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Détruire un homme !
Réponse de Mikis Théodorakis à ses détracteurs

"... leur tactique habituelle : me coller « l’étiquette » d’antisémite, de sorte qu’aucun Juif, où qu’il se trouve, ne veuille plus entendre non seulement mes idées, mais même mon nom "
+ Lettre de Serge Grossvak à Mikis Théodorakis

Article mis en ligne le lundi 2 juillet 2012

Détruire un homme !

21 Juin 2012

Par claude de villepin

http://blogs.mediapart.fr/blog/clau...

Réponse de Mikis Théodorakis à ses détracteurs

Je suis Grec et fier de l’être, car nous sommes le seul peuple en Europe qui, pendant l’occupation allemande (1941-1944), non seulement n’a pas exercé de poursuites contre les Juifs mais, au contraire, les a aidés à vivre et à survivre avec tous les moyens dont nous disposions.

À l’époque, J’étais moi-même partisan de l’Armée populaire de Libération et je me souviens que nous avions pris sous notre protection de nombreuses familles de Juifs Grecs, que nous nous sommes souvent battus contre les SS pour les sauver et beaucoup d’entre nous l’ont payé de leur vie.

Plus tard, j’ai composé le cycle “Mauthausen” que, notamment en Israël, l’on considère quasiment comme un hymne national. J’ai ressenti une des plus grandes émotions de ma vie quand, dans les années 80, il m’a été accordé de diriger cette œuvre sur le site du camp de concentration de Mauthausen, tout d’abord chantée en grec par sa première interprète, Maria Farantouri, puis en allemand par Gisela May et en hébreu par la chanteuse israélienne, Elinoar Moav. Je l’ai dirigée une fois encore sur ces lieux et, depuis lors, l’œuvre enregistrée est diffusée sans interruption sur le site du camp.

En 1972, j’ai bravé le boycottage européen et j’ai donné des dizaines de concerts en Israël, des moments que je qualifierais d’historiques en raison des liens d’amour mutuel qui nous unissaient.

À cette même époque, Yigal Allon, alors Vice-Premier ministre du gouvernement israélien et Ministre de l’Éducation et de la Culture, m’a confié une première mission, celle de transmettre un message de paix à Arafat au nom de son gouvernement. C’est dans cette intention que je l’ai rencontré à Beyrouth et, à cette occasion, j’ai donné une conférence de presse dans une salle. Un groupe de fanatiques Palestiniens avait décidé de m’abattre, car il me considérait comme un complice des Juifs. C’est Arafat lui-même qui me l’a dit le lendemain avec, à ses côtés… le groupe de mes assassins en puissance. Qu’est-ce qui m’a sauvé ? Mon amour authentique pour les deux peuples martyrs : les Juifs et les Palestiniens.

« Quand on t’a entendu pendant la conférence de presse », m’ont-ils dit, « on a compris que nous nous trompions ». Qu’est-ce que j’avais dit au cours de la conférence de presse ? « Le conflit qui vous oppose ne sera pas résolu par les armes, mais par la compréhension mutuelle. De l’autre côté, il y a des hommes ordinaires qui vous ressemblent, simples et travailleurs, capables d’aimer et qui, comme vous, aiment leur famille et leur pays. C’est eux que vous devez trouver, parce que c’est avec eux que vous pourrez vivre dans la paix ».

Arafat m’a dit : « Tu as chanté les Juifs et tu as eu raison, car eux aussi c’est un peuple tourmenté. Comme nous. Alors, s’il te plaît, écris une chanson pour nous aussi… ». C’est ainsi que j’ai écrit aussi un chant pour le peuple palestinien qui est devenu son Hymne national.

Bien plus tard, à l’occasion de la remise du prix Nobel de la Paix à Rabin (Israël) et à Arafat (Palestine), l’orchestre symphonique d’Oslo avec, en soliste, l’interprète finlandaise Arja Saijonmaa a joué “Mauthausen” en hommage à Israël et le chant que j’avais composé, reconnu comme Hymne National, en l’honneur du peuple palestinien. Ce moment symbolique suffit à démontrer la place que j’occupe dans l’esprit et dans les cœurs des deux peuples.

Je suis souvent allé en Israël, en Palestine et au Liban et c’était chaque fois la paix, l’amitié, la coexistence et la coopération entre ces deux peuples martyrs qui occupaient mes pensées. En tant que Grec, je me sens proche d’eux, comme si nous appartenions à la même famille. Et pourtant, pour certains fanatiques d’un côté comme de l’autre, je suis la cape rouge agitée devant le taureau.. Pourquoi ? Parce que j’ai la franchise et le courage de dire la vérité et de la dire même dans la gueule du loup. Ainsi, quand je suis en Palestine je m’exprime ouvertement et publiquement contre les fanatiques qui me haïssent et, quand je suis en Israël, je fais de même en critiquant tout aussi ouvertement et publiquement les fanatiques qui, en raison de la diaspora juive présente dans tous les pays du monde, ont la possibilité de transformer leur haine en venin et en mensonges monstrueux.

Dans mon opéra « les Métamorphoses de Dionysos » (dont j’ai écrit aussi le livret), il y a une scène où des Juifs sont déportés par des SS dans des camps d’extermination. Il s’agit d’un moment crucial de l’œuvre, d’une condamnation du Nazisme qui dévoile d’une façon très humaine, l’affliction psychique et intellectuelle que je ressens devant les souffrances des Juifs.

D’ailleurs, la dénonciation du racisme et la défense de ses victimes ont guidé mes décisions et mes actes tout au long de ma vie. Une vie jalonnée de poursuites qui m’ont souvent poussé jusqu’au seuil de la mort.

Donc, me qualifier de raciste et d’antisémite n’est pas une simple calomnie, mais l’expression de la pire bassesse morale, issue le plus souvent de cercles proches d’organisations et d’individus opérant dans la mouvance du Néonazisme et auxquels la crise a permis de relever la tête pour nous menacer et –incroyable, mais vrai– nous accuser, eux, d’….antisémitisme en utilisant un arsenal de mensonges et de déclarations insidieuses !

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Athènes, le 15 juin 2012

Mikis Théodorakis

[Traduit du grec par Arlette Manoli]


Complément

Lettre de Serge Grossvak à Mikis Théodorakis

Une belle lettre, même si elle est sans objet ...

Cher Mikis, cher ami,

Je t’écris le cœur lourd, lourd et inquiet. Et je sais que ma lettre t’atteindra, parce que nous avons une relation commune par une chorale juive de Paris, parce que tu es un homme au cœur sensible pour l’humanité.

Rien ne me fera oublier ton passé au courage exemplaire de la Résistance. Rien ne me fera oublier « Asma Asmaton » chanté par Angélique Ionatos et que tu as mis en musique. Cette complainte du cycle Matauhausen où le chant prend la place des mots impossibles à trouver. Cette femme qui ne revient pas, qui était si belle et si aimée, et qu’il est impossible d’imaginer effacée de ce monde.

Je dois te dire, cher Mikis, que mes parents ne parlaient pas de ces camps de la mort. C’était trop lourd. C’était trop de peur. Pendant. Et après à l’idée d’y avoir échappé, à l’idée de ceux de la famille qui n’y avaient pas échapper. Moi, je l’ai découvert « incidemment » dans un livre camouflé au plus haut de la bibliothèque. J’avais 10 ans tout au plus, et j’ai vu, et j’ai lu. Ces photos de la mort, ces tas de cadavres, ces abat jours en peaux humaines, ces pendaisons devant l’orchestre décharné et, et ce récit des soldats nazis jouant au foot avec des bébés juifs pour ballon… 10 ans, et à qui parler de l’indicible ?

Maintenant tout cela est au plus profond de moi, dans mes os, dans mon exigence de justice. Justice pour tous ! A la fois juif et humain parmi les humains.

Cher Mikis, tu fais parti de cette exigence de justice et de fraternité. Mais certains des propos que tu as tenus ne vont pas. Si ton passé et tes engagements témoignent que tu ne peux être jeté dans la fosse des petits individus sales de leur racisme, certains de tes jugements portent de lourds regards sur les juifs. Des regards qui te conduiraient à abdiquer tout ton parcours d’honneur, de courage, d’affrontement aux oppressions.

Je sais ce qui a provoqué en toi l’exaspération et même la colère, je partage tes sentiments. Ce qu’il se passe aujourd’hui en Israel est odieux. Nier ainsi un peuple, le jeter comme cela en soumission, en mise à merci de la force soldatesque est insupportable ! Et notre occident qui laisse faire, qui renie le Droit proclamé. Quelle honte !

Mais non, malgré tout, ta colère ne doit pas mener à l’aveuglement et laisser nourrir en haines ce qui à l’origine est un juste combat. Je ne sais si le poème d’Aragon est venu jusqu’en Grèce, celui de l’Affiche Rouge. Il a nourrit ma jeunesse. « Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand » clamait le martyrisé parce que ses bourreaux ne pouvaient être « le peuple allemand ». Tous les peuples ont leurs histoires, leurs passages, leurs gloires, leurs hontes… Ce moment présent est terrible pour nous, juifs. Les valeurs progressistes de fraternité ont été battues. Ca n’est pas, ça ne peut pas être, l’histoire juive. Pour nous en sortir nous avons besoin de solidarité, pas de violences racistes.

Lorsque tu fais griefs aux juifs de leur soutien aveugle au pouvoir israélien, tu as raison. C’est effectivement cet aveuglement qui prédomine encore aujourd’hui. Ca n’était pas l’idéal et les valeurs qui dominaient lors de la résistance au nazisme et de ses nombreux engagés. Nous sommes sur les aléas des opinions politiques. Les juifs en sont l’objet, comme pour tout groupe humain.

