Une tribune pour les luttes

OWNI

Le consulat de Total au Canada

Sylvain Lapoix

Article mis en ligne le vendredi 2 mars 2012

A lire de préférence avec les illustrations, carte, documents et liens :
http://owni.fr/2012/03/01/le-consul...

Le 1 mars 2012

Les moyens de la diplomatie française réduisent comme peau de chagrin depuis 2007. Sauf quand il s’agit des intérêts de Total. Le géant pétrolier est le principal bénéficiaire de la création d’un consulat français de Calgary, au Canada, en août 2010.

Inauguré le 5 août 2010 dans la province d’Alberta, égarée dans les grands espaces canadiens, le consulat français de Calgary a hérité d’un doux surnom : “le consulat Total”. Seule représentation de Paris créée depuis 2009 en dehors des Etats nouvellement indépendants, ce bureau dessert un territoire où les Français sont encore rares mais dont le géant pétrolier convoite les ressources en hydrocarbures : dans la région de l’Athabasca, Total a obtenu des autorisations pour exploiter les sables bitumineux, gisements à l’exploitation ultra polluante d’hydrocarbures lourds. Une perspective dont le ministère des Affaires étrangères français a tenu grand compte au moment d’installer cette représentation exceptionnelle.

Un réseau consulaire “à l’os”

Au regard de la communauté française au Canada, la création d’une antenne à Calgary se justifiait peu : là où l’on compte plus de 10 000 Français à Vancouver et Québec et 50 000 à Montréal, la capitale de l’Alberta ne réunit que 1 650 expatriés. Trois fois moins que Vancouver qui disposait déjà d’un consulat général, offrant tous les services nécessaires aux ressortissants.

Au Quai d’Orsay, certains agents se sont étonnés de la création d’un consulat à Calgary. D’autant plus que, selon une expression fort peu diplomatique du rapport sur l’action extérieure de l’État dans le cadre du projet de loi de Finances 2012, le réseau consulaire mis à la diète par l’application de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) est désormais “à l’os” du fait des réductions d’effectifs. Le sénateur socialiste Richard Yung pousse même le constat un peu plus loin :
Nous ne sommes même plus à l’os : ça commence à craquer ! Les effectifs ont été tellement réduits que les consulats ne reçoivent désormais plus que sur rendez-vous et que la moindre tâche administrative de base prend trois semaines. La question que nous posons avec ce rapport, c’est de savoir s’il faut maintenir un tissu aussi dense : à Los Angeles, par exemple, il y a un consulat d’Allemagne, un pour l’Italie, un autre pour la France… Alors qu’ils passent leur temps à délivrer des visas Schengen. Tout cela pourrait être fait par un consulat Schengen unique.

A Calgary, le problème ne se pose pas : si la Grande-Bretagne projette d’y installer une représentation en 2012, la France est pour l’instant le seul État européen à disposer d’un bureau. Total a, en cela, précédé son concurrent britannique BP dans le lobbying auprès de son pays d’origine.
“Consulat d’influence”

Installée depuis 2008 à Calgary, la filiale Total E&P Canada a été, selon un source diplomatique, fort déçue de la décision de Paris d’en faire un consulat d’influence, et non un consulat général. Ce statut ajoute à la présence diplomatique toute la panoplie des services qui facilitent la vie des expats (visas, papiers administratifs…).

Au vu du potentiel des sables bitumineux d’Athabasca, et malgré l’impact écologique désastreux de leur exploitation dénoncé par de nombreuses ONG, le groupe français a mis de gros moyens pour développer son ancrage canadien. Perspectives d’investissements : 20 milliards de dollars canadiens et 1 500 salariés sur place à l’horizon 2020 pour diversifier les sources d’approvisionnement en pétrole brut. Une somme qui ne comprend pas que la location des locaux et le paiement des salaires.

