurer que l’OFPRA et la Cour nationale du droit d’asile
(CNDA) soient mis en mesure de rendre des décisions de qualité. Cela implique
notamment de développer les moyens permettant une instruction approfondie prenant
notamment en considération les différentes formes de vulnérabilité des demandeurs
d’asile. La réduction des délais moyens d’instruction ne doit pas se faire au détriment de
la qualité de ces décisions. En outre, la CNCDH constate que le recours de
l’administration à la procédure « prioritaire » se systématise désormais comme technique
ordinaire de gestion de la demande d’asile. Privés de recours suspensif contre les
décisions de rejet de l’OFPRA, les demandeurs soumis à cette procédure expéditive
peuvent faire l’objet d’une mesure d’éloignement avant même la décision de la CNDA.

En conséquence, la CNCDH rappelle sa recommandation d’un recours à caractère suspensif
de plein droit pour tous les demandeurs d’asile et sa plus vive opposition au recours abusif à
la procédure prioritaire9. Elle souhaite que l’Etat veille au plein respect du principe de non
refoulement et qu’une éventuelle réduction de la durée de traitement de la demande d’asile
ne se fasse pas au détriment de la qualité de ces décisions.

(Résultat du vote en assemblée plénière : avis adopté par 21 voix pour – 2 abstentions

1
Voir notamment l’étude sur les conditions d’exercice du droit d’asile en France, étude publiée le 29 juin 2006 et l’Avis sur
les conditions d’exercice du droit d’asile en France et réponse du gouvernement 29 juin 2006

2
Conformément au Décret n° 2011-123 du 29 janvier 2011 revalorisant l’allocation temporaire d’attente, l’allocation de
solidarité spécifique et l’allocation équivalent retraite, ce montant s’élève à 10,83 euros par jour pour les seuls adultes.

3
Voir notamment CE, 19 juillet 2010, n° 341289, CE, référés, 19 novembre 2010, n°344286, CE, référés, 21 juillet 2011,
n°350760, CE, référés, 10 août 2011 N° 351324. Cette insuffisance de l’ATA avait par ailleurs été soulignée par le
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg dans sa lettre à Eric Besson, Ministre
français de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité Nationale et du Développement Solidaire (3 août 2010) ;

4
Selon l’OFPRA 52 800 demandes d’asile (mineurs et ré-examens inclus) ont été déposées en 2010, dont 36 900 premières
demandes, confirmant l’augmentation constatée en 2009. La tendance à la hausse continue en 2011 avec 33 600 premières
demandes d’adultes primo-arrivants pour les dix premiers mois selon l’OFPRA.

5
Celui-ci est consacré par l’article 32 de la loi organique relative aux lois de finances

6
Rapport d’activité de l’Office français de l’immigration et de l’intégration pour l’année 2010 (p.21) :

7
Projet annuel de performance - annexe au projet de loi de finances pour 2008

8
Ainsi, la version française du Guide du demandeur d’asile - en ligne sur le site du ministère en novembre 2011- date de
2009 et nécessiterait d’être actualisée. Cette brochure d’information n’est pas toujours effectivement remise dans les
préfectures malgré le nouvel article R751-2 introduit par le décret n°2011-1031 du 29 août 2011 dans le Ceséda. Par ailleurs,
l’agence européenne des droits fondamentaux a souligné, à l’occasion de son rapport thématique sur « L’obligation
d’informer les demandeurs concernant la procédure d’asile : la perspective des demandeurs d’asile
 », l’insuffisance
d’information des demandeurs d’asile en France.

9
Voir notamment l’avis sur la mise en œuvre de la Convention contre la torture, et autres peines ou traitements cruels,
inhumains

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