Une tribune pour les luttes

Il était 13h21

Témoignage

Article mis en ligne le jeudi 19 avril 2012

Tout avait bien commencé pourtant …

Arrivés depuis 10h, nous avons la chance de notre coté : pas d’embouteillage, une place pour se garer près du tribunal. Et puis un petit soleil printanier. On ne sait pas franchement pourquoi et pour qui on est la. Un coup de téléphone deux jours avant : Un nom, un âge, un pays. Et puis une rétention au centre de Lyon. Par le passé, nous avons vu qu’une présence massive au tribunal administratif pouvait empêcher une expulsion, nous avait on dit. Alors pourquoi pas après tout…

Tout avait bien commencé pourtant …

Un retard de l’escorte de seulement une demi-heure. « Une chance, en ce moment c’est plus 1h30 ! » s’est réjoui l’observateur de la Cimade*, alors qu’en face l’avocate de la défense s’énerve « Si ils n’arrivent pas à être à l’heure et ben qu’ils les relâchent tous ! Ça montre qu’elle ne marche pas leur politique ! »

Une salle d’audience pleine. Des amis d’un des retenus. «  C’est bien » nous dit l’avocat, «  Généralement ils sont seuls, pas un soutien dans la salle… Ils arrivent seuls et repartent seuls » « Seul, laisse moi rire ! » lui rétorque mon pote « Chacun a le droit à son flic personnel et, croyez moi, ils sont pas laissés seuls une seconde... On sait jamais, s’ils tentaient de s’enfuir… »

Bon, c’est vrai que quand ils sont arrivés, hagards et menottés, je me suis dit qu’on pouvait rêver d’un meilleur début. C’est vrai aussi que seul un retenu avait des soutiens dans la salle…

Nous, on s’installe à coté d’un homme. Faisons semblant qu’on est venu pour lui, qu’on le connait et soyons le témoignage de son intégration. Une seule question me vient, surement la pire. « Tu viens d’où ? » Silence «  Du Congo » Il tourne la tête et pleure. Ça calme.

Enfin, tout commence.

Chacun a son rôle et tout le monde connait son texte. Une pièce bien rodée somme toute.

D’abord l’avocat de la défense. Elle a pu voir les 3 retenus pendant cinq minutes avant l’audience afin de personnaliser son plaidoyer. Elle m’a scotchée moi cette avocate. Elle détonne un peu dans cette salle toute lisse. Elle s’énerve, elle gesticule et elle lutte. Je me demande si elle y croit vraiment ou si elle joue aussi. « Vous êtes notre madame Hessel » se moque l’avocat de la préfecture. Elle, elle s’en fout de lui. Elle parle d’une politique de chiffres, d’une rétention qui doit être l’exception et non la règle et puis elle parle de dignité. « La dignité ce n’est pas le centre de rétention. Vous pouvez le repeindre en blanc, y mettre des sanitaires modernes ou même installer une salle de jeux pour les enfants, ce lieu restera intrinsèquement indigne. La dignité c’est la liberté » C’est beau quand même.

Vient ensuite l’avocat de la préfecture. En toute non objectivité, il est mauvais. Elle, elle crève l’écran, lui, il récite son texte. Certes, il a également quelques envolées lyriques… Mais je n’accroche pas trop. Et puis, il a cette phrase mythique « Enfin Madame le Juge, qu’on arrête de nous rabâcher cette histoire de politique du chiffre ! Ça devient lassant avec le temps » Je me dis qu’il n’a pas tort, et que, moi aussi ils commencent sérieusement à me lasser avec leurs quotas d’expulsions les gars du ministère.

Et puis, vient le tour du retenu. Etranger à son propre procès, il devient pendant 3 minutes le centre de toutes les attentions. On lui sert du « Monsieur », des sourires rassurants et on lui prête une oreille bienveillante. Lui, il ne semble pas franchement à l’aise dans ce nouveau rôle. Faut dire que ça change sacrément du comportement des policiers dans le centre de rétention. « Allez puisque t’es musicien, chante nous une petite chanson » qu’ils lui répètent à longueur de journée ces cons. On lui pose des questions et dans son meilleur français, d’une voix qu’on entend à peine, il répond. Bon, faut avouer qu’il n’est pas très bon. On lui avait dit pourtant. Il faut dire que tu es intégré et que tu envoies de l’argent dans ton pays. Ça c’est important. Il ne le dit pas.

La juge lui laisse une dernière chance. «  Est-ce qu’il y a quelque chose que vous voudriez rajouter monsieur ? » Il bafouille. Il aimerait rester en France. Il aime bien vivre ici. Et puis, il n’a plus d’attaches au pays. Et puis, «  Merci beaucoup Madame la Juge » qu’il lâche. Et la, elle est mal Madame la Juge. «  C’est moi qui vous remercie Monsieur ».

Cette scène, on la rejoue 3 fois d’affilée. Un peu indigeste à la fin.

L’audience est levée, la juge va délibérer. «  Ça va surement durer une heure » nous annonce le greffier «  Elle prend son temps pour bien examiner les dossiers en général cette juge »

Tout le monde se lève, on s’agite dans tous les sens. L’avocat de la préfecture vient nous parler. S’il peut nous aider il le fera. Il nous dit « Je ne suis qu’un fonctionnaire vous savez, je joue le rôle du méchant ici, mais je ne fais que mon travail et je le fais bien ». C’est drôle ça me fait penser à Hannah Arendt et à son bourreau. Un banal fonctionnaire qui applique les ordres à la lettre. Personne ne décide ici, tout le monde applique. Je me demande qui est vraiment coupable. Est-ce que c’est l’avocat de la préfecture, qui ne fait qu’incarner une politique ? Ou bien ces trois policiers qui rodent dans la salle et qui ont sacrément l’air de s’ennuyer ? Ou bien même la petite secrétaire qui n’a pas l’air bien méchante, elle écoute, elle prend notes... De drôles de coupables quand même.

A peine sortie, je tombe nez à nez avec mon voisin congolais. Il erre dans la salle des pas perdus. Je me dis que la seule chose à faire, c’est de lui faire penser à autre chose. J’ai besoin qu’il rigole cet homme. J’ai envie qu’il ait de l’espoir. De lui gueuler de se battre, qu’on est des gros cons en France et qu’on ne mérite pas des hommes comme lui.

Alors, pendant une heure, on discute ensemble. Tout y passe, de ma famille à sa vie dans un squat à Chambéry, des chinois devant la tour Eiffel à son périple pour venir en France. Et même qu’un moment, on rigole.

Et puis à 13h21 tout s’arrête.

La juge revient.

3 expulsions.

Silence gêné.

Mon ami ne comprend pas. Je lui parle vite, il y a encore de l’espoir, tu peux encore voir le JLD*, un juge qui verra s’il y a des vices de procédures et puis, tiens, mon numéro, n’hésite pas a m’appeler, il y a un téléphone dans ta prison !

Lui il sourit simplement, il sait. Il a compris que c’est fini.

Les policiers rentrent et les embarquent. A peine le temps pour un adieu.

Le Congo putain ! Il ne le connait même pas ce pays. Ses parents ont fui la guerre civile en Angola et se sont refugiés au Congo, où, lui, il est né. Puis ils ont migré en Suisse. Et ça fait 20 ans qu’ils y vivent et y travaillent. Il ne connait personne au Congo !

« Vous serez la pour l’audience cette après midi ? » me demande le Monsieur de la Cimade. Je regarde le planning : c’est une famille avec deux enfants de 7 et 9 ans, enfermés au centre de rétention depuis une semaine.

Je sors. Je vous méprise tous. Chacun de vous. Un par un. Moi. Notre silence, notre complicité, notre impuissance.

Le lendemain, je vais à Marseille voir Mélenchon. Comme ça, juste pour voir. Parce que tout ça c’est politique. Avant je pensais qu’une lutte ne devait pas être partisane, que le combat était au dessus des partis. Aujourd’hui, je sais que c’est hypocrite et schizophrène. Tout est politique.

«  Marseille nous dit que notre chance, c’est le métissage. » C’est comme ça qu’il commence Jean Luc. J’ai envie de pleurer. « Et depuis 2 600 ans, nous sommes du parti de ceux qui se disent contents d’être mélangés, fiers d’être le peuple qui compte le plus grand nombre de mariages mixtes de toute l’Europe ! » Et ben moi ça m’a libéré. Ça m’a parlé. J’ai eu envie d’y croire.
J’ai eu envie d’embrasser le premier venu et lui dire je t’aime. Chacun de vous. Et un par un.

