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SURVIE - Billets d’Afrique

Deux ministres en tournée françafricaine

par Thomas Noirot
+ "Bashir Saleh, l’homme qui valait sept milliards, (...) exfiltré par la France... par David Mauger

Article mis en ligne le samedi 4 août 2012

Avec les liens :
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4 août 2012

Afin de consulter les gouvernants de la sous-région à propos de la crise malienne, dans laquelle la France s’est auto-attribué le rôle de « facilitatrice » sans qu’on sache à quel titre, les ministres Laurent Fabius et Pascal Canfin se sont offert une virée bien françafricaine. Au prétexte de lutter contre les «  terroristes » du Nord Mali, ils se sont rendus du 26 au 28 juillet chez certains des pires criminels du continent, eux-mêmes « terroristes » à l’encontre de leur propre population. Les déclarations officielles de Fabius ont fini d’enterrer les espoirs de remise en cause du soutien aux despotes et de la coopération française, notamment sur le plan militaire et policier, avec les régimes dictatoriaux.

Dans le prolongement de la très critiquée réception à l’Elysée du dictateur gabonais Ali Bongo le 5 juillet et de celle de l’infréquentable Alassane Ouattara le 26 juillet, le chef de la diplomatie française et le ministre délégué au développement n’ont pas hésité à se rendre au Burkina Faso et au Tchad, à l’occasion d’une tournée ouest-africaine qui les a aussi amenés au Niger et au Sénégal.


Burkina Faso : aucun problème !

Á Ouagadougou, nos deux ministres et le député socialiste François Loncle, président du groupe d’amitié parlementaire France-Burkina Faso, ont ainsi rencontré successivement le ministre burkinabè des Affaires Etrangères, Djibrill Bassolé, et son dictateur de patron Blaise Compaoré. A l’issue du premier entretien, Fabius a fait une déclaration cent fois entendue : «  Sur les relations bilatérales, les choses vont très bien. _ La France et le Burkina Faso sont amis de longue date. Les relations entre nos gouvernants sont excellentes. La coopération va se poursuivre, s’amplifier si c’est possible. Nous n’allons pas inventer des problèmes là où ils n’existent pas. Il s’agit d’une véritable coopération de long terme, fluide, et nous avons l’intention, bien sûr, de la poursuivre ». Bien sûr. Car peu importe, après tout, que le pays soit dirigé par un despote resté au pouvoir plus longtemps que le tunisien Ben Ali ; qu’il ait fait éliminer Thomas Sankara pour prendre la tête du pays en 1987 ; que pour le journaliste Norbert Zongo, l’étudiant Dabo Boukary, et tous les autres martyrs de son règne, les familles attendent toujours que justice leur soit rendue ; et que son rôle soit même régulièrement évoqué, y compris lors du procès de Charles Taylor au Tribunal Spécial pour le Sierra Leone, dans les guerres qui ont dévasté ce pays et le Libéria à la fin des années 90. Peu importe tout cela pour ces ministres et ce député puisque Blaise les a ensuite « très aimablement reçus », selon Fabius qui n’a ensuite rien trouvé de mieux à exprimer que sa «  certitude que l’amitié entre la France et le Burkina est entre de bonnes mains ». On attend la réaction du socialiste Pouria Amirshahi, député des français de l’étranger sur cette circonscription et secrétaire national du PS à la coopération, à la francophonie et aux droits de l’homme. Ce dernier avait en effet fait savoir sa désapprobation sur la rencontre Hollande-Bongo, début juillet. Surtout, il avait pris soin, lors d’un déplacement au Burkina fin avril, de ne pas rencontrer les autorités en déclarant même en conférence de presse que les burkinabè attendent «  l’alternance, après 25 ans de présidence Compaoré ». Visiblement, ça n’est plus la ligne officielle du PS...

« L’expérience » de Déby : comme terroriste ?

Mais le pire restait à venir. Á N’Djamena, le patron du Quai d’Orsay a en effet fini de dissiper les espoirs des démocrates tchadiens qui attendaient une remise en cause du soutien historique dont bénéficie Idriss Déby. À la question d’un journaliste, lui demandant « avec l’arrivée des socialistes au pouvoir, quelle sera la coopération entre le Tchad et la France ? », sa réponse est limpide : «  Il y a un changement de président de la République, un changement de gouvernement, mais les relations d’amitiés demeurent. Le Tchad et la France, depuis très longtemps, ont des relations d’amitié, de partenariat. (...) J’ai ainsi trouvé dans le président Déby, que j’ai déjà rencontré il y a quelques années, un interlocuteur extrêmement ouvert à ce partenariat dont je me réjouis ». Le changement dans la continuité ! Fabius, impavide, a proclamé à cette occasion que ses collègues et lui étaient les « amis de la démocratie » et bien sûr «  les amis de l’Afrique ». Sans doute autant de bonnes raisons de légitimer Idriss Déby, dont la place serait pourtant aux côtés de son prédécesseur et ancien patron Hissène Habré, accusé de génocide et réfugié au Sénégal en attente d’être traduit en justice. Fabius, qui était venu chercher un soutien de plus à la position de la France (de « facilitatrice », bien sûr) dans la lutte contre les «  terroristes » d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et leurs alliés, ne croit pas si bien dire en déclarant : «  Le président Déby est connu pour l’expérience qu’il a sur toute une série de problèmes qui concernent la région ». Il est vrