Une tribune pour les luttes

Quel financement pour notre sécurité sociale ?

Article mis en ligne le lundi 9 janvier 2012

Le projet du gouvernement vise à délester les entreprises du financement de la branche famille, tout en réduisant le coût du travail, et à le transférer vers l’ensemble de la population via une fiscalité indirecte (la TVA est privilégiée mais d’autres sources pourraient être utilisées comme la CSG ou la TIPP).

Outre les différentes réactions (Patronat, syndicats, PS , Bayrou, Le Pen, Mélenchon ou encore Madelin), on lira dans Les Echos la chronique de Jean-Marc Vittori intitulée "Le non-dit de la TVA sociale". L’éditorialiste écrit : "L’effet net de la TVA sociale est donc simple : les entreprises y gagnent, les salariés du privé peuvent espérer s’y retrouver mais les retraités, les fonctionnaires et les chômeurs y perdent. Or il y a dans le corps électoral 15 millions de retraités bénéficiant du régime général, 5 millions de fonctionnaires et 2 millions de chômeurs indemnisés, soit la moitié des électeurs".

Un autre éditorialiste, de la Tribune, indique le contraire dans "Les classes moyennes risquent d’être les grandes perdantes". Tout dépendra, bien sûr, des derniers arbitrages de Nicolas Sarkozy, "à la fin du mois de janvier" à quelques encablures du premier tour de l’élection présidentielle ! La Tribune (3-01) croit savoir que le gouvernement plancherait également sur une remise en cause de la défiscalisation des heures supplémentaires.

Le Monde note de son côté que le Haut Conseil du financement de la protection sociale, promis par N. Sarkozy le 15 novembre dernier et censé faire des propositions sur le sujet, n’est toujours pas en place. Interrogés mardi, l’Elysée et le ministère du Travail se sont montrés incapables de donner une date.

Cela bouge aussi du côté de François Hollande mais vers un moins grand risque. Le candidat socialiste veut "rapprocher" dès cette année l’impôt sur le revenu et la CSG, et non plus les fusionner (comme dans le projet PS). Il s’agit tout d’abord d’harmoniser leur assiette, celle de la CSG devant faire référence.

La question du financement est la question récurrente abordée dans de nombreux rapports. Le débat est double. Le niveau global des ressources affectées est il excessif ou insuffisant au regard des besoins, et des effets d’éviction économiques associés à des prélèvements massifs de la richesse produite par la Nation. Par ailleurs, la structure des ressources les modes de financement adoptés sont en question : l’assiette sur laquelle ils repose est t-elle assez dynamique au regard de l’évolution des dépenses ? Quels effets sur l’emploi, sur l’activité économique générale ?

La question est en apparence technique(cohérence) sociale (équité) et économique (efficacité). Mais elle est d’abord politique et voici pourquoi.
Pendant longtemps, l’absence de difficultés financières a permis de construire un politique de financement permettant d’accompagner la généralisation de la sécurité sociale et l’extension des risques couverts. Ce financement a accompagné efficacement la généralisation du système français de sécurité sociale. Il a assuré en 20 ans une multiplication par 4 des ressources de tous les régimes.

Cependant, au vu de l’évolution des risques, de l’ampleur des masses financières considérées (Un quart de la richesse produite par la pays), et du caractère souvent peu réversible des engagements financiers, une réflexion sur l’adéquation de la ressource, son importance, son évolution s’est imposée.

Cette réflexion, ancienne est devenue d’une actualité brulante avec les récentes attaques spéculatives contre les Etats incapables de présenter des budgets publics en équilibre. Notre intérêt est de défendre certaines options de financement stables, durables dans le temps, et équitables au plan de la répartition de l’effort, et d’en éliminer d’autres, si nous voulons défendre notre sécurité économique à long terme (Nos retraites, notre accès aux soins..). Une question au coeur des principaux enjeux politiques, économiques et sociaux du moment...

La politique de financement a longtemps a t-elle atteint ses objectifs de justice et d’efficacité ?

L’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale dispose que « la sécurité sociale trouve sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale ». Ce texte précise que le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population contre l’ensemble des facteurs d’insécurité ».

Le financement de la sécurité sociale repose sur 4 types de ressources : des cotisations sociales, des impôts et des taxes affectées (Droits sur les alcools, le tabac, les ocntrats d’assurance automobile, les activités polluantes, les contrats d’assurance complémentaire..) des contributions publiques versées par l’Etat et certains fonds. Ces ressources sont prélevées sur la masse salariale, le revenu professionnel net imposable ou les bénéfices industrtiels et commerciaux des travailleurs autonomes et des sociétés, sur les revenus de remplacament (retraites, et certains revenus de remplacement ...), sur certains revenus financiers (2%), et pour le reste, empruntées ..au budget de l’Etat (Cotisations fictives, subvention SNCF, Marins, Mines, RATP, AAH..) ou .aux générations futures.

Le financement, est d’abord assis sur les cotisations sociales. La branche vieillesse est financée à 80 % par des scotisations. La branche ATMP à 75% . La branche famille à 58 %. et la branche maladie à 47 %.. Cette structure de financement représente les choix faits à l’origine : le sécurité sociale sert des revenus de remplacement ayant un caractère de revenu différé financé par des prélèvements obligatoires sur la masse salariale, un des éléments essentiels du compromis initial. Cet élément aurait pu constitué un élément de souplesse important du système, puisque l’impôt est voté par le Parlement, tandis que le taux de cotisation relève du pouvoir réglementaire, lui même délégué aux décisions des conseils d’administration des organismes.

Les interprétations jurisprudentielles de la définition de cette assiette (avantages en nature, intéressement, PEE, primes assurances complémentaires, supplémentaires) ont conduit à des larges réductions d’assiette. Le principe de séparation PO/PP conduit à définir la notions de salaire brut (Salaire net + part ouvrière).

Le prélèvement sur les salaires évolue au cours des années 80 de la degressivité à la progressivité. Initialement dégressif, afin de limiter (plafonner) les montants des revenus de remplacement, l’assiette du prélèvement est déplafonnée (Ordonnances du 21 avril 196 pour la branche maladie, puis dans les années 90 pour les branches famille et ATMP). Puis, la généralisation d’exonérations de charges sur la bas salaires rend le prélèvement social fortement progressif. Ces allègements d’abord ciblés sur certaines populatiosn ou certains territoires sont généralisées. Ils reprsentent un des axes de la politique de l’emploi (2/3 des salariés concernés).

La contribution sociale généralisée est progressivement mise en place à partir de 1990 (1,1 % en 1991, 2,4 % en 1993 (dont 1,3 % FSV), 3,4 % en 1996 ; 7,5 % en 1998, 10 % en 2001. Compte tenu de son assiette, plus large que la masse salariale, un point de CSG représente plus de deux points de cotisations sur les salaires (10,6 milliards d’euros par % en 2007, contre 1 milliards pour 1 % de Cotisations maladie). De sorte que la montée en charge de la CSG a permis de réduire considérablement la part patronale des cotisations sociales, voire de supprimer toute cotisation pour les plus bas salaires dans le cadre de la stratégie européenne visant à abaisser le coût du travail.

L’assiette est en outre élargie aux chômeurs, aux retraités (6,6 en 2004) , aux revenus de placements (8,2 % en 2004) et aux Jeux (9,5 % en 2004)

Elle rapporte 75 milliards d’euros en 2006, dont 53 milliards pour les revenus d’activité, 11,6 milliards sur les revenus de remplacment, et 9,7 milliards sur les revenus du patrimoine. Globalement, les ressources fiscales affectées représentent 25 % en 2997. (dont 17 % pour la CSG). Contre 30 % en Allemagne, 32 % aux pays bas, 60 % au Royaume Uni, 65 % en Irlande, 90 % au Danemark.

