Une tribune pour les luttes

La Méditerranée et l’Île-de-France, nouveaux eldorados des pétroliers ?

Basta mag

Article mis en ligne le vendredi 6 avril 2012

http://www.bastamag.net/article2269.html

MENACES SUR L’ENVIRONNEMENT
La Méditerranée et l’Île-de-France, nouveaux eldorados des pétroliers ?
PAR MAXIME COMBES (5 AVRIL 2012)

Avec l’augmentation du prix du baril, les entreprises pétrolières et gazières prospectent à tout-va. La France n’échappe pas à cette ruée vers l’or noir. Des pétroliers texans s’intéressent de près aux côtes marseillaises. Des multinationales s’appuient sur des recherches scientifiques pour sonder les fonds au large de la Camargue. Plusieurs permis d’exploration sont en passe d’être renouvelés à proximité de l’agglomération parisienne. Collectifs citoyens et élus commencent à s’inquiéter.

Des plateformes pétrolières érigées au large de la Camargue ? Les flammes des torchères illuminant l’horizon nocturne de la cité phocéenne ? Des oléoducs traversant le Val-de-Marne… Une crainte sans fondements ? Rien n’est moins sûr. Cela pourrait bien devenir une réalité si l’actuelle ruée pétrolière se confirme. Il y a d’abord ce projet de recherche scientifique lancé par l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) et le CNRS. Baptisé « Gold » (pour « Gulf of Lion’s Drilling », forage du golfe du Lion), les chercheurs prévoient de réaliser un forage de plus de 11 km sous la surface de la mer, à environ 200 km au sud de la Camargue. Un bateau spécialisé japonais, le Chikyu, sera chargé de prélever les sédiments qui se sont accumulés dans cette zone depuis vingt-cinq millions d’années. Objectif : « Étudier les variations du climat global et celles du niveau marin, les événements géologiques extrêmes comme le Messinien [1] », la « biosphère souterraine ». Mais aussi identifier d’éventuelles « ressources énergétiques » et le « potentiel en hydrocarbures sous le sel ».

Car les intérêts pétroliers ne sont jamais bien loin ! Depuis la découverte au large du Brésil en 2006 d’énormes réserves de pétrole sous une épaisse couche de sel, les pétroliers spéculent sur le fait qu’il puisse en être de même en Méditerranée. Très coûteux, ce forage pourrait être en partie financé par des compagnies pétrolières qui, sous prétexte de recherches scientifiques, pourraient ainsi poursuivre leurs explorations tous azimuts. Cinq compagnies pétrolières – Total (France), Petrobras (Brésil), Statoil (Norvège), Sonatrach (Algérie), Melrose (Grande-Bretagne) – ont d’ailleurs participé à un groupe de travail autour du projet. Celui-ci doit être soumis à validation auprès du programme international de forage des océans [2]. L’intérêt scientifique du projet risque ainsi d’être entaché par la proximité des pétroliers.

Les pétroliers texans au large de Marseille

D’autant qu’une autre échéance approche : le renouvellement du permis d’exploration « Rhône maritime ». S’étendant sur 9 375 km², plus que la taille de la Corse, cette zone de prospection pétrolière est située à environ 30 km des côtes varoises et à moins de 30 km du périmètre du futur parc national des Calanques. Et cette zone intéresse vivement les pétroliers texans ! Le permis a initialement été délivré en octobre 2002 à la société TGS [3], spécialisée dans l’exploration géologique, siégeant à Houston, au Texas, et dont le conseil d’administration est largement composé de personnalités issues du secteur pétrolier (Shell, Halliburton, Statoil Russia). Le permis a été prolongé en octobre 2006 au profit de la société Melrose Mediterranean Limited, filiale d’une obscure compagnie pétrolière britannique, Melrose Resources (la même qui pourrait être associée au projet Gold). Aujourd’hui, il est détenu par Noble Energy France, créée il y tout juste deux ans, dont la maison-mère se trouve, elle aussi, à Houston. Noble Energy participe notamment à la prospection et à la production de pétrole ou de gaz en Pennsylvanie (gaz de schiste), dans le golfe du Mexique (forage en eaux profondes) ou au large du Cameroun.

La décision de renouveler le permis Rhône maritime doit être prise au plus tard le 11 avril 2012. Une perspective qui inquiète, après le récent accident survenu sur la plateforme Elgin de Total en mer du Nord (lire notre article). Craignant de voir des forages comme celui du tristement célèbre Deepwater Horizon à quelques encablures des côtes, on ne compte plus les collectivités, les instances publiques, les associations et les collectifs citoyens demandant à ce que ce permis ne soit pas renouvelé. À ce jour, et à notre connaissance, l’entreprise, qui ne dispose pas de site Internet en français, ne s’est toujours pas exprimée publiquement sur le sujet.