Je m’appelle Juliette, j’ai 21 ans. Je suis révoltée et en colère. J’ai pleins de rêves et d’espoirs. On m’a dit de témoigner et de partager. On m’a dit que tu n’étais pas au courant.

Je m’appelle Juliette, j’ai 21 ans. Je suis sure que tout peut changer, qu’on peut tout changer.

* La CIMADE est une association de solidarité active avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile. Elle est présente dans les centres de rétention administrative, afin de surveiller les conditions de rétention et d’apporter l’aide juridique nécessaire aux personnes en voie d’expulsion.

* Le Juge des libertés et de la détention (JLD) possède une compétence en matière de détention provisoire : il peut ordonner ou prolonger la détention en centre de rétention administrative. Il peut lever la détention en cas de vices de procédure. Il est l’ultime recours avant l’expulsion.

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Vos commentaires

  • Le 17 avril 2012 à 11:20, par Yograf En réponse à : Il était 13h21

    Juliette, juste merci pour ce témoignage, merci pour cette émotion, et pardon, désolé que vous ayez due voir ça en France.

  • Le 17 avril 2012 à 11:36 En réponse à : Il était 13h21

    Juliette, je suis souvent à la place du petit Stéphane Hessel, à qui tu fais un bel hommage. J’aimerai avoir plus souvent, derrière moi, des justiciables qui viennent voir cette p** de réalité en face. Merci de l’avoir fait. Merci d’en parler.

  • Le 17 avril 2012 à 15:33, par roger lemerre En réponse à : idéal qui nous anime, réalité qui nous mine, faisons l’impossible, que la réalité s’anime d’un idéal unanime.

    merci juliette, c’est très juste ce que tu as fais, nous y arriverons très bientôt, ce monde replié sur lui même alors que des avions le traversent sans cesse n’est plus nôtre, changeons le ou mourrons.

  • Le 18 avril 2012 à 09:28, par Christiane En réponse à : Pays-Bas : le choc du suicide du demandeur d’asile burundais

    Le Burundais vivant à Culemborg, aux Pays-Bas, s’est suicidé jeudi, apparemment parce qu’il devait être expulsé sous peu et qu’il voulait que ses enfants de 12 et 14 ans obtiennent un titre de séjour.

    Je ne connaissais pas Hatungimana personnellement. Mais je connaissais son voisin, un ancien camarade d’études. Il m’a raconté qu’Alain avait pris une overdose de médicaments, mais qu’il avait raté son suicide cette première fois. J’entendais à sa voix qu’il était ému. Il m’a dit que les ambulanciers l’avaient transporté vivant à l’hôpital. C’est là qu’il aurait mis fin à ses jours. Alain était un homme bon, il ne sortait pas beaucoup, mais mon ami le connaissait. D’après lui, Hatungimana était obligé de quitter son domicile cette semaine pour le rendre à la commune.


    Un réfugié ne se suicide pas juste pour obtenir un permis de séjour. C’est la conviction du psychiatre Kees Laban, qui fait un suivi psychologique de réfugiés. "Les réfugiés se suicident par désespoir.

    Les demandeurs d’asile arrivent déjà traumatisés. Puis vient l’attente désespérée dans les centres de réfugiés, les prisons, sans avoir de travail. Pour certains, le suicide est la seule issue".

  • Le 18 avril 2012 à 13:40 En réponse à : Il était 13h21

    trop vouloir jouer des effets de manche, le candidat du front de Gauche ne dupe plus personne sur sa vraie nature : Faux populaire et candidat du ralliement au système.

    S’il devait être comparé à un personnage, le rôle que joue Coluche dans la scène de la manifestation dans « Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ » lui irait comme un gant. Porte parole du peuple en colère devant le palais de César, il est tellement peu vindicatif devant les promesses et les forces de sécurité de l’empereur que la foule le lâche. Il ne suffit pas d’aller dans le sens de l’humeur du peuple pour être crédible. Vouloir en être le porte voix ne s’improvise pas.

    Les classes populaires, c’est à dire la catégorie des ouvriers et des petits employés, ne sont pas très séduites par les propos et le sérieux de la candidature de Mélenchon. Ce bon élève discret du parti socialiste qui a été favorable au Traité de Maastricht leur donne sûrement l’impression d’être un réservoir de voix pour François Hollande au second tour. L’option à gauche de la gauche était une opportunité à saisir. Avec un parti communiste en chute libre à chaque élection depuis une vingtaine d’années, une extrême-gauche morcelée, l’opportunité de se refaire une virginité était trop tentante pour les caciques du parti. Henri Emmanuelli ou les autres leaders du NPS ont dû y penser un temps, mais Mélenchon a été le plus rapide.

    Le parti socialiste s’est accommodé avec le mondialisme et l’économie libérale, c’est le triste constat des deux mandats de Mitterrand. Notre candidat porte malgré lui l’abandon des classes populaires par la gauche. S’il arrive à séduire un électorat, c’est celui des étudiants et de la gauche bobo travaillant dans le tertiaire qui se cherche un supplément d’âme. La vraie ligne de fracture politique aujourd’hui est celle qui sépare les défenseurs de la souveraineté des nations et les partisans du mondialisme libéral. Le courage politique se mesure à la capacité d’un candidat à résister aux puissances de l’argent et aux réseaux mondialistes dans l’intérêt de sa nation. Malheureusement pour le petit peuple, le terme nation fait peur à la gauche, il sonne comme une insulte à l’oreille de notre député européen.

    Ainsi, la candidature du front de Gauche est celle qui porte la plus grosse contradiction politique et économique. Nul besoin d’avoir fait Saint-Cyr pour s’en rendre compte. Comment vouloir un Etat fort, interventionniste et partageur d’un côté et s’accommoder des règles de l’Europe de Maastricht et son carcan budgétaire de l’autre ? Un Etat souverain défendant les intérêts nationaux est incompatible avec la suppression des frontières, l’abandon de notre souveraineté monétaire et les règles budgétaires contraignantes. Lorsqu’à l’occasion il est mis devant cette contradiction par un journaliste, il s’en sort par le tour de passe-passe classique de la mauvaise foi du politique : Appeler le peuple à se déterminer par référendum. Cette position rappelle celle de la candidate Ségolène Royal qui en appelait aux partenaires sociaux pour trancher la question de l’augmentation du SMIC.

    Le ralliement est la seule issue politique possible du front de Gauche. Même s’il est donné au mieux à 17% dans les sondages, Mélenchon ne sera pas qualifié pour le second tour. Face à Nicolas Sarkozy, le candidat socialiste viendra courtiser son ancien camarade et trouver un compromis, « une plate-forme commune » bien sûr habillement négociée dans la sueur et après d’âpres négociations devant les objectifs des caméras. Sa candidature n’a été possible que par le soutien de l’appareil du parti communiste. Mélenchon doit dans sa négociation penser au renvoi d’ascenseur. Il n’est pas exclu de voir un Pierre Laurent ministre d’un futur gouvernement Hollande.

    Si Marine Lepen est élue pour le second tour, quel que soit le candidat en face, il appellera à voter contre elle. Il se rejouera alors le même scénario qu’en 2002, celui de la mobilisation républicaine contre la menace fasciste avec un Jean-Luc Mélenchon en vigile et en guide.

    Tantôt révolutionnaire anticapitaliste défenseur des peuples, tantôt anti nationaliste, Jean-Luc Mélenchon ne réussira qu’une seule chose à cette présidentielle : Brouiller les cartes du jeu politique.

  • Le 18 avril 2012 à 19:02, par Christiane En réponse à : sans-papiers : brutalités policières et racisme d’Etat.MOV

    https://www.youtube.com/watch?v=fdPyh-NSnQY

    Mercredi 4 avril 2012, devant le Tribunal Administratif de Lille, six personnes sans-papiers comparaissaient en audience publique. Elles risquaient l’expulsion du territoire français depuis le jour où elles décidèrent d’occuper pacifiquement le local de l’UMP afin d’exiger leur régularisation. Cette action datant du vendredi 31 mars s’était soldée par une évacuation policière brutale, l’arrestation arbitraire et l’enfermement inhumain en centre de rétention des six personnes concernées.

    Le jour de leur audience publique, une centaine de militants sans-papiers et leurs soutiens ont été refoulés à l’entrée du tribunal puis chargés par les forces de l’ordre alors qu’ils manifestaient pacifiquement. Résultat des coups et des blessures : six hospitalisations dont celle d’une femme enceinte. Les forces de l’ordre ont plaqué au sol, tabassé puis gazé un cameraman indépendant pour lui arracher son matériel d’enregistrement.

    (...)

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