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Communiqué de Survie, le 24 janvier 2012

CPI / Côte d’Ivoire : pour un examen de l’action de l’opération française Licorne

+ Côte d’Ivoire : la politique à courte vue de la France

Article mis en ligne le mardi 24 janvier 2012


Avec les liens :

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CPI / Côte d’Ivoire : pour un examen de l’action de l’opération française Licorne

24 janvier 2012

par Survie

Le 3 octobre 2011, les juges de la troisième Chambre préliminaire de la Cour Pénale Internationale ont autorisé le Procureur à ouvrir une enquête sur les événements consécutifs à l’élection présidentielle ivoirienne de 2010. Les juges ont aussi demandé que leur soit transmise « toute information supplémentaire à sa disposition sur des crimes qui pourraient relever potentiellement de la compétence de la Cour et qui auraient été commis entre 2002 et 2010 » [1]. Cette demande ouvre la possibilité d’un examen de l’action de la force française Licorne par une juridiction internationale.

L’association Survie transmettra prochainement un dossier au bureau du Procureur sur les exactions de l’armée française durant les désastreuses journées de novembre 2004. Dans cette perspective, toute information sur ces faits peut lui être transmise [2].

Membre de la Coalition Française pour la Cour Pénale Internationale (CFCPI), Survie s’est mobilisée pour la création de cet outil juridique, auquel nombre de personnalités politiques et militaires françaises étaient réticentes. Elle est souvent dépeinte comme une cour « pour juger les Africains » et comme un outil politique aux mains des grandes puissances, pour juger les leaders africains. En effet, les 7 situations ayant donné lieu à des enquêtes de la CPI se limitent à des pays d’Afrique et les 27 mandats d’arrêt et citations à comparaître délivrées jusqu’ici concernent exclusivement des Africains. Il faut saisir les opportunités pour qu’il en soit autrement et que la Cour exerce un contre-pouvoir sans soupçon de discrimination.

Une place particulière est laissée aux ONG dans le fonctionnement de la Cour. Contrairement à une idée très répandue, il n’est pas possible, pour une ONG de saisir ou de porter plainte devant la CPI. Le statut de Rome permet, en revanche, à une association comme Survie, de soumettre au Procureur des informations sur des faits relevant de la compétence de la Cour [3]. Sur la base des éléments transmis, il peut enquêter sur les faits concernés. Dans le cas contraire, le Procureur doit en aviser la source des informations [4], le plus souvent en argumentant.

Les éléments que Survie compte transmettre au Procureur de la CPI concernent un moment clé de la crise ivoirienne. Début novembre 2004, l’armée ivoirienne lance une offensive sur le nord du pays, sous le contrôle depuis deux ans d’une rébellion. Au cours de cette offensive, essentiellement aérienne, neuf soldats français de la force Licorne et un civil américain trouvent la mort dans un bombardement, le 6 novembre. Dès lors, c’est l’escalade : neutralisation des moyens militaires aériens ivoiriens et prise de contrôle de l’aéroport d’Abidjan par l’armée française, importantes manifestations contre l’armée française et exactions contre des expatriés. La prise de contrôle d’Abidjan par la force Licorne fera, en l’espace de quatre jours, plusieurs dizaines de morts parmi les civils ivoiriens. Les affrontements les plus importants ont eu lieu à l’aéroport d’Abidjan, devant la base militaire française de Port-Bouët, au niveau des ponts qui enjambent la lagune Ébrié, autour de l’hôtel Ivoire, mais aussi dans l’intérieur du pays, notamment à Duékoué.

Si le bilan chiffré – entre une vingtaine et une soixantaine de morts – de ces « quatre jours de feu » [5] de l’armée française reste sujet à controverse, les documents disponibles pour examiner les exactions commises ne manquent pas : un rapport [6] d’assistance fournie par l’Etat sud-africain à l’Etat de Côte d’Ivoire, deux reportages [7] diffusés par Canal Plus, articles d’enquête du Canard Enchaîné, une enquête d’Amnesty International [8]. Et les multiples contradictions relevées dans les déclarations successives du Ministère de la Défense français ! Les documents montrent en particulier les moyens disproportionnés employés par l’armée française face aux manifestants ivoiriens.

Malgré les demandes ivoiriennes, malgré les demandes de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, de la Ligue des Droits de l’Homme [9] et d’Amnesty International, malgré quatre propositions de résolution [10] visant à créer une commission d’enquête parlementaire, les autorités françaises sont restées sourdes aux demandes d’éclaircissements sur l’intervention française en Côte d’Ivoire. Interpellé par Amnesty International, le ministère de la Défense français avait répondu que le gouvernement ne demanderait pas de lui-même une enquête internationale indépendante, mais qu’il était disposé à collaborer si une telle enquête voyait le jour. Une enquête de la CPI pourrait être l’occasion de concrétiser enfin cette bonne foi.

