Une tribune pour les luttes

A Marseille pendant le Forum de l’eau

Encore un cas de fausses "violences volontaires contre agent dépositaire de l’autorité publique "

Procès du jeudi 21 juin à 14h00
RELAXE de Michel, militant du collectif des désobéissants accusé de violences alors qu’il filmait une intervention policière et qui avait refusé de se soumettre aux prises d’empreintes et d’ADN.

Article mis en ligne le samedi 23 juin 2012


Pour ce procès, malgré un essai de demande de carte d’identité par les policiers avant l’audience (et contestation de la légalité de cette demande), pas de fichage comme au procès de la veille à l’entrée de la salle d’audience . (Voir Mille Bâbords 20944).


La relaxe magistrale d’un « Cop-watcher »

http://www.lamarseillaise.fr/justic...

22-06-2012

Un militant du collectif des désobéissants accusé de violences alors qu’il filmait une intervention policière.

«  Le fait d’être photographiés ou filmés durant leurs interventions ne peut constituer aucune gêne pour des policiers soucieux du respect des règles déontologiques. » Cet avis de la Commission nationale de la déontologie de la sécurité en 2005 a rebondi hier devant le tribunal correctionnel de Marseille qui instruisait le cas d’un militant du « Collectif des désobéissants » accusé de violences par une policière qui tentait de lui arracher son appareil-photo.

Michel D., 29 ans, ingénieur en gestion forestière, était venu à Marseille le 15 mars 2012 assister au Forum alternatif de l’eau. Passant devant un bar sous la gare St-Charles, il aperçoit deux jeunes en train d’être interpellés par une dizaine de policiers et qui venaient d’être insultés. « La manière dont ils les plaquaient au mur avec une palpation un peu brutale m’a beaucoup inquiété. Quand j’ai entendu un policier dire « c’est quoi ton origine tu me réponds » je me suis dit je ne peux pas passer comme ça devant cette scène et ne rien faire même si je sais bien que filmer c’est pris comme une provocation. »

« Il est dans son acte de
militance et ça le regarde »

Michel assure qu’il était dans le rôle de l’ « observateur neutre » quand la policière lui a arraché l’appareil. Elle affirme que Michel l’a faite tomber et produit un certificat médical avec un jour d’ITT. «  Je ne peux pas avoir été violent. C’est justement parce que je déteste la violence que je suis intervenu quand les deux jeunes étaient plaqués », conteste le militant très calme. « Il s’est comporté comme un individu à part qui cherche à entraver l’action des policiers, à jeter la suspicion sur les forces de l’ordre », dénonce la partie civile qui réclame 1.000 euros de préjudice moral.

«  Il ne me semble pas contestable qu’il a le droit de filmer les interventions policières à titre préventif. Il est dans son acte de militance et ça le regarde. C’est son droit et ce n’est pas une infraction », a estimé le vice-procureur Benoit Vandermaesen qui a requis la relaxe devant la faiblesse du dossier. « Il a résisté quand on a voulu saisir son appareil photo. C’est un acte de désobéissance et de refus. L’acte de violence n’apparaît pas. » S’agissant du refus politique revendiqué de se soumettre au fichage biométrique toujours plus étendu à chaque réforme pénale, la dispense de peine était proposée.
« On a pratiquement une voie de fait quand on lui saisit son appareil photo et qu’on déclare la carte mémoire du film inexploitable ensuite. Et puis 21 heures de garde à vue, sans avocat ! » a dénoncé Me Olivier Le Mailloux.

Le tribunal présidé par Guy Pisana l’a relaxé pour les violences alléguées.
1.000 euros avec sursis pour le refus de fichage.

David COQUILLE


Par mail

(...)

Je suis accusé de violences volontaires contre agent dépositaire de l’autorité publique (VADAP).
En d’autres termes, j’aurais violemment poussé une policière par terre dans l’intention (sic) de la faire tomber au sol, si bien qu’elle se serait blessée et qu’elle aurait été obligée de prendre une journée d’ITT.
Il s’agit d’une accusation mensongère bien sûr.