Au delà de la CSG, les recettes fiscales affectées augmentent fortement au cours de la période récente. La compensation des mesures d’exonérations s’améliore progressivement ( 25 milliards d’euros, mais 2,6 milliards antérieurs à la loi de 1994 non compensés). Les impôts et taxes affectées représentent 35 milliards d’euros en 2006.

Le financement de la sécurité sociale était initialement prélevé au moyen d’une cotisation obligatoire de 4 % (part patronale) et 4 % (part ouvrière) en 1930, progressivement relevée à 10% (part patronale) et 6 % (part ouvrière) en 1945, et atteindre aujourd’hui près de 45 %. L’accroissement des cotisations sociales, puis l’élargissement de l’assiette (CSG), et la fiscalisation permettent de réaliser l’ambition initiale. Le recouvrement a progressivement accru son efficacité (Abaissement des taux de non recouvrés, divisés par 10, de 10 % à moins de 1 % dans la plupart des unions de recouvrement).

Sa logique a change de nature. Le lien professionnel s’est atténué.

L’évolution du contexte économique et social consacre les limites du financement actuel de notre sécurité sociale

Si le système a permis globalement d’accompagner l’augmentation coninue des dépenses, le poids des prélèvements n’a cessé de croître (12 % en 1960, 18,5 % en 1983, 16 % en 2003 en intégrant CSG et CRDS). Cette évolution s’est traduite par l’apparition de déficits qui interrogent sur l’efficacité de la politique de financement

Le développement du chômage pèse sur les recettes liées aux cotisations des actifs. Le poids parfois jugé excessif des prélèvements sociaux est objets de critiques (45% du PIB). Pourtant, le différentiel de coût du travail s’est réduit dans les années récentes. La croissance du prélèvement social n’a pas empêché l’accroissement des taux de marge des entreprises du fait d’une très forte modération des salaires.

Désormais, la France , en termes de coût du travail, s’est rapprochée de ses partenaires européens jusqu’à 1,6 SMIC.

La multiplication des exonérations de cotisations sociales (40 cas d’exonération) pour les chômeurs de longue durée, certaines zones géographiques (zones franches urbaines, zones de revitalisation rurales), ou certaines populations (contrats emploi formation) réduit de près de plusieurs milliards d’euros les ressources financières attribuées à la sécurité sociale, au risque de déséquilibrer les comptes.

La fiscalisation des ressources comporte certaines limites. L’inflation du nombre de prélèvements, la multiplication des impôts et taxes affectés (Droits sur le tabac, l’alcool, taxes sur les contrats d’assurance automobile, sur la publicité relative aux médicaments)..rend le financement devient ainsi plus complexe est moins lisible. Il perd ainsi à la fois en légitimité tout en devenant extrêmement difficile à maîtriser.

Un rapport de la commission des affaires sociales du Sénat (2004) souligne le problème de la multiplication des fonds annexes au budget de la sécurité sociale : fonds social vieillesse, fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, fonds CMU, fonds de réforme des cotisations sociales, fonds de financement de la protection sociale agricole, caisse nationale de solidarité autonomie. Aucun de ces fonds n’est associé à un financement unique.

Le report de la dette sociale sur les générations futures constitue une forme évidente d’injustice. Selon les estimations actuelles, le remboursement de la dette n’interviendrait pas avant 2025. Ce financement par l’emprunt de dépenses courantes représente un exemple de mauvaise gestion financière inacceptable, tant d’un point de vue technique que moral.

Améliorer le système ou le jeter aux horties ?

Pour s’adapter à ces évolutions, la politique de financement s’oriente vers une recherche accrue d’efficacité, au risque d’un certain recul de la préoccupation de justice sociale.

L’efficacité du recouvrement a nettement progressé. Le taux de restes à recouvrer est désormais inférieur à 1% grace à l’automoatisation, et une politique efficace de simplification administrative (Chèques emploi service). Le prélèvement à la source est plutôt bien accepté. Une mission parlkementaire consacrée à la question des fraudes a estimé à moins de 5 milliards les recttes non recouvrées pour ce motif, dont 500 millions pour le prélèvement social.

