Une tribune pour les luttes

Le carnet de Colette Braeckman

Rwanda : dix années de “justice sur l’herbe”, deux millions de comparutions

Article mis en ligne le vendredi 22 juin 2012

http://blog.lesoir.be/colette-braec...

16 juin 2012

Au lendemain du génocide de 1994, la justice représentait une équation insoluble : un million de morts, deux millions de réfugiés dans les pays voisins, des tribunaux détruits, où les recueils de lois et les archives avaient servi de papier pour rouler des cigarettes ! Les nouvelles autorités, sous la houlette du Front patriotique rwandais, voulaient à la fois éradiquer l’impunité, rendre chacun comptable de ses crimes et reconstruire une nouvelle citoyenneté, fondée sur le respect de l’autre et le dépassement des clivages ethniques. L’un des piliers de la réhabilitation du peuple rwandais devait être la justice. Mais en 1999, le bilan était décevant : c’est au compte gouttes, plus soucieuse de jurisprudence que de pédagogie que le Tribunal pénal international d’Arusha examinait le cas des principaux « cerveaux » du génocide et dans le pays, la justice classique était enrayée, n’ayant réussi à traiter que 6000 cas, tandis que 150.000 détenus s’entassaient dans des prisons surpeuplées…

C’est alors, au sortir de nombreuses consultations et séances de réflexion, que les autorités rwandaises remirent au goût du jour une ancienne formule, la « gaçaça » littéralement «  justice sur l’herbe. » Avant la période coloniale en effet, seuls les crimes de sang étaient déférés auprès du Mwami (le roi) ; les autres méfaits étaient examinés dans les communautés et la justice était rendue en présence de tous, de manière à être socialement acceptable.
La nouvelle « gaçaça » a du s’adapter, tant à l’ampleur des crimes qu’au nombre de criminels, elle a du intégrer des éléments du droit contemporain, veiller à promouvoir, en même temps que le châtiment, des valeurs supérieures telles que la réconciliation, la lutte contre l’impunité, le dépassement des clivages ethniques.
Voici dix ans, au terme d’une longue préparation menée dans tout le pays, les juridictions « gaçaça » virent le jour : dans chaque commune, des juges avaient été formés, des dates d’audience fixées, avec assistance obligatoire.

De l’extérieur, cette procédure pragmatique fut souvent critiquée, dénoncée comme une «  justice de vainqueurs », partiale et expéditive. Tous ceux qui ont assisté à ces séances de gaçaça en ont retiré un autre sentiment, frappés qu’ils étaient par le sérieux des juges, la solennité d’une procédure organisée dans des lieux modestes, l’attention de l’assistance et aussi la formidable charge émotionnelle de ces audiences. Combien de fois ne vit on pas des criminels, sous le regard de leurs voisins, confesser leurs actes, demander pardon, et accepter de donner des détails sur les circonstances de la mort de leurs victimes, allant jusqu’à conduire les parents des défunts vers le marais, les latrines et autres lieux où les dépouilles avaient été jetées ?
Cet exercice public de vérité et de repentance a certainement eu un effet thérapeutique sur cette société blessée. En effet, les criminels acceptant d’avouer leurs fautes ont souvent bénéficié de réductions de peine, tandis que la participation à des travaux d’intérêt collectif a permis de transformer la sanction en actes bénéfiques à toute la communauté (de nombreuses routes pavées sont le résultat de ces travaux collectifs)
En dix ans, environ deux millions de suspects, accusés de crimes de gravité diverse, ont comparu devant les juridictions gaçaça et leurs témoignages, méthodiquement consignés, représentent une source d’information unique sur ce qui s’est réellement passé au Rwanda durant les cent jours du génocide.

Parallèlement aux travaux de la Commission Vérité et Réconciliation en Afrique du Sud, la justice « gaçaça » au Rwanda représente aussi une contribution exceptionnelle de l’Afrique à la résolution des conflits et à la refondation d’une identité nationale…

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