Une tribune pour les luttes

Communiqué RESF du 10 juillet 2012

Des principes pour s’asseoir dessus

+ RESF 37 / Fin de la garde à vue pour les sans-papiers, Assignation à résidence pour les familles : Ne pas se réjouir trop vite !

Article mis en ligne le vendredi 13 juillet 2012

Promise par le candidat François Hollande, maintes fois évoquée depuis, en particulier par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault qui assurait le 3 juillet devant l’assemblée nationale «  aucun enfant, aucune famille ne seront placés dans un centre de rétention », la circulaire interdisant le placement en rétention des familles sans papiers a été adressée aux préfets le 6 juillet.

Elle énonce parfaitement les principes : «  La protection de l’intérêt supérieur de l’enfant doit, en toutes circonstances, être assurée. La mise en œuvre de cet impératif » Il est donc demandé aux préfets « d’appliquer la procédure d’assignation à résidence plutôt que le placement en rétention » des familles. La formulation n’est pas très injonctive, mais elle est claire et si la circulaire s’était arrêtée là, elle aurait constitué un vrai pas en avant et l’accomplissement sans bavure d’un engagement présidentiel. Il n’en est, hélas, rien. Tremblant à l’idée d’être soupçonné de laxisme, le ministre de l’Intérieur multiplie les précautions, les conditions, les nuances et les prudences propres, croit-il, à l’absoudre auprès de la droite et de l’extrême-droite.

C’est ainsi qu’il précise que si l’assignation à résidence d’une famille peut durer 45 jours, elle est renouvelable une fois ! La justice a interdit le placement en garde à vue pour 24 heures des sans papiers, Valls invente l’assignation à résidence avec pointage régulier au commissariat pour trois mois !

En outre, si le ministre de l’Intérieur a des principes, ils sont à géométrie variables et ses impératifs moraux assez peu catégoriques. La rétention des familles est interdite, affaire de principe !

Sauf pour les familles « dont les garanties de représentation sont faibles et dont le comportement d’ensemble révèle une volonté manifeste de fraude et de refus de leurs obligations… vigilance toute particulière ou assignation dans un autre lieu permettant une surveillance facilitée pour les services de police ou de gendarmerie ». C’est beau comme du Guéant et ça ouvre la porte à toutes les interprétations arbitraires !

Sauf aussi, « en cas de fuite d’un ou de plusieurs membres de la famille ou de refus d’embarquement »… Au gnouf, tout le monde, papa, maman et les petits enfants, dans les mêmes lieux, avec les mêmes équipements et les mêmes précautions oratoires que Guéant !

Bref, à lire Valls, seuls seront assurément dispensés du centre de rétention, les enfants dont les parents se laisseront volontiers expulser. C’est la valise ou la rétention ? Manuel Valls s’assoit sur les principes énoncés par Hollande et Ayrault !

Enfin, et c’est, et de loin, le plus grave, la circulaire Valls ne s’appliquera pas à Mayotte dont le statut récent de département français devrait imposer qu’y soient respectées toutes les lois et les circulaires de la république. Pourtant, plus de 5 000 enfants y ont été enfermés en 2011, certains sans leurs parents, dans un centre de rétention aux conditions moyenâgeuses : pas de lit, des nattes au sol, pas de table, on mange par terre, dans des gamelles, hygiène défaillante, promiscuité avec les adultes. « L’intérêt supérieur de l’enfant », « en toutes circonstances », « impératif » a écrit le ministre de l’Intérieur de François Hollande. Les enfants de Mayotte ne sont pas des enfants ? Pas des enfants comme les nôtres, ceux vivant en métropole ?


Fin de la garde à vue pour les sans-papiers
Assignation à résidence pour les familles :
Ne pas se réjouir trop vite !

Un mois après la Chambre criminelle, la Chambre civile de la Cour de Cassation vient de rendre son avis : la mise en garde à vue d’un « sans papiers  » sur le seul motif qu’il est en situation irrégulière sur le territoire est illégale – étant entendu que la police conserve le droit de mettre en garde-à-vue pendant 24 heures, voire plus, un étranger dépourvu de titre de séjour pour tout autre motif, en droit strict, tout soupçon de délit ou de crime passible d’emprisonnement. Le « délit de séjour irrégulier  », défini dans le Code d’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) ne peut donc, à lui seul, justifier d’une garde-à-vue. Pas plus qu’une infraction comme traverser la rue en dehors d’un passage piéton.

Qu’une garde-à-vue de 24 heures ou 48 heures puisse être ainsi épargnée aux étrangers dépourvus de titre de séjour ne peut que satisfaire les défenseurs des droits humains, qui se battent depuis tant d’années pour la suppression du traitement d’exception réservé aux étrangers, du seul fait qu’ils sont étrangers.

Mais cet avis de la Cour, qui reprend plusieurs décisions de la Cour de Justice de l’Union Européenne, aussi positif soit-il au plan des principes, n’aura que peu d’incidence sur le sort concret des « sans papiers  ». En effet, une circulaire du Ministre de la justice en date du 6 juillet adressée aux procureurs de la République et aux procureurs généraux précise que tout étranger reste susceptible d’être «  prié » de suivre la police au commissariat le plus proche pour une « vérification d’identité  », qui n’excèdera pas 4 heures. Mais ce laps de temps permettra à la Préfecture, alertée par la police, de faxer dare-dare un arrêté de mise en rétention pour une bonne exécution d’une « mesure d’éloignement » comme on dit en prose administrative. Et pour faciliter la rapidité des réactions des autorités, le Ministre de l’Intérieur vient, ce même 6 juillet, de rappeler aux Préfets la nécessité d’inscrire au fichier des personnes recherchées tout étranger dont ils ont connaissance de l’irrégularité de la situation.

A vrai dire, c’est déjà ainsi que cela se passe dans bien des commissariats, notamment à Tours, avec cette circonstance aggravante que la « vérification d’identité » n’étant pas une garde-à-vue, le « vérifié  » ne peut bénéficier de l’assistance d’un avocat. Et sitôt le placement en rétention décidé, il est expédié en Centre de rétention administrative à 200 ou 300 kms de là, avant même que ni son avocat, s’il en a un, ni ses proches, ni ses amis, ni ses soutiens, ni la Cimade, qui assure l’aide juridique aux retenus dans les commissariats, aient eu le temps de le contacter. Certes, pour l’administration, les délais sont courts, mais c’est une simple question d’organisation. La suppression de la garde-à-vue au seul motif qu’on est en situation irrégulière a ce résultat paradoxal que, loin de supprimer une réglementation d’exception, elle la renforce, en favorisant les rétentions, voire les expulsions express.

A contrario, on peut à première vue penser que la circulaire du 6 juillet 2012 privilégiant l’assignation à résidence pour les familles, plutôt que l’enfermement en centre de rétention, constitue une réelle avancée dans le respect des droits des étrangers. Plus jamais d’enfermement des enfants, considéré à plusieurs reprises par certains juges comme un traitement inhumain et dégradant, et fermement condamné par la Cour européenne des droits de l’homme.

Plus jamais ? Vraiment ?
Sauf si les parents ne respectent pas leurs obligations d’assignés à résidence, comme pointer de 3 à 5 fois par semaine au commissariat pendant 45 jours ; sauf si, à l’échéance, la famille n’a toujours pas quitté la France ; sauf si elle n’offre pas de «  garanties de représentation suffisantes  » - ce qui fait qu’on peut la soupçonner de vouloir se soustraire à l’expulsion au terme des 45 jours. A titre d’exemple, le Préfet d’Indre-et-Loire considère qu’une résidence en Centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) dans laquelle un débouté se maintiendrait après le rejet de sa demande, n’offre pas de «  garantie de représentation », même si cette adresse, et la réalité de la résidence ne font aucun doute. Pour tous ces « saufs », la rétention reste la norme.

Plus «  humaine » que la rétention, l’assignation à résidence ?
Assurément oui si, à l’échéance, personne ne s’avise de faire exécuter l’arrêté d’expulsion ou l’obligation de quitter le territoire ; assurément oui si, avant l’échéance, la famille s’est évanouie dans la nature, toujours sans papiers, certes ; toujours sur le qui-vive ; mais toujours là, en somme. Inutile de faire semblant de croire que les sans papiers expulsables ont pour premier souci de respecter leurs obligations de déguerpir – avec ou sans « aide (financière) au retour  ». Le gouvernement le sait bien qui, d’un côté, demande aux préfets de ne pas enfermer les familles ; et de l’autre, prévoit des dispositifs de stricts contrôles policiers pour qu’à l’échéance des 45 jours, les familles soient réellement appréhendées et embarquées de force dans un avion, si elles refusent de partir d’elles-mêmes.