Avec la reconnaissance de la compétence de la CPI en Côte d’Ivoire par Laurent Gbagbo, puis par Alassane Ouattara, la Cour pourrait donc être saisie de ces faits, si le procureur estime qu’il y a «  une base raisonnable pour ouvrir une enquête ».

Au soir du 10 novembre, au cours d’un entretien télévisé [11], le premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin, résuma sèchement la position française quant à une enquête sur les événements qui venaient de s’enchaîner en Côte d’Ivoire : «  On ne tue pas les soldats français sans que la riposte soit immédiate... ». Par cette démarche auprès du Procureur de la CPI, nous entendons faire prévaloir l’esprit de justice sur la loi du talion. Cette initiative s’inscrit dans la volonté de Survie de mettre fin à l’impunité des crimes commis par l’armée française en Afrique.

Les informations transmises devront être le plus étayées possible. Ces informations peuvent évidemment aussi être adressées au Procureur par toute autre organisation qui entame une démarche similaire. Toute personne souhaitant transmettre à Survie des éléments (témoignages oraux, écrits, vidéos, photos, liste de victimes avec coordonnées, etc.) afin d’enrichir le dossier peut le faire :

* Par voie postale :
Association Survie
107 boulevard de Magenta
75010 Paris

* Par email : dossiercpi chez survie.org

* Par voie électronique sécurisée (nous contacter d’abord sur dossiercpi chez survie.org)

En cas de transmission d’éléments, il sera utile de préciser, notamment, les conditions d’anonymat, les moyens pour contacter les témoins éventuels et s’ils seraient prêts à témoigner.

[1] Communiqué de presse de la CPI du 3 octobre 2011, La Chambre préliminaire III de la CPI autorise le Procureur à ouvrir une enquête en Côte d’Ivoire, ICC-CPI-20111003-PR730

[2] Survie ne souhaite pas avoir l’exclusivité d’une telle démarche. Les témoignages peuvent être adressés au Procureur par l’intermédiaire d’autres organisations

[3] Article 15.1 et 15.2 du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale

[4] Article 15.6

[5] Nom d’un documentaire, cf. infra

[6] Intitulé Rapport d’enquête sur les fusillades survenues en Côte d’Ivoire en novembre 2004

[7] Côte d’Ivoire : Quatre jours de feu, diffusé le 30/11/2004 et Le mardi noir de l’armée française, diffusé le 08/02/2005

[8] AFR 31/005/2006, Affrontements entre forces de maintien de la paix et civils : leçons à tirer, 19/09/2006

[9] Communiqué de presse commun de la FIDH et de la LDH du 30/11/2004

[10] Deux ont été déposées le 01/12/2004, les deux autres les 26/10/2005 et 12/07/2011

[11] Questions ouvertes, France 2, le 10/11/2004. Cet entretien est repris dans les Déclarations Officielles de politique étrangère du bulletin d’actualité du Ministère des Affaires Étrangères français du 15/11/2004


Côte d’Ivoire : la politique à courte vue de la France

7 décembre 2011 par Survie

http://survie.org/francafrique/cote...

Alors que la communauté internationale a le regard tourné vers le transfert de Laurent Gbagbo à la Cour Pénale Internationale, la Côte d’Ivoire organise le 11 décembre des élections législatives dans un contexte politique et sécuritaire dégradé. L’aveuglement volontaire de la France et de la communauté internationale est inacceptable.

Cette échéance électorale fait partie du chronogramme négocié par l’ex-président Laurent Gbagbo et les rebelles du Nord. Un processus certifié par l’ONU qui avait pourtant déjà renoncé à accompagner à son terme le désarmement, préalable à l’élection présidentielle de décembre 2010. Dans ces conditions, le pire scénario a pu se dérouler : l’installation par la force d’Alassane Ouattara par les ex-rebelles, avec l’appui déterminant du contingent militaire français et l’aval de la communauté internationale.

Huit mois après, la Côte d’Ivoire n’est toujours pas réunifiée. Le nord reste toujours sous la coupe d’ex-rebelles qui recouvrent des taxes, contrôlent les douanes et exportent les ressources du pays pour leur propre compte.

Sur le plan politique, l’opposition est décimée et le poids des ex-rebelles empêche l’application de l’accord électoral liant Alassane Ouattara à ses autres alliés politiques. En outre, avec un redécoupage électoral sur mesure, le résultat des élections législatives habillera les ex-dirigeants rebelles, devenus candidats aux législatives, d’une nouvelle légitimité.

