Une tribune pour les luttes

Judiciarisation des mouvements sociaux

Espagne, Québec etc

Article mis en ligne le lundi 21 mai 2012

Espagne : Laura Gomez enfin relachée !

Après 23 jours en prison, Laura Gómez (secrétaire de la CGT-e de Barcelone) a été relâchée hier, après que le juge a décrété sa libération sous une caution de 6 000 euros et l’interdiction de participer à des manifestations.

Laura était en prison depuis le 25 avril, pour avoir brûlé des papiers devant le bâtiment de la bourse, lors d’une action symbolique. Son emprisonnement avait été décidé par le juge sans possibilité de recours. Elle est accusée de désordre public et de porter atteinte à l’exercice des droits fondamentaux et de libertés publiques.

Les autres personnes incarcérées, lors de la journée de grève du 29 mars, ont été également relâchées le 4 mai, après un mois de prison ferme.

http://www.cnt-f.org/video/videos/44-international/366-liberation-de-laura-gomez-cgt-barcelone

Québec : Le gouvernement Charest vient d’adopter une loi spéciale pour casser la mobilisation des étudiants.

Cette loi, prévue pour une application ponctuelle jusqu’en juillet 2013, est une atteinte au droit de manifester. Elle interdit tout rassemblement à moins de 50 mètres des établissements scolaires. Elle restreint le droit de manifester sans accord préalable avec la police : il faudra fournir huit heures avant, la durée, l’heure, le lieu et les moyens de transports. Elle prévoit de très lourdes amendes pour les organisateurs de piquets de grève : de 1 000 à 5 000 dollars (de 770 à 3 860 euros) pour un individu seul et de 25 000 à 125 000 dollars (de 19 320 à 96 600 euros) pour une association d’étudiants, le double en cas de récidive.

Hier soir, la 27e manifestation nocturne qui rassemblait plusieurs milliers de personnes a été déclarée "illégale", l’itinéraire n’ayant pas été communiqué à la police. Au total, 300 personnes ont été arrêtées et il y a eu dix blessés.

Un ouvrage publié par Norman Landry analyse le développement des actions en justice qui visent à entraver la participation politique et le militantisme : SLAPP. Bâillonnement et répression judiciaire du discours politique, Editions Ecosociété, 2012.

Extraits d’un entretien avec Norman Landry, par Rémi Leroux. 2 mai 2012

"En Français, on les appelle Poursuites stratégiques contre la mobilisation publique. Mais leur acronyme anglais fait référence. Les SLAPP (Strategic Lawsuit Against Public Participation) sont des actions en justice qui visent à entraver la participation politique et le militantisme. Généralement engagées par des entreprises privées contre des citoyens, en leur nom propre ou regroupées au sein de mouvements collectifs, elles ont pour objectif principal de réduire au silence l’action citoyenne."

"D’où viennent les SLAPP et que sont-elles ?
Les premières recherches conséquentes qui ont été faites sur les SLAPP datent des années 80 aux Etats-Unis. Après avoir mené des recherches empiriques, deux professeurs de l’université de Denver en sont venus à la conclusion que des milliers de citoyens étaient poursuivis chaque année pour avoir exprimé leurs droits politiques fondamentaux. Ces premières recherches ont établi que la SLAPP avait un effet réfrigérant très important sur le débat public. Elle pousse les gens au silence, non seulement les parties ciblées par ce genre de poursuites, mais également leurs proches, leurs amis, leurs sympathisants… A moyen, court et long terme, une fois que l’on a été victime de ce genre de poursuites, on fait montre d’une prudence excessive dans nos commentaires publics. On est contraint à ne plus participer aux grands débats de société par crainte de revivre l’enfer judiciaire qui a été subi.