Les progrès réalisés dans la gestion de la trésorerie avec la création de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale par l’ordonnance de 21 août 1967 permettent d’améliorer l’adaptation aux crises conjoncturelles de financement.

De même, la séparation financière des différentes branches en 1994 clarifie les sources de difficulté, autrefois mutualisées. Enfin, le positionnement des sommes recouvrées sur le compte de l’ACOSS le jour même de leur réception au moyen notamment de l’automatisation des flux financiers (Versement en un lieu unique) représente un progrès certain.

Le suivi s’améliore, avec l’élaboration toujours plus fine des prévisions d’encaissement, de décaissement au jour le jour. Les déséquilibres, anticipés plusieurs mois à l’avance, sont couverts à moindre coût dans le cadre de conventions ACOSS – Caisse des Dépôts et des Consignations.

Les politiques de financement des différentes branches de la sécurité sociale se sont elles aussi adaptées.

La branche famille et la branche maladie ont ciblé des prestations vers les ménages les plus défavorisés et mis sous condition de ressources de plus en plus de prestations (CMU, RMI, API, ALS..).

La branche maladie, avec la réforme du 13 août 2003 augmente le rendement de la CSG, modifie le taux pour les pensions de retraite et les revenus du patrimoine.

La branche vieillesse, avec la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites allie une préoccupation d’efficacité financière et de justice sociale en alignant la durée de cotisation des fonctionnaires sur les salariés du secteur privé et remettant en cause les mécanismes de « surcompensation »..

Le caractère dégressif du prélèvement social du fait de son plafonnement peut interroger quant à son équité. Un revenu plus élevé cotisera moins en proportion qu’un revenu moyen, mais plus qu’un revenu très faible du fait des exonérations sur les bas salaires). De même, seul le salarié imposable bénéficiera de l’exonération de l’impôt sur le revenu sur les cotisations sociales versées.

Le désengagement croissant de la sécurité sociale ouvre un risque accru d’inégalités. Le reste à charge pour l’assuré est toujours plus important. La protection sociale facultative se développe, avec le risque du développement d’un système de couverture à deux vitesses, tant dans le domaine de la retraite complémentaire que dans celui de l’assurance maladie.

La question de l’équité intergénéraltionnelle est aussi posée. Faut instituer, et accroître les prélèvements sur les pensions de retraite ?

Nous voulons maintenir notre sécurité sociale, et donc trouver les ressources financières susceptibles d’en assurer la pérennité.

Quelle est la voie à suivre ?

Pour maintenir notre sécurité sociale : CSG ou TVA sociale ?

La CSG paraît moins défavorable aux salariés et présente l’avantage d’établir un lien visible entre le financement et la dépense, tout en demeurant au plus près de l’évolution du PIB. Ce débat sur la réforme des cotisations patronales est ouvert (Rapport Malinvaud, 1998, Rapport Chadelat 1995 , Rapport Fitoussi 2006, Avis CAE, COE CAS, juillet 2006).

Le mouvement de fiscalisation est un mouvement de fond à l’échelle internationale, dans une économie ouverte où le coût du travail – facteur de production très mobile, en particulier pour les activités de service. Les choix doivent cependant demeurer très attentifs aux biais introduits par ces prélèvements afin de ne pas décourager l’investissement.

Très récemment, l’Allemagne et la Suède ont réduit la taxation sur les bénéfices et le travail pour accroître la TVA et les taxes sur les activité spolluantes..

Comment allier justice sociale et efficacité économique ?

Le Rapport Malinvaud proposait dès 1998 de remplacer les prestations versées par la sécurité sociale par un mécanisme d’impôt positif. L’avantage de ce crédit d’impôt est de réduire les prélèvements obligatoires assis sur la masse salariale et d’accroître ainsi l’attractivité du territoire en offrant un main d’œuvre qualifiée à moindre coût aux investisseurs.

