Une tribune pour les luttes

Collectif "Les mots sont importants"

Homais et Mozart

par Odile Tobner

Article mis en ligne le dimanche 4 mars 2012

3 mars 2012

En affirmant publiquement la supériorité de notre civilisation, l’inénarrable Guéant a ouvert les vannes à un flot ininterrompu de stupidités, ce qui était probablement le but poursuivi. Ainsi Bruno Gollnisch, le penseur du Front national, et Luc Ferry, célèbre conférencier mondain, ont soutenu cette ânerie en comparant Mozart et le tam tam.

C’est là une vieille ficelle de la rhétorique raciste, que celle qui consiste à comparer les productions les plus sophistiquées d’une culture donnée avec le folklore d’une autre. Ces deux Homais manifestent surtout par là leur méconnaissance crasse de l’art musical, qui se réduit pour eux aux clichés les plus éculés. Il faut être un véritable esthète pour être en mesure d’apprécier les productions artistiques des cultures éloignées, qui restent impénétrables aux philistins.

Ainsi Gide, dont le goût musical dépassait de cent coudées celui de tous les Gollnisch et Ferry réunis, décrit, dans le Voyage au Congo, ce qu’il a entendu dans un village d’Afrique centrale :

« Un chant extrêmement bizarre (chœur des enfants surtout) avec l’emploi d’un quart de ton, d’autant plus sensible que les voix sont très justes, qui fait un effet déchirant presque intolérable », et encore : « Cette polyphonie par élargissement et écrasement du son est si désorientante pour nos oreilles septentrionales que je doute qu’on la puisse noter avec nos moyens graphiques […] L’attaque du refrain se fait à la fois sur plusieurs notes. Certaines voix montent, d’autres descendent. On dirait des lianes autour de la tige principale, épousant sa courbe mais sans la suivre exactement. »

Les stupidités sur certaines productions de l’art plastique de l’antiquité africaine ne manquent pas non plus, surtout chez les ethnologues, qui leur appliquent les poncifs sur «  l’âme noire », son instinct, sa spontanéité, pour expliquer le caractère stylisé des formes. Le choc que subirent les artistes européens au début du XXème siècle au contact de ces œuvres, « qui abandonnent les données sensibles au profit des données conceptuelles », selon la profonde remarque d’Emmanuel Berl, fait justice du préjugé. Derain et Picasso admiraient « avec quel art les indigènes de la Guinée et du Congo arrivaient à reproduire la figure humaine en n’utilisant aucun élément emprunté à la vision directe ». Cet art de l’essentiel, qui marque un moment spécifique de l’art en Afrique, lequel se trouve être postérieur à la statuaire d’Ifé, d’un minutieux réalisme, est tout sauf un « art premier », comme une vision primaire l’a dénommé.

(...)

http://lmsi.net/Homais-et-Mozart

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Analyse/réflexions c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 2110