Gymnase Total au lycée français

En plus d’une bourse à l’école d’ingénierie de Calgary, la société a pris à sa charge 1,2 millions sur les 7 millions de dollars canadiens qu’a coûté l’extension du lycée français de Calgary, Louis Pasteur, dont le gymnase porte désormais le nom de “Gymnase Total E&P Canada”. Elle finance aussi à hauteur de 200 000 dollars canadiens un programme de la faculté de sciences de l’université de Calgary. Les dirigeants du groupe auraient activement plaidé pour l’implantation du consulat, sujet abordé selon un habitué du Quai d’Orsay, “à l’occasion des visites que font les dirigeants des multinationales françaises au ministère des Affaires étrangères”.

Gros exportateur de carburant issu des sables bitumineux, le Canada est visé par une directive sur la qualité de l’énergie ...

Mais l’intérêt stratégique et politique n’est pas que celui de la firme pétrolière, nous assure un membre du corps diplomatique proche du dossier. Calgary est la ville d’origine de l’actuel Premier ministre du Canada, Stephen Harper, leader du parti conservateur diplômé en économie de l’université de la ville. Une ville qui a aussi donné naissance à l’équivalent canadien de “l’école de Chicago”, qui défend dans la branche conservatrice la dérégulation et la libéralisation de la plupart des secteurs de l’économie, dont le secteur de l’énergie.

C’est sous l’impulsion de cette mouvance que l’Alberta a facilité l’accès à ses ressources en hydrocarbures aux sociétés pétrolières étrangères. De son côté, le Premier ministre a été l’objet d’accusations de lobbying en faveur des gaz de schiste et sables bitumineux. Révélés par la branche britannique des Amis de la Terre, plusieurs échanges ont montré l’acharnement des autorités canadiennes pour torpiller la directive européenne sur la qualité des carburants, qui menaçait les exportations de pétrole d’Alberta vers le Vieux Continent.

Comme OWNI l’a rappelé dans un précédent article, Bercy avait poussé en faveur du gouvernement canadien dans ce combat, contre l’avis du ministère de l’Écologie. Et ce à la demande de Total. En installant une cabane au Canada pour plaider la cause du pétrolier français, le Quai d’Orsay offre la preuve que le leader du Cac 40 a plus d’un ministère dans son sac.

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Vos commentaires

  • Le 3 mars 2012 à 04:37, par guy En réponse à : Le consulat de Total au Canada

    c’est un super article (ironique !).
    J’habite au CANADA et tout particulièrement Calgary.

    je souhaiterais préciser plusieurs choses.

    Que le consulat a CALGARY n’est pas ouvert tous les jours et que le consulat fais des trajets entre EDMONTON et CALGARY pour pouvoir gérer les 2 Consulats (c’est un bureau pas un bullding). Je vois arriver la question pourquoi 2 consulats en Alberta. Très simple le consulat ne gère pas que l’Alberta mais aussi le Saskateshan, une autre province du Canada.
    Je trouve que d’avoir 2 consulats (a ne pas confondre avec un Ambassade) c’est une très bonne choses je tiens a faire remarquer que la CANADA est très grand, pour vous donner un petit exemple concret il faut 2h30 de vol pour traverser du nord au Sud juste l’Alberta
    (soir 2 fois la FRANCE).

    Pour ce qui est de la critique sur le consulat TOTAL, elle est très facile. Oui Total est le première partenaire et Oui il a aidé a la construction du gymnase du lycée FRANCAIS. Je trouve ça bien et normale. Franchement l’état français a déjà du mal a subventionner des constructions ou a offrir des aides pour les métropolitains, alors imaginer si on parle de 35000 personnes seulement. Il est trop facile de critquer quand on ne vit pas au Canada. Peut être que Total est un lobbiste dans notre pays (la FRANCE) mais sachez qu’ici quand vous parler de TOTAL on vous demande si c’est pas une boite d’informatique.

    Alors je souhaite remettre les chose en place, il est trop facile de critique mais les services que rend le consulat sont important pour les Francais qui y réside c’est un peu notre mairie rurale.

    Maintenant que Pierre Paul ou Jacques donne de l’argent pour faire fonctionner les services Public, je trouve ça bien et je remercie TOTAL pour ça.

    Pour finir je souhaite dire que je ne travail pas pour le consulat (j’ai juste rencontrer le consule 2 fois) et pas pour TOTAL donc je n’ai aucun partie pris dans les deux camps c’est juste un constat et une réponse à la critique

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