Des réflexions sont actuellement engagées sur les assiettes de prélèvement (Valeur Ajoutée, fusion CSG/IR). Il sera en toute hypothèse nécessaire de panacher plusieurs champs d’intervention : accroître l’efficacité économique dans la nature des prélèvements, optimiser la dépense et cibler, dans une logique de performance les prestations par rapport aux besoins.

Les divergences qui subsistent au sein du mouvement social ne doivent pas faire oublier qu’il y a au moins trois points d’accord fondamentaux pour justifier la défense et l’amélioration des systèmes de protection sociale ainsi que la recherche de moyens nouveaux de financement :

Seul le travail produit de la valeur qui est ensuite répartie sous forme de revenus ou prestations monétaires ; le capital n’en produisant pas, on a ici une première raison de refuser les mirages de la capitalisation et des assurances privées.

Plus sérieusement, les transformations touchant la taille et la structure par âges de la population, l’ampleur et le type de besoins à satisfaire sont à mettre en relation avec l’évolution de la productivité du travail, avec l’évolution du volume et de la qualité de la richesse produite et avec la répartition de celle-ci. C’est dire combien sont liées les questions de la productivité, de l’emploi, de la durée du travail, de la répartition de la valeur ajoutée entre salaires et profits, et de la part de la richesse que la collectivité décide de socialiser puisque les prélèvements sociaux constituent la part du salaire qui est socialisée.

Il résulte de cette imbrication des questions précédentes que la discussion sur le financement de la protection sociale est politique (parce qu’il s’agit de savoir comment peser sur le rapport de forces capital/travail, c’est-à-dire, d’une manière ou d’une autre, comment arracher un peu plus de valeur produite par le travail au capital qui se l’approprie).

Faut-il modifier le mode de calcul des cotisations sociales ?

Les cotisations sociales sont calculées en appliquant un taux à la masse salariale. Deux types de modifications sont évoquées explicitement, notamment par le SNUI, la CGT, le SNES, la Confédération paysanne, le PCF, ou plus évasivement par d’autres syndicats et associations :

Une modulation des taux en fonction de critères sociaux comme la qualité de l’emploi ou sa pérennité, l’objectif étant de dissuader les pratiques socialement néfastes.

Un élargissement de l’assiette des cotisations sociales à l’ensemble de la valeur ajoutée, l’objectif étant de faire contribuer les profits d’entreprises, surtout ceux des entreprises qui sont très capitalistiques, c’est-à-dire utilisant beaucoup d’équipements relativement à la main d’œuvre. (Nota : les entreprises privées sont toutes capitalistes mais plus ou moins capitalistiques).

Plusieurs arguments sont invoqués pour refuser ces modifications. Certains sont de type plutôt politique, d’autre de type économique.

Les arguments politiques

Les arguments de type politique ont été exposés par le sociologue Bernard Friot qui explique qu’il ne faut pas briser le lien organique qui unit la cotisation au salaire car elle en est partie constituante. La cotisation est une conquête sociale car elle oblige le capital à payer en partie le salarié à ne rien faire : quand il est malade ou à la retraite ; en ce sens, elle préfigure le dépassement du salariat par l’extension progressive de la part du salaire qui est socialisée.

La cotisation est assise sur le salaire qui reflète la qualification reconnue par les conventions collectives ; elle-même est donc reconnue socialement. Plus on distend le lien entre cotisation et salaire, plus on rend facile la dépossession de la gestion de la Sécurité sociale par les salariés.

L’augmentation des cotisations par le biais de l’élargissement de l’assiette fait entrer dans la masse salariale une fraction de la valeur ajoutée qui n’y entrait pas auparavant, au même titre que l’augmentation du taux de cotisation sur une assiette plus étroite ; le lien avec le salaire n’est donc pas rompu par l’élargissement de l’assiette.

Les besoins financés par le salaire socialisé sont des éléments constitutifs du salaire global, c’est-à-dire de la valeur de la force de travail (voir encadré 2), et non pas du temps payé à ne rien faire ; l’idée que le salaire est un " prix " social et politique beaucoup plus qu’un prix économique étant partagée avec Bernard Friot, ne serait-il pas dangereux de l’affaiblir en soutenant l’argument du " paiement à ne rien faire " ?