Je serai jugé en correctionnel le jeudi 21 juin à 14h00 à Marseille (11ème chambre, section A).

Si vous voulez tous les détails, vous les trouverez en pièce-jointe.

(...)


L’essentiel de ce document a été rédigé le samedi 17 mars 2012, pour conserver la mémoire
fraîche.

Récit des faits relatifs à mon arrestation par la police le 16 mars 2012 vers 19h50, place Racati :

Je rentrais seul et à pied du Forum Alternatif de l’Eau, émerveillé par le succès de cette initiative
non-violente d’opposition au Forum Mondial de l’Eau officiel (du 12 au 17 mars 2012 à Marseille).

En route, place Racati, j’ai vu deux jeunes (au faciès nord-africain) en train de se faire interpeller
par un grand nombre de policiers (je ne saurais plus dire combien, mais sans doute de l’ordre
d’une petite dizaine). J’entends des cris. Plaqués au mur, ils se faisaient palper sans ménagements.
Les policiers avaient un ton incisif.
J’étais inquiet pour les deux jeunes : j’ai donc décidé de jouer le rôle d’observateur neutre, et de
filmer la scène - ce que je savais légal. Afin de ne pas être seul, j’ai demandé à un passant (le
premier venu) de bien vouloir se placer comme témoin à mes côtés, afin que je puisse filmer sans
être trop vulnérable. L’homme (Ahmed F., 56 ans) a accepté avec enthousiasme. "Filme, filme, ...
filme !"
me disait-il. Je filme, depuis une distance d’environ sept ou huit mètres, sans me cacher.
Je ne suis bien évidemment intervenu d’aucune façon. (N’ayant aucune information sur les raisons
possibles de l’arrestation - et les policiers n’ayant alors pas fait d’abus manifestes (si ce n’est que
j’ai été surpris que la première question qui leur était posée soit celle de leur nationalité (question
posée juste avant que je commence à filmer)), je restais neutre.
Mon rôle était simplement de protéger les jeunes d’éventuels dérapages violents (toujours
possibles), afin de m’assurer que l’arrestation se déroule le plus correctement possible, c’est-à-dire
en respect des règles.

Les policiers ont immédiatement protesté, et m’ont crié l’ordre d’arrêter de filmer. Mais je savais
qu’une clause de jurisprudence autorisait de filmer l’action de policiers dans l’espace public.
La policière Aurélie E. a alors aussitôt quitté les deux jeunes et s’est précipitée sur moi pour
m’arracher de force l’appareil photo des mains, me répétant que je n’avais pas le droit de filmer.
J’ai eu le réflexe de ne pas céder l’appareil photo, qui était encore attaché à mon poignet par la
lanière. Il comportait en effet des photos que je n’avais pas encore déchargées, personnelles de
surcroît, et des photos de manifestations contre l’ouverture du Forum Mondial de l’Eau, qui
pouvaient impliquer des gens sans leur consentement (bien qu’une manifestation ne soit pas
quelque chose de grave, plusieurs manifestants ont remarqué qu’ils étaient suivis par des policiers
des RG pour leur opposition au Forum Mondial de l’Eau dont nous dénoncions les enjeux inavoués
de privatisation de l’eau).
J’ai donc résisté de façon non-violente, c’est-à-dire en retenant fermement l’appareil, mais tout en
gardant un ton posé malgré l’intensité du moment (pour lui dire que si, j’en avais le droit), ET sans
exercer de pression ou de force à l’encontre de sa personne physique.
Cette scène n’a pas duré plus de quelques secondes avant qu’un autre policier m’attrape par les
cheveux et me plaque violemment contre le mur pour me neutraliser.
Le chef de la brigade de police est venu me voir, furieux, me grondant comme un enfant, affirmant
que je venais de commettre quelque chose d’illégal en ayant "filmé la police sans mon
autorisation
" ; "de quoi vous vous mêlez", "mon équipe connaît son travail", et disant qu’ils
pouvaient tous porter plainte contre moi pour droit à l’image.
J’ai répondu "si vous voulez, faites-le, mais je sais que j’en ai le droit".
"Votre appareil photo, vous viendrez le récupérer au commissariat demain matin – et encore c’est
pas dit. Si vous l’avez acheté, vous viendrez avec la facture – si vous l’avez encore – pour prouver
que c’est bien vous qui l’avez acheté, et sinon c’est pas la peine vous ne le récupérerez pas
".

