Une tribune pour les luttes

L’indicible éternité de la mort nucléaire

par Marion Lantoine sur Pièces et Mains d’oeuvre

Article mis en ligne le mercredi 23 mai 2012

Plus de 250 000 tonnes de déchets radioactifs pour 10 ou 100 000 ans. Leur volume, leur létalité et leur
péril croissent chaque jour. Non seulement, nous ne sortirons jamais plus du nucléaire, mais les
fossoyeurs qui nous enfouissent sous leurs montagnes de poison doivent s’avouer incapables de créer les
signaux de danger adéquats, à l’usage des « générations futures ».

Les centrales nucléaires produisent des déchets radioactifs. Ils sont le spectre de la filière qui ne sait qu’en faire.

Aussi leur enfouissement en profondeur est-il souvent imposé comme « solution » ; au Nouveau-Mexique, en
Finlande et à Bure, en Meuse. Reste cependant le risque - parmi d’autres -, que nos descendants les exhument,
par hasard ou par curiosité, déclenchant une apocalypse qu’ils ne sauront ni prévenir, ni combattre. Dans les
pays qui envisagent l’enfouissement des déchets radioactifs (Etats-Unis, Finlande, France, Suisse…), des
experts se réunissent pour répondre à cette question : comment avertir nos lointains descendants du danger de
ces déchets ?

Poser cette question, officiellement, par le biais de commissions d’experts, c’est reconnaître, tout aussi
officiellement, que ces déchets sont assez dangereux pour que l’on s’en préoccupe à très long terme. Les
consignes données à ces experts recommandent la prise en compte de durées variant de dix mille à cent mille
ans. C’est dire qu’à l’échelle de l’humanité, ces déchets représentent un danger qui va au-delà de l’avenir
prévisible. On peut d’ailleurs s’effarer de la brièveté des durées envisagées, quand on sait que certains déchets
nous menacent, en réalité, pour plusieurs millions d’années. Autrement dit, l’éternité.

Il y a deux messages à transmettre : le lieu de stockage et le danger représenté par son contenu. C’est
l’indication du danger qui cause des difficultés car pour l’élaborer, il faut se projeter au-delà du temps que nous
sommes capables d’appréhender. Une solution consisterait à graver un avertissement sur un support durable
(métal inoxydable, pierre…). Mais quelles langues parlera-t-on sur Terre dans dix mille ans ? (S’il se trouve
encore des êtres parlants, bien sûr.) Impossible de le savoir. Tout ce dont nous pouvons être certains, c’est que
des six mille langues aujourd’hui existantes, aucune ne subsistera. Elles auront changé au point de n’avoir plus
rien de commun avec celles d’aujourd’hui. Que l’on songe aux langues parlées ici même il y a dix mille ans. Si
nous faisions un saut en arrière dans le temps, nous ne pourrions comprendre les gens que nous rencontrerions,
les langues parlées à cette époque ayant disparu. Il en sera de même dans quelques milliers d’années pour nos
langues actuelles. Et cela vaut aussi pour l’écriture. Comment évolueront nos écritures actuelles ? Depuis les
cunéiformes tracés dans la glaise il y a cinq mille cinq cents ans jusqu’à nos jours, peu de points communs
subsistent. L’évolution continuera sans que nous ne puissions prévoir sa direction.

On peut objecter que certaines écritures transcrivant des langues anciennes furent déchiffrées plusieurs milliers
d’années après, l’exemple le plus célèbre étant celui des hiéroglyphes égyptiens. Si les linguistes du 18e siècle
ont pu faire ce travail, pourquoi nos descendants ne le pourraient-ils pas ?

Ce raisonnement élude le fait que de
toutes les écritures de cette période, beaucoup se sont perdues : lorsqu’il reste trop peu d’échantillons d’une
écriture, il est impossible de faire le travail d’inférence qui mène au déchiffrage. Miser sur les capacités de nos
descendants à le faire est hasardeux. Pire, nous n’avons aucune certitude qu’ils prendraient le temps de
déchiffrer notre message avant d’exhumer nos déchets. Dans l’hypothèse où les Egyptiens auraient enfermé des
déchets radioactifs dans les pyramides, des mises en garde écrites n’auraient été d’aucune utilité, les premiers
archéologues ayant ouvert les pyramides bien avant de pouvoir comprendre les hiéroglyphes. Ainsi, les experts
s’accordant la plupart du temps sur l’inutilité du langage, reste l’image : créer et afficher des pictogrammes
pour signaler l’existence d’un danger est le moyen le plus fréquemment envisagé.

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