Le salaire reflète la qualification, mais beaucoup moins la productivité ou la production de valeur qui ne sont pas une œuvre individuelle mais collective ; la hiérarchie des salaires, et bien plus encore celle des revenus, reflètent davantage une position sociale et un rapport de forces qu’une contrepartie du résultat du travail fourni.

Les arguments économiques

Le capitalisme exploite la force de travail salariée et ne verse au travailleur qu’un salaire, bien sûr inférieur à la valeur créée, représentant l’équivalent de ce qui est considéré comme nécessaire pour satisfaire ses besoins et... continuer de travailler. Mais cela dépend très fortement de l’état de développement économique et du rapport de forces. Aussi, au fil du temps et des luttes, les besoins jugés socialement nécessaires évoluent : nourriture, habillement, logement, santé, loisirs, congés, et même retraites.

L’élargissement de l’assiette des cotisations ne fournit pas en lui-même des recettes supplémentaires s’il s’agit de répartir autrement les prélèvements. Il ne faut donc pas faire de la protection sociale un moyen de promouvoir l’emploi qui ne dépend pas essentiellement du coût du travail.

Le mouvement incessant des capitaux traduit l’exigence de chaque capitaliste d’obtenir un taux de profit sensiblement égal à la rentabilité moyenne des capitaux, quelle que soit la répartition de son capital entre le paiement des équipements et de la main d’œuvre ; dès lors, suite à un élargissement de l’assiette, les entreprises capitalistiques qui devront contribuer davantage répercuteront cette hausse de coûts sur leurs prix qui augmenteront relativement à ceux des autres branches ; l’avantage en termes d’emplois que certains espèrent de l’élargissement de l’assiette sera donc érodé car les entreprises de main d’œuvre n’auront pas plus de ressources disponibles.

L’augmentation des prix relatifs (voir encadré 3) des produits des branches capitalistiques pénalise les entreprises se situant dans le créneau de haute technologie sur lequel nous devrions nous situer dans la concurrence internationale et il y a donc un risque de dégradation du solde commercial extérieur. De plus, l’élargissement de l’assiette renchérirait le coût de l’investissement des entreprises capitalistiques et cela amoindrirait leur dynamisme et celui de l’ensemble de l’économie.

Décider d’abord du volume de ressources nécessaires pour couvrir les besoins sociaux

Le patronat sait faire ses comptes : il s’opposera à tout élargissement qui ne serait pas moins indolore pour lui que la hausse du taux de cotisations.

Quelle seront les conséquences d’une hausse des prélèvements sur le travail ?

La politique d’emploi est depuis plusieurs décennies fondée sur la baisse du coût du travail. Il s’agit d’améliorer le prix relatif des productions localisées sur notre territoire dans la guerre économique mondiale engagée par les camarades chinois.

C’est le principal argument en faveur de l’élargissement de l’assiette du prélèvement social (CSG).

Dans la phase de mondialisation du capital, les restructurations engagées soulèvent le problème de compétitivité y compris dans les secteurs les plus en pointe de nos économies utilisant une main d’œuvre très qualifiée (Nouvelles technologies de l’information, énergie solaire, ..), ou bien celui des secteurs moins à la pointe du progrès technique, utilisant une main d’œuvre peu qualifiée, celle dont la mise en concurrence mondiale se révèle la plus dramatique socialement (Secteurs du cuir, de l’habillement, ...) ?

Les effets de l’élargissement de l’assiette des cotisations

La question se pose depuis que la CSG a pris une part croissante du financement de l’assurance maladie. Depuis 1990 où elle avait un taux de 1,1% à aujourd’hui où son taux atteint 7,5%, elle a fini par couvrir environ un tiers de celui-ci par basculement progressif des cotisations sociales dites salariales sur la CSG.