Un policier (le chef de brigade, je crois) a alors suggéré à la policière : "Au fait, il t’a bousculée,
non ?"

Elle, un peu surprise : "... Euh, oui."
Lui : "Violence sur ADAP ! Tu portes plainte ?"
Elle, plus affirmative : "Oui."
Lui, sur un ton de mépris : "Je vous annonce, Monsieur, qu’à partir de maintenant vous êtes en
garde à vue, vous allez passer 24 heures chez nous".

Il m’a emmené dans le camion, avec deux jeunes (Mohamed Z., et Farouk M., témoins de mon
arrestation).
Mon arrestation a entraîné d’importantes protestations de plusieurs personnes sur la place.
Ahmed s’indignait à mon sujet : "Et lui, qu’est-ce qu’il a fait ? Qu’est-ce qu’il a fait !"
Puis on est partis au poste (près de la rue Felix Pyat).

Là le chef de brigade m’a reçu dans son bureau, avec plusieurs (au moins trois) policiers : Aurélie
E., le policier qui m’avait tiré les cheveux, et un ou deux policiers inconnus.
Il m’a alors hurlé dessus. Il était haineux :
"Occupez-vous de l’eau, mais pour le reste, mêlez-vous de vos affaires. _ Vous êtes qui vous pour
juger la police ? Non mais ! Vous êtes qui ? Ça fait trente (?) ans que je fais ce métier, vous croyez
que vous allez me donner des leçons !
 ?"
"Violences policières, violence policières, ... vous n’avez que ça à la bouche !"
"Avec votre raisonnement simpliste" [tout ceci n’est que préjugés - je ne lui avais encore pas dit un
mot]
"Vous avez l’esprit tellement étroit que vous ne voyez même pas que ceux que vous défendez,
vous savez seulement qui c’est ? eh bien je vais vous le dire : ceux que vous défendez, ce sont des
voleurs, des récidivistes et des multirécidivistes, des violeurs, ils traînent les grands-mères par les
cheveux !"

_ "Vous ne savez rien ! Le vrai problème, c’est pas là qu’il est, vous savez où il est le vrai problème ?
Eh bien je vais vous le dire : LE VRAI PROBLEME [hurlant] C’EST L’ISLAMISME !!
"
"Alors maintenant, moi je vais vous donner une leçon : je vais vous mettre pendant 24 heures dans
une cellule PUANTE, et peut-être que vous allez réfléchir un petit peu à ne pas vous mêler de ce
qui ne vous regarde pas.
"
Là, en sortant, un autre policier m’a dit "Je voudrais bien vous voir vous faire agresser par l’un
d’eux. Je vous le souhaite".

Écœurant de haine, de fascisme et d’autoritarisme.

J’ai alors été conduit au Quart Huit Nord, pour la garde à vue.
Le policier qui m’accompagnait me demande d’un ton calme : "on vous met les menottes ou on ne
vous les met pas ?"

Moi : "Comme vous voulez. Je ne compte pas me sauver."
Lui : "Vous avez l’air calme ; vous allez rester calme ?"
Moi "Ho, oui."
A aucun moment on ne m’a passé les menottes. Aurait-ce été le cas si j’avais véritablement été
violent (volontairement violent de surcroît !) ?
On me demande de m’asseoir sur un siège dans le couloir, en attendant d’être reçu par l’OPJ. Le
policier qui me surveille me demande "c’est dur hein". J’hésite avant de répondre : est-ce de la
fausse compassion ? Je nie juste avoir été violent. Il prend un ton rassurant, mais me dit "Je veux
bien vous croire. Mais j’ai vu des choses"
. Je lui demande quoi. "Je vous ai vu bousculer ma
collègue." "C’est pour ça que je suis intervenu et que je vous ai plaqué contre le mur".