L’avancée est donc limitée à des considérations humanitaires, mais ne constitue nullement un progrès dans le respect des droits des étrangers, pour les deux raisons suivantes :
- d’une part, l’assignation à résidence pour les familles sans papiers était déjà largement répandue avant la nouvelle circulaire ;
- d’autre part, les associations spécialisées dans l’assistance juridique des étrangers – notamment celles qui sont habilitées à intervenir en Centre de rétention administrative, la Cimade, France Terre d’Asile, etc. craignent que l’assignation à résidence contribue à priver les familles de leur aide et de leurs conseils, qui peuvent être décisifs pour annuler des arrêtés de mise en rétention et d’expulsion. Certes, on peut déplorer que nombre d’étrangers n’aient connaissance de leurs droits qu’au moment où ils sont enfermés dans les CRA. Et on ne va évidemment pas souhaiter leur enfermement à cette fin ! Mais si le gouvernement voulait vraiment améliorer l’accès aux droits, plutôt que des contrôles policiers accrus des personnes assignées à résidence, il prendrait des mesures pour faciliter les contacts des familles avec les associations…

Enfin, on ne peut s’empêcher de penser que les considérations d’économies budgétaires aient pu plaider en faveur de la règle de l’assignation à résidence. La gestion des CRA est lourde, coûteuse en personnel et en frais de déplacement, vers les tribunaux administratifs et les juges des libertés et de la détention (pour les recours formés par les retenus contre les mesures qui les frappent), et vers les consulats (dont il faut obtenir les laissez-passer). En revanche, si la famille est laissée en liberté (surveillée), la charge de ces déplacements lui incombe, évidemment.

L’assigné à résidence n’est plus enfermé dans un centre de rétention, il est enfermé dehors. La finalité, c’est à dire l’expulsion du territoire, est inchangée. Mais l’assignation à résidence permet d’entretenir cette fiction que le sans papiers, en somme, consent au contrôle policier, consent à son éloignement, consent à admettre qu’il est traité humainement, dans le respect de sa dignité. Ainsi jette-t-on un voile pudique sur la violence réelle faite à des hommes, des femmes et des enfants, au seul motif qu’ils sont «  sans papiers  ». Comme si « être sans papiers  » était une donnée de nature, alors que c’est le résultat de la violence première de l’Etat qui refuse de les délivrer, ces fameux «  papiers ».

On aurait donc tort de se réjouir sans nuance des deux « innovations  » dans le traitement de la situation des étrangers que nous venons de voir. Ce sont des décisions en trompe l’œil, qui ne remettent pas en cause l’essentiel, la position centrale du pouvoir administratif dans des « procédures » qui relèvent plus de l’arbitraire que du Droit des gens.

Réseau Education Sans Frontières d’Indre-et-Loire (RESF37)
11 juillet 2012

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Vos commentaires

  • Le 11 juillet 2012 à 18:53 En réponse à : Des principes pour s’asseoir dessus

    Les positions du nouveau ministre de l’intérieur sont critiquées et par la droite, qui l’accuse de laxisme, et par les associations bien pensantes soutenues par la gauche libérale-libertaire mondialiste, éternels idiots utiles de la mondialisation néo-libérale ... On peut en conclure que les positions de Valls sont les bonnes !

  • Le 11 juillet 2012 à 18:56, par Christiane En réponse à : Des principes pour s’asseoir dessus

    Le ministère de l’Intérieur a aussi adressé le 6 juillet une circulaire aux préfets leur demandant d’organiser leurs services "en considération de ce nouveau cadre juridique". Rappelant "l’obligation pour les précepteurs d’inscrire systématiquement au fichier des personnes recherchées (FPR) les mesures administratives prononcées à l’encontre des ressortissants étrangers", Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur, demande "de prendre, dès réception de ces instructions, toute disposition pour mettre en place la procédure d’inscription exigée".

  • Le 11 juillet 2012 à 18:59, par Christiane En réponse à : Des principes pour s’asseoir dessus

    Qui à droite a critiqué Vals ?
    Qui peut l’accuser de laxisme si on lit les circulaires plus loin que les déclarations d’intention pour gogos.
    Mais il est vrai qu’il y a continuité, ce sont déjà les socialistes qui ont institué en France les camps de rétention.

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