A son origine, ses créateurs lui avaient donné comme objectif d’élargir le financement de l’assurance maladie à tous les revenus, salariaux ou non, perçus par les ménages. Une première contribution des revenus du capital était donc inaugurée, qui apparaissait comme un progrès puisque la CSG était non déductible du revenu imposable au titre de l’impôt progressif. Une petite dose de progressivité était introduite à l’intérieur d’un impôt proportionnel.

Au fil des années, les gouvernements ont peu à peu augmenté le taux de la CSG en instaurant la déductibilité presque totale. La CSG est donc de plus en plus un impôt foncièrement injuste et le résultat est aggravé par le fait que 85% de la CSG sont payés par les revenus salariaux qui ne représentent que moins de 60% de la valeur ajoutée.

Dans ce contexte, la poursuite de la fiscalisation se heurte aux mêmes objections politiques que précédemment qui elles-mêmes peuvent être contestées sinon réfutées. Bernard Friot y voit la logique beveridgéenne (qui est une logique de solidarité nationale) prendre le pas sur la logique bismarckienne (qui est une logique d’assurance supposant d’avoir cotisé préalablement).

A cela, d’autres répondent que la santé est un droit universel de la naissance à la mort qui dépasse les frontières du salariat et qu’il n’est donc pas illogique d’en concevoir un financement dépassant le cadre de la masse salariale, car ce n’est pas le canal du prélèvement qui fait la socialisation de la richesse, mais le prélèvement lui-même : ainsi, l’éducation payée par l’impôt n’est pas moins socialisée que la santé payée par la cotisation. L’important e²st que l’impôt soit juste, c’est-à-dire progressif, et non pas proportionnel comme la CSG et la TVA.

L’économiste Michel Husson invoque un autre argument à l’encontre de la fiscalisation : celle-ci décharge le patronat de la nécessité de payer du salaire socialisé, et renvoie cette responsabilité à la collectivité par le biais de l’impôt. L’argument est pertinent, mais alors il pourrait venir à l’appui de l’élargissement de l’assiette des cotisations sociales qui entend faire contribuer la part des profits d’entreprises qui échappe à tout. Michel Husson rétorque que c’est bien plus simple d’augmenter le taux de cotisations patronales pour le même résultat et qu’il n’y a pas besoin d’inventer une nouvelle machinerie. Ce à quoi on peut répondre que, politiquement, il pourrait être mobilisateur d’appeler à faire payer les profits.

Conclusion

De cette discussion se dégagent plusieurs enjeux importants.

Quel est le sens de la cotisation sociale et, de manière plus large, celui de tout prélèvement collectif ?

Il y a accord pour faire de la cotisation un salaire socialisé. Mais s’agit-il d’un salaire versé à ne rien faire ou d’un élément de la valeur de la force de travail ?

La conception de la cotisation comme paiement à ne rien faire pourrait rejoindre certaines des thèses justifiant le versement d’un revenu d’existence au motif que la valeur créée par le travail ne serait plus la source de tous les revenus, en contradiction avec le fondement réaffirmé ici conjointement par les partisans et les opposants d’une réforme du calcul des cotisations. Dans ce cas, il faudrait ouvrir une autre discussion pour expliciter cet enjeu.

Si, au contraire, le salaire socialisé est une fraction de la valeur de la force de travail, et si toute la valeur ajoutée est produite par le travail, alors il n’y a pas d’objection théorique à modifier la manière dont on calcule la cotisation en élargissant son assiette.

Imposer la socialisation du financement de notre sécurité économique dans le contexte actuel de guerre économique ?

Si l’on refuse la fiscalisation du financement de la protection sociale et si l’on réduit celle en cours, cela signifie que l’on pense pouvoir agir plus efficacement en pesant sur la répartition primaire des revenus, celle qui se joue à l’intérieur des entreprises. Et cette répartition-là peut être influencée favorablement pour les salariés par l’élargissement de l’assiette.