Premier passage devant un premier OPJ pas sympa du tout. "Vous c’est Michel D. L’adresse
c’est toujours la même ?"
_"J’habite maintenant en Corse,
... [je donne l’adresse, qu’il note]. Mais je n’y serai pas d’ici
quelques mois, donc peut-être que la première adresse convient mieux, j’y suis toujours joignable,
c’est celle de mes parents.
"
Lui, subitement très agressif (je n’ai pas compris pourquoi) :
"Vous me gonflez, croyez bien qu’on
vous retrouvera, même en Corse !"

Puis a eu lieu la relève : l’OPJ qui a fait mon audition était un autre, d’origine asiatique. Il demande
au policier s’il reste ou part. Je réclame qu’il reste. Il reste un peu. J’affirme au policier que j’ai
certes résisté à ce qu’elle me prenne l’appareil photo car j’avais la lanière au poignet, mais que je
n’ai vraiment pas bousculé la policière, sûr et certain. Il me répond que je ne l’ai peut-être pas vu
tomber, car j’étais plaqué contre le mur lorsqu’elle est tombée. Je lui dis que je n’ai donc pas pu la
pousser. Il me dit qu’"elle a dû trébucher en fait".
L’OPJ me demande ce qui s’est passé, j’explique que je filmais l’interpellation. "Donc vous vous
êtes mêlé de ce qui ne vous regardait pas !
". J’explique que je ne me suis mêlé de rien, que je suis
resté neutre. Lui : "Mais, c’est un délit ! C’est illégal de prendre des images de la police en action".
Je conteste, il me dit que c’est son métier. J’invoque la clause de jurisprudence, qui clôt le débat.
Il commence par un laïus du genre "Vous savez qu’on a besoin d’une police. Une société sans
police, c’est impossible. Ou alors ce serait la jungle !
" Avant toute chose, au vu des faits
("copwatching"), il fallait qu’il s’assure que je n’étais pas "anti-police".
J’ai choisi de ne rien déclarer, à part de ne pas avoir été violent à l’égard de la policière. L’OPJ,
surpris de ma connaissance de mon droit à ne rien déclarer, m’a félicité. Sur un ton très
sympathique : "Effectivement, je vois que vous connaissez le droit. Vous avez tout-à-fait le droit de
ne rien déclarer, et si je peux vous donner un conseil : usez-en et abusez-en".
"C’est bien la preuve qu’on est encore dans un état de droit. En Syrie, ... on vous aurait lynché !"

Il a imprimé deux documents (le PV et ma déclaration). Il m’a alors demandé : « Comptez-vous
signer ce document ?
 » sans pourtant me le montrer. J’ai répondu que je souhaitais le lire,
naturellement. Il m’a alors demandé si je voulais bien signer là [en me montrant fixement de
l’index la zone sur laquelle je devais immédiatement signer].
Je dis «  attendez, je lis ». Je commence à lire, il me presse : "Allez, traînez pas, c’est pas important,
c’est juste des formalités, c’est administratif. Ce qui est important c’est pas ça, c’est l’autre, vos
déclarations".

Je lis quand-même (ou alors il ne faut pas me proposer de le signer !), un peu en diagonale car
sous la pression, et là je tombe sur "déclare ne pas souhaiter être examiné par un médecin".
Je dis "Ah ben si ! Je veux bien voir un médecin".
Lui, d’un ton ferme : "Bon, Michel. Vous n’allez pas commencer. J’ai été très patient jusqu’ici. Mais
on va pas y passer la nuit"
.
Très mal à l’aise, je lui dis qu’ayant agacé des policiers, je peux craindre à priori (même si je pense
que tout va bien se passer) des vengeances dans ma cellule.
"Non Michel, vous ne serez pas frappés. Je vous le promets ; vous êtes sous notre protection."
Un peu contrarié, et ne pouvant me concentrer pour lire sereinement le document, j’ai donc
préféré ne pas signer le PV : "Alors je ne signe pas. Mais ça n’a pas d’importance je suppose ?"
Lui : _ "Non, ça n’a pas d’importance."
J’ai ensuite pu lire ma déclaration (attentivement). Elle était conforme à mes dires ; je l’ai donc
signée.
Subitement de nouveau détendu l’OPJ prend le temps de discuter : "Au fait, j’ai une question, qui
n’a rien à voir, simple curiosité - vous pouvez me répondre ou ne pas me répondre : Vous êtes pour
ou contre la vidéosurveillance ?"
J’ai poliment choisi de ne pas répondre.
Puis il m’a parlé de la Syrie, et de la Chine et du Tibet.