La sécurité des Ivoiriens, confiée aux ex-rebelles, est toujours précaire. Une étude menée par trois organisations [1] estime que des centaines de milliers de personnes déplacées vivent toujours dans des conditions indignes et que l’ouest, théâtre de crimes de masse, est particulièrement touché : « Compte tenu de la persistance d’attaques en représailles, d’arrestations arbitraires, de tueries, de violences sexuelles, de harcèlement verbal et de taxations illégales, la population continue de vivre dans la peur dans une région « inondée d’armes », selon la formule du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies ».

L’impunité est toujours la règle et la justice partiale. Si des poursuites ont été engagées contre les partisans de l’ex-président, et que Laurent Gbagbo vient d’être confié à la Cour Pénale Internationale, « aucun membre des Forces Républicaines [2] n’a été arrêté pour des crimes commis durant le conflit  » [3] malgré les promesses répétées d’Alassane Ouattara. Ces crimes sont pourtant documentés par de nombreuses organisations internationales.

Dans ces conditions, « la stabilisation de la Côte d’Ivoire sur les plans politique et sécuritaire pourrait, en fin de compte, dépendre de la tenue en temps voulu d’élections législatives et municipales libres, démocratiques et transparentes. L’organisation de ces élections, dans un pays où les divisions politiques sont profondes, où l’infrastructure électorale laisse à désirer et où les conditions de sécurité sont précaires, demeure une gageure. » a estimé le Groupe d’Experts de l’ONU sur la Côte d’Ivoire dans son rapport de mi-mandat d’octobre 2011. Ce dernier n’exclut d’ailleurs pas « une reconsolidation des groupes d’opposition et la perspective d’une reprise des hostilités à la suite des prochaines élections législatives » alors que les armes prolifèrent. Conscient de ce risque, le gouvernement français, plutôt que de miser sur le désarmement et l’apaisement, soutient la mise sur pied d’un dispositif répressif. Dépêché sur place, son ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, a fait don de matériel policier, en prélude à un grand programme d’équipement dans le cadre d’un contrat plan entre les deux pays [4]. Surtout, la présence militaire française a été réaffirmée par Nicolas Sarkozy et un accord de défense rénové sera signé très prochainement.

C’est à l’aune de ce constat que l’on mesure l’aveuglement de la diplomatie française, exprimé par Alain Juppé le 8 novembre, à l’Assemblée nationale : « Nous avons sur l’Afrique une ligne de conduite très claire. Pour nous, ce qui est prépondérant c’est d’assurer à l’Afrique des élections qui soient claires, transparentes, garanties par une surveillance internationale et qui permettent de faire émerger des régimes véritablement démocratiques. (...) C’est le combat que nous avons mené en Côte d’Ivoire (..). Ce sera le fil conducteur de notre politique africaine ».

L’association Survie demande :

* le retrait définitif des militaires français de Côte d’Ivoire ; que la lumière soit faite sur l’implication de l’armée française et de l’ONU dans l’avancée vers Abidjan des ex-rebelles (soupçonnés pour certains de crimes contre l’humanité) lors de la crise poste-électorale de 2010-2011 ;

* que le parlement français exerce son contrôle sur l’opération Licorne, conformément aux dispositions prévues par la réforme de la Constitution de juillet 2008, et crée une commission d’enquête parlementaire sur l’ensemble de cette action depuis son déploiement en 2002 ;

* de conditionner les relations avec le nouveau pouvoir ivoirien à l’obligation de poursuivre les responsables des crimes commis en particulier dans l’ouest de la Côte d’Ivoire et de les exclure de tout rôle politique ou militaire ;

* qu’en particulier, la coopération franco-ivoirienne sur le plan de la sécurité respecte l’embargo international sur le matériel militaire et les matériels connexes à destination de la Côte d’Ivoire, en vigueur depuis 2004.

[1] Care, Conseil Danois pour les Réfugiés, Oxfam, « Pour des solutions durables en faveur des Ivoiriens déplacés », 11 octobre 2011

[2] Par son décret du 17 mars, Alassane Ouattara a pris à son compte les ex-rebelles, sous le nom de Forces Républicaines de Côte d’Ivoire, destinées à devenir la nouvelle armée de Côte d’Ivoire.

[3] Human Rights Watch, « Ils les ont tués comme si de rien n’était. Le besoin de justice pour les crimes post-électoraux en Côte d’Ivoire. », octobre 2011,pages 8 et 9

[4] AIP- Agence Ivoirienne de Presse, 7 novembre 2011

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