Si l’on accepte une dose de fiscalisation, c’est que l’on pense devoir compléter la première action en agissant sur les revenus déjà distribués aux ménages, les uns salariés, les autres rentiers.

Dans le premier cas, on mise sur la confrontation sociale dans l’entreprise. Dans le second, la confrontation sociale se fait par ménages interposés.

Mais dans les deux cas, il y a les classes sociales derrière. Peut-être faut-il jouer sur les deux fronts en fonction du rapport des forces. Ceux qui font valoir que l’ensemble des prestations sociales sont inhérentes à la condition salariale et qu’il faut considérer que la Sécurité sociale a pour finalité de distribuer et non de redistribuer ont certainement raison. Mais c’est un objectif politique qui aujourd’hui n’est pas atteint parce que l’existence de terribles inégalités engendrées par le capitalisme transforme de fait la Sécurité sociale en boîte de redistribution, et heureusement tant que le capitalisme existe !

Convergences d’analyse pour une convergence du mouvement social ?

Le livre d’ATTAC sur la santé et le document de la Fondation Copernic esquissent chacun de leur côté des propositions de compromis qui permettent de nouer des convergences, mais il est possible d’aller encore un peu plus loin, au moins au niveau de la réflexion pour l’avenir.

La CSG ayant pris une telle place aujourd’hui, elle n’est pas éliminable par enchantement. Donc il faut se battre pour l’appliquer également à tout type de revenu (participation, intéressement, stocks-options qui n’y sont pas soumis, et revenus financiers qui y sont peu soumis), la rendre de nouveau non déductible du revenu imposable, et, mieux, l’intégrer à l’IR, ou mieux encore si l’on craint que son intégration la dilue dans le budget de l’Etat sans qu’elle rejoigne les caisses de la Sécurité sociale, lui fixer un barème progressif. La proposition pourrait aller jusqu’à rendre à la CSG un vrai statut de cotisation. Il est intéressant de noter que le MEDEF propose d’élargir de plus en plus la CSG en la rendant totalement déductible.

On peut proposer de tendre vers l’application du même taux de cotisation patronale aux profits constatés dans les entreprises avant distribution de bénéfices et avant impôts. Cette application pourrait se faire progressivement dans le temps au fur et à mesure des besoins. Si cet élargissement de fait de l’assiette était mis en œuvre, on n’a pas besoin de mettre en place des modulations en fonction de l’emploi car l’élargissement prend en compte la structure du capital. L’inutilité des modulations renforce les sérieux doutes que l’on peut avoir sur leur efficacité en termes d’emplois.

Cette proposition rejoint celle exprimée ainsi par Michel Husson : " faisons cotiser les revenus financiers " plutôt que " taxation des revenus financiers ". Il est donc possible de rapprocher les points de vue : si l’élargissement de l’assiette des cotisations était décidé, il améliorerait la masse salariale par ponction sur les profits mais il ne faudrait pas en attendre une amélioration de l’emploi.

En un mot, autant l’amélioration de l’emploi est bénéfique à la Sécurité sociale, autant, à l’inverse, il serait dangereux et illusoire de se servir de la Sécurité sociale pour fonder une politique de l’emploi. Une assurance maladie obligatoire prenant en charge la totalité des soins est essentiel pour garantir un véritable accès de tous à la santé.

Ces mesures un peu techniques doivent être réinsérées dans la bataille pour l’emploi, les salaires et la fin des exonérations dont bénéficient les entreprises.

P.-S.

Il faut redire que le débat sur le financement de la Sécurité sociale s’inscrit dans une lutte contre la mondialisation libérale et contre la soumission de la production des biens et services collectifs, dont fait partie la santé publique, à la logique capitaliste. La protection sociale préfigure une économie solidaire où nous travaillerions pour d’autres valeurs, d’autres finalités que celle du profit.

Améliorer la protection sociale là où elle existe et la conquérir là où elle n’existe pas encore participent de notre volonté de promouvoir une société où la dégradation de la santé humaine, comme les dégradations de toutes sortes, ne soient pas un objet de lucre.

Max

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