J’ai alors été conduit dans ma cellule. Suis ressorti pour aller chercher un matelas. Pas droit à un
oreiller, ni à une couverture, ni à de l’eau dans la cellule. Ni évidemment à un journal, un livre ou
un jeu de cartes (je me doutais de la réponse, mais j’ai tout de même demandé tout cela, au cas
où...).
On est ensuite revenu me chercher pour l’audition contradictoire avec la policière plaignante
Aurélie EFE. On me fait m’asseoir juste à côté d’elle, ma chaise à 30cm de la sienne (toujours sans
menottes).
La policière plaignante Aurélie E. a déclaré que je l’ai poussée «  dans l’intention de la faire tomber
au sol. »
Au mur était affiché un papier où il était écrit que toute fausse déclaration était un délit
grave.
L’OPJ était une femme brune aux cheveux longs, pas causante. L’audition a été rapide, car je ne
savais pas si j’avais intérêt à expliquer les choses ou à me taire comme c’est souvent conseillé.

A une heure du matin, on me réveille. "C’est pour les photos et relevés biologiques."
Pas bien réveillé, j’hésite. "Je souhaite VRAIMENT refuser. Surtout l’ADN, et aussi la photo. On ne
peut pas voir ça demain ?
". Le policier était très compréhensif face à mon embarras et mon
hésitation. Je voudrais un avocat pour connaître les risques encourus avant de prendre une telle
décision (je ne veux pas aller en prison pour ça !). Il prend le temps et me dit qu’il ne force pas les
gens. Je l’en remercie sincèrement, tente de rassembler mes esprits, puis lui dis que pour l’instant,
je refuse, mais que je reviendrai peut-être sur ma décision après avoir réfléchi.
Puis il revient peu après avec l’info : 1 an et 15 000€ d’amende pour l’ADN - et relativement «  pas
grand-chose
 » (3 mois) pour le refus de photo et empreintes.
Ce qui ne me dit pas quelles sont les peines réellement prononcées pour de tels refus, ni si
l’accusation de violences volontaires (!) sur agent ne risque pas d’aggraver la peine pour refus
d’ADN, photo et empreintes, ni si le refus de la photo ne va pas être un choix contre-stratégique...
Le policier consciencieux, part chercher l’OPJ (asiatique) qui vient me voir en cellule et me dit que
l’avocat, c’est au début de la procédure qu’il faut le demander. "Mais de toute façon, vous
connaissez le droit non ?
" ironise-t-il.
A-t-on le droit moral de faire peser une si lourde peine judiciaire sur une décision délicate prise en
quelques minutes sans avoir la possibilité d’accéder à des informations extérieures ?