Des chercheurs d’or noir en Île-de-France

Les côtes de la Méditerranée ne sont pas les seules concernées. L’instruction des permis en attente a repris de plus belle au sein de l’administration française. Une liste a été mise en ligne par le ministère, à « disposition du public ». Quatorze de ces permis sont « arrivés au terme de leur instruction » et sont « envisagés pour octroi », dont douze en Île-de-France. Dans le lot, on compte les permis de Chevry et d’Ozoir, qui couvrent une zone de 395 km² en Seine-et-Marne, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et Essonne, convoitée par la société Poros, domiciliée à Enghien-les-Bains. Largement explorée dans le passé, la région parisienne intéresse les pétroliers pour ses possibles réserves d’huiles de schiste, que seule la fracturation hydraulique permettrait d’exploiter. Une technologie très polluante que Basta ! avait contribué à révéler fin 2010.

Face à cette nouvelle donne, réunions publiques, actions de sensibilisation et interpellations d’élus se multiplient en Île-de-France. Ainsi qu’en Provence. Un « Trafalgar des pétroliers » y est d’ailleurs organisé ce dimanche 8 avril. À l’invitation des collectifs contre les gaz et huiles de schiste et de nombreuses associations, une double manifestation, sur terre et sur mer, se déroule à la Seyne-sur-Mer et à Brégançon, pour demander le non-renouvellement du permis Rhône maritime. C’est plus globalement la course perpétuelle à l’exploitation de nouvelles ressources énergétiques fossiles, toujours plus loin, plus profonde et plus risquée, qui est mise à l’index. Évoquant son forage Elgin en mer du Nord avant qu’il ne soit évacué et menace d’exploser, Total se félicitait de sa « performance inégalée à ce jour » et vantait un « projet pionnier qui a pris valeur de référence mondiale ». Peut-être est-il temps de s’interroger sur les conséquences de cette performance. Des exploits technologiques qui finissent mal, en général.

Maxime Combes

Notes
[1] Lorsque la mer Méditerranée s’est asséchée il y a plus de cinq millions d’années, ndlr.
[2] Integrated Ocean Drilling Program (IODP).
[3] TGS-Nopec Geophysical Company Ltd.

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Vos commentaires

  • Le 7 avril 2012 à 01:04 En réponse à : La Méditerranée et l’Île-de-France, nouveaux eldorados des pétroliers ?

    http://www.non-aux-hydrocarbures-en-mer.org/

    BRÉGANÇON
    le dimanche 8 avril 2012

    10 h rassemblement à la plage de l’Argentière, La Londes les Maures, 83250
    12 h pique-nique plage de Brégançon, 83230
    14 h Cordon de la Flotille autour de Brégançon
    Pour dire NON à la plateforme de forage au large de nos côtes

    Trafalgar des pétroliers

    Rassemblement maritime et littoral autour du Fort de Brégançon
    Un danger sans précédent pour la Méditerranée : une plateforme d’exploitation d’hydrocarbures en eaux profondes à moins de trente kilomètres des côtes varoises.
    Que se passera-t-il si, comme dans le golfe du Mexique, elle venait à exploser ?
    Mobilisons-nous contre ce permis de forage Rhône Maritime avant le 11 avril, date butoir de son renouvellement.

  • Le 7 avril 2012 à 10:02, par yt75 En réponse à : La Méditerranée et l’Île-de-France, nouveaux eldorados des pétroliers ?

    A propos de pétrole, à signaler une tribune/"appel aux candidats" publiée jeudi 22 mars sur lemonde.fr, intitulée ’mobiliser la société face au pic pétrolier"

    Signée par :

    Pierre René Bauquis – Ancien Directeur Stratégie et Planification du groupe Total
    Yves Cochet – Député Européen, ancien Ministre de l’environnement
    Jean-Marc Jancovici – Ingénieur consultant, Président de The Shift Project
    Jean Laherrère – Président ASPO France, ancien patron des techniques d’exploration du groupe Total
    Yves Mathieu – Ancien chef du projet Ressources pétrolières mondiales à l’Institut Français du Pétrole

    Texte de la tribune et possibilité de se joindre à l’appel en ligne ci-dessous :
    http://tribune-pic-petrolier.org/
    Sujet important s’il en est un, ne pas hésiter à signer et relayer !

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