Mais lorsque tu reproches aux juifs d’être à la source du pouvoir financier… Quel écho avec l’histoire ! Quelle proximité avec ceux que tu as combattu au péril de ta vie ! Les juifs, tous les juifs, seraient liés à la finance ? Je dois te dire, je suis juif et je n’ai jamais disposé du moindre fifrelin de cette grande finance, du moindre millième de centimes, même du moindre sourire. Si certains de ces financiers sont juifs, même si ceux-ci sont nombreux, ce que j’ignore car je ne les fréquente pas, ils ne représentent pas les juifs mais leurs intérêts personnels, comme tout capitaliste juif ou pas. Tout comme les grecs ne se reconnaissent pas dans leurs milliardaires, les juifs n’éprouvent aucune communauté de destin avec les leurs. Si certains juifs ont à voir avec la finances, avec le pouvoir, ou autre, les juifs dans leur ensemble n’ont aucune identité dans ces positions sociales.

Laisser penser qu’un groupe humain est génétiquement lié aux comportements de certains de ses membres relève réellement du racisme. Que ce soit les juifs liés au pouvoir financier et politique, les arabes au terrorisme, les méditerranéens à l’entourloupe des institutions sociales et tout ce que l’on peut inventer... Tout cela relève de l’infect racisme.

Dans les mots dont tu as fait usage à l’égard des juifs concernant la finance, le pouvoir, la domination des institutions musicales, tout cela insulte les valeurs dont tu as fait preuve jusqu’à présent. En France, le choix de chacun est un choix de citoyen, pas une attitude de communauté confrontée aux autres. Cet idéal devrait faire écho à tes convictions.

Comment en arrives tu à penser que les juifs français ne seraient pas français ? N’y a-t-il pas eu assez de juifs solidaires de leur pays, de juifs soucieux de solidarité nationale ? Ignores tu à ce point l’histoire de mon pays ? Un français soutenant Israel, ou l’Algérie, ou les Etats-Unis, ou… Ne serait plus français ? Perçois tu comme cela peut être blessant pour mes grands parents venus en France avec une montagne d’espoir ? Et pour moi, qui me sens tout simplement citoyen français tout en étant juif ?

Oui, Mikis, je te le disais au début, cette politique de conquistador que mène le gouvernement israélien est odieuse, abjecte. Ce conflit qui dure, qui dure, dans le mépris du droit et de la justice nous désespère. Ce peuple palestinien qui est bafoué chaque jour… C’est insupportable au plus profond de notre âme humaine. Et toi, comme moi, vois le peuple israélien porter au pouvoir des matamores toujours plus fous, toujours plus racistes, toujours plus fascistes. Et toi, comme moi, vois cette opposition molle d’une gauche sioniste si peu à gauche, si peu encline à sentir l’inhumanité de cet esprit de conquête et de non reconnaissance des frontières de 67.

Pourtant, il y eut tant de juifs qui avaient su s’engager dans la lutte anticoloniale ! Cette époque doit nous revenir ! Il semble bien que ce retour a commencé…

Sans doute la souffrance est-elle notre prison. Des générations et des siècles de parias et de pogroms. Et puis cette épreuve d’enfer de la shoa. Cela marque. Cela entre dans l’identité. C’est ainsi. C’est sans doute notre prison et Hannah Arendt avait eu raison d’en dénoncer le danger. C’était trop tôt pour être entendu.

Te faut-il présenter l’émergence de ce passé comme un traîtrise pour camoufler les forfaitures ? Ou choisir d’aider à l’émancipation de cette prison aveuglante ? Mikis, ce second choix te ressemblerait tellement plus !

Tu vois, je ne t’invective pas. Je ne fais pas comme ceux qui se délecte à présenter sans discernement toute mise en cause comme relevant de l’antisémitisme. L’écrivain Günther Grass, l’ambassadeur Stéphane Hessel, le journaliste Charles Enderlin, le professeur Christophe Oberlin… jetés au pilori pour éviter d’avoir à s’interroger… Ceux la se donnent bonne conscience et se nourrissent d’un regard sur le monde conçu en menace, jamais en solidarité. Ils ont peur et se réfugient derrière la soldatesque.

Tu vois, je ne t’invective pas, parce que j’ai confiance en toi. Ton passé de géant l’atteste. Mais tu dois reprendre tes esprits, refuser la pente vers le racisme. La lutte pour la justice est dure, longue, quelques fois décourageante, souvent rageante. Il ne faut pas que de jeunes rages puissent trouver en tes mots le chemin de l’abandon de la justice et de la fraternité pour s’engager dans celui de la haine destructrice. Ensemble, nous avons de l’espoir à faire vivre !

Dans cette période si terrible pour le peuple grec, je ne peux achever ma lettre sans un mot pour dire comme je pense à eux, comme je sais l’injustice de ce qui arrive et comme je veux témoigner de toute ma solidarité d’internationaliste.

Serge Grossvak

Le 5 juillet 2012

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