Au Canada, on a établit les premiers cas, décelés en tout cas, au début des années 90. Il s’agissait surtout de groupes environnementaux dans l’Ouest et dans l’Est du pays qui étaient victimes de poursuites extrêmement onéreuses pour avoir bloqué des routes, pour s’être opposées aux intérêts des compagnies forestières, pour avoir dénoncé dans les médias des gestions inefficaces et injustes des forêts canadiennes. En adoptant une loi anti-SLAPP le 3 juin 2009, le Québec est devenu la seule province canadienne à se doter d’un arsenal anti-SLAPP.

Quels sont les effets d’une loi anti-SLAPP ?
Ils consistent à établir une sorte de procédure d’urgence qui permet de déjudiciariser les débats publics afin d’éviter que les gens qui sont politiquement actifs se retrouvent confinés devant les tribunaux sur une longue période. (...) Si la poursuite est manifestement abusive, les juges ont habituellement un prompt réflexe et la rejettent. Le problème, c’est lorsqu’elles ne sont pas manifestement abusives, lorsqu’elles sont bien montées, bien ficelées. Les choses peuvent s’étirer sur des mois, des années et, ce faisant, on brise les reins financiers de la partie incriminée qui n’a plus l’énergie pour être active à la fois dans l’espace public et devant les tribunaux.

Ce que vous expliquez c’est que le but recherché par l’instigateur de la SLAPP n’est pas de gagner sur le fond, mais d’affaiblir la critique sociale.
Lorsqu’il y a une opposition citoyenne, mobilisée, forte, visible, la partie plaignante se retrouve sur la défensive dans l’espace public, contrainte de justifier ses activités, contrainte de démontrer la légitimité de ses actions. En poursuivant ses adversaires, l’instigateur de la SLAPP passe alors d’une position politiquement défensive à une position juridiquement offensive. Elle reprend l’initiative. On confine alors dans l’espace judiciaire des citoyens qui étaient très actifs dans l’espace public. On les affaiblit, on les détourne, on les démobilise également. Lorsqu’on poursuit deux, trois citoyens, les autres se demandent s’ils doivent continuer, s’ils ne prennent pas un risque également… cela désagrège les liens de militance qui existaient auparavant.

Quel parallèle peut-on établir avec le mouvement étudiant ?
On assiste à la judiciarisation du mouvement étudiant, à l’usage de recours devant les tribunaux pour contrecarrer des processus d’expression démocratique. L’usage de la procédure judiciaire et plus encore de la norme juridique. Une norme juridique c’est une norme qui est porteuse du sceau de l’État et on l’oppose au processus de participation collective. La judiciarisation du débat public à laquelle nous assistons, c’est une privatisation de nos débats. Plutôt que de discuter, on va plaider devant un tribunal. Plutôt que de s’adresser à nos hommes et nos femmes politiques, on s’adresse à la magistrature. Plutôt que d’aborder des sujets de société comme étant des questions de choix, on va les aborder comme des questions de droits."

"Lorsqu’on utilise la loi pour faire peur aux gens, il se produit souvent l’effet inverse. La démarche apparaît tellement honteuse, grossière qu’au lieu d’intimider les gens, elle les galvanise, redouble leur ardeur et peut les pousser à devenir encore plus militants et radicaux dans leur action. Dans le cadre du mouvement étudiant, les injonctions, par exemple, ont eu cet effet là. Le mot général c’était : mais comment osent-ils ? Cela a eu un effet galvanisant.

Le pouvoir politique donne le sentiment de ne pas vouloir écouter la voix et, parfois, la colère de la rue.
C’est malheureusement un argument qui est repris par plusieurs éditorialistes québécois qui, en substance, disent : Parce que ce gouvernement dispose d’une légitimité politique, en gros, il a carte blanche pour faire ce qu’il veut pendant quatre ans. Les gens qui sont dans la rue, bien au contraire, rappellent que si les militants politiquement actifs ne s’étaient pas fait entendre au cours des cinquante dernières années, les acquis sociaux pour les femmes, pour les minorités ethniques, pour le droit des homosexuels, pour la protection de l’environnement… tout cela n’aurait jamais pris place."

http://blogue.murmitoyen.com/2012/05/la-democratie-doit-proteger-laction-citoyenne/

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