Quoi qu’il en soit, j’ai très peur de la photo. Avant, une photo d’identité, c’était juste une photo. Un
objet. Aujourd’hui, avec le développement de la biométrie, il est désormais possible de coupler les
très nombreuses caméras de vidéosurveillance avec la recherche d’un visage. Comme dans un livre
de science-fiction. Or il y a eu des dictatures dans le passé. Je ne peux pas affirmer qu’il n’y en aura
plus jamais dans le futur. Et puis il me paraît très important d’avoir le contrôle de la divulgation de
son identité, et de pouvoir savoir à qui (quelle personne, quelle institution) on a révélé son
identité. Le fait de dévoiler les données biométriques de mon visage est une véritable angoisse
pour moi, puisqu’alors la divulgation de mon identité échappe à mon contrôle. C’est précisément
la raison pour laquelle j’ai refusé de faire un passeport, alors que je souhaitais partir travailler un
ou deux ans en Amérique latine comme ingénieur forestier.
Pour l’ADN, les raisons de mon refus sont les suivantes :
Un outil de contrôle inquiétant en cas de montée d’une dictature. Le fichage était prêt lorsque
Pétain est venu au pouvoir en France. Le schéma peut se reproduire, surtout que consécutivement
à la «  crise », on assiste à une montée des fascismes dans toute l’Europe. _ Et comme pour la photo,
le fichage ADN permet d’obtenir l’identité des gens sans leur consentement, et à leur insu.
En plus du fait qu’il comporte l’information de l’origine ethnique, et de possibles maladies
génétiques (mais ces arguments sont secondaires à mon avis, des prétextes utiles pour invoquer la
non-constitutionnalité du procédé).
Et puis mon corps n’appartient qu’à moi. Ces informations biologiques m’appartiennent
intimement. Me les prendre, d’une certaine façon, ce serait me violer. Je n’ai pas envie de laisser
l’État investir mon corps pour l’analyser de mon vivant.
Et pour les empreintes digitales : le raisonnement précédent s’applique toujours, mais de façon
moins intense. Curieusement, ça me gêne moins (peut-être parce que c’est une information de
surface ? Ou parce que j’en ai déjà donné une (l’index) étant petit pour ma carte d’identité ?)
Mais on m’a dit que je refusais tout (l’ADN, la photo, les empreintes digitales), ou rien. C’est un
même tout. Ceci m’a été expliqué :
par un policier de nuit : "si vous ne faites pas l’ADN, vous ne faites rien, puisque c’est le même
document". "C’est tout ou rien".

par le policier de la police scientifique qui est venu me redemander à 7h00 : "normalement je ne
passe pas tant de temps que ça, mais je vous repose la question, parce que vous m’avez l’air d’être
quelqu’un de conscient." "Autant avec juste ce que vous avez fait vous n’irez sans doute pas en
prison, autant avec ça vous aggravez votre cas, et vous risquez de faire sûrement de la prison, ou
en tout cas ça va être chaud !"
.
par le 4ème OPJ, auquel j’ai demandé confirmation qu’il s’agissait bien d’un tout.
Ils m’ont dit que je pouvais toujours faire seulement les empreintes digitales si je voulais, mais que
ceci n’aurait aucun sens.
Alors je me suis senti très soulagé de ne donner aucune donnée corporelle.
Que mes convictions et mes angoisses soient justifiées ou non, j’ai apprécié qu’elles soient
respectées par les fonctionnaires qui se sont chargés de mon cas.

A ceci près que je dois
maintenant assumer cette issue comme un délit.
Pour ce second chef d’inculpation j’ai eu une nouvelle audience avec un OPJ. J’ai alors de nouveau
réclamé un avocat, commis d’office (Maître Bonamie). Je n’ai pas signé le nouveau PV car il
stipulait que lors de la première audition j’avais déclaré ne pas demander d’avocat.
La police dispose de deux heures pour faire venir l’avocat. J’attends une heure environ. L’avocate
est là. On se réunit (on dispose de 20 minutes environ) dans le local de fouille. L’avocate
m’explique que "je vous rassure, là on est dans du light". Mais me confirme que la parole d’un
policier est toujours plus écoutée que celle d’un civil.
Elle m’explique tout très bien. (Mais heureusement que j’ai déjà quelques notions : ça ferait
beaucoup trop d’informations en bien trop peu de temps sinon !)
On voit ensuite l’OPJ, qui finalement décide de ne pas m’auditionner, au motif que je n’ai rien
déclaré précédemment. Je m’expliquerai donc directement devant le procureur, à 14h00.
Je signe le PV de fin de garde à vue. On me remet en cellule (!) "le temps que le camion arrive".
J’attends deux heures trois quart, puis on m’annonce que je sors sans passer par le procureur.
"Vous avez de la chance".

Je suis finalement convoqué le 21 juin 2012 à 14h00 au TGI à l’audience de la 11è chambre,
Section A, devant une formation collégiale.
Mon appareil photo est saisi.
Le lendemain, sorti de garde à vue, je suis retourné sur le lieu de mon arrestation en espérant
retrouver un ou plusieurs témoins pour témoigner de ma non-violence.
J’ai retrouvé toutes les personnes suivantes (10), qui ont toutes souhaité se porter témoins de la
scène, et qui affirment que je n’ai pas été violent, et qu’ils n’ont pas vu la policière tomber / ou que
la policière n’est pas tombée (selon les cas) :
[Première liste de 10 témoins (des faux noms pour la plupart) non-divulguée publiquement]
Ils m’ont tous reçu avec enthousiasme. Ce fut un grand moment de solidarité.
Plusieurs d’entre eux ont en revanche été marqués par la violence du policier qui m’a pris par les
cheveux.
Et surtout, ils ont été scandalisés par le mensonge de la policière et de son collègue.
Une déception : mon témoin principal, Ahmed F., est peu crédible car SDF et alcoolique.


Le 12 avril 2012, j’ai retrouvé les témoins. Je constate – et on m’avoue aussi – que certains
m’avaient donné de faux noms et de faux numéros de téléphone. Certains finalement se rétractent
(je les barre de la liste ci-dessus). L’un m’a dit explicitement qu’il avait peur des représailles de la
police. Brice M. n’a pas envie de l’écrire lui-même, mais accepte finalement. _ Je lui dis que le
policier ne m’a pas véritablement frappé, il me répond «  On laisse ! Moi ils m’ont frappé, alors on
laisse »
. Ali M. veut témoigner mais refuse d’écrire lui-même, au prétexte d’une blessure au
poignet. J’écris donc sa déclaration, strictement sous sa dictée. De même pour Mohamed B., qui
me dicte sa déclaration. De même pour Tarek D., qui refuse d’écrire lui-même, veut que j’écrive
moi, me dit que je n’ai qu’à dire qu’il avait le poignet cassé. Je refuse cette fois, il fait finalement
écrire sa déclaration par un autre jeune (Karim B.).
[Liste de « témoins » actualisée, non rendue publique (un seul accepte de témoigner, mais est
SDF et alcoolique)]
L’un d’eux me déclare qu’après l’arrestation, il s’est fait tazer par la police. _ Mais il refuse de le
noter dans sa déclaration. Je demande plus tard à un de ses potes pour quelle raison : « parce qu’il
rigolait trop ».

J’espère que ces témoins seront entendus comme il se doit, indépendamment de leur jeune âge,
de leurs éventuels antécédents avec la police ou la justice, et de leur origine.


Finalement, malgré mes nombreuses tentatives, à part Ahmed F., aucun n’accepte de me donner
sa carte d’identité. Leurs témoignages sont donc sans valeur.

Michel D.


P.S. : En annexe pour encore mieux comprendre la situation :
Comme l’explique (par exemple) Amnesty International, les agents de police bénéficient d’une impunité quasi totale http://www.liberation.fr/societe/01...
Pour en savoir plus sur l’usage abusif des délits d’outrage et de rébellion par les forces de l’ordre :[_> http://www.actujuridique.com/index.php?2007/03/01/4-outrage-et-rebellion] (Rq : ne vaut pas parole d’avocat, on y a relevé une inexactitude)
Pour une meilleure compréhension du cadre politique : le brillant sociologue Loïc Waquant explique comment l’on est en train de passer progressivement d’un état social à un état pénal (de la main gauche de l’état, "maternelle", qui éduque, accompagne, soigne, ... à la main droite de l’état, "paternelle", qui punit). Voir http://www.dailymotion.com/video/x3...


Voir aussi Mille Bâbords 20626
4/05/2012
Abus policiers en cascade : le cas de Michel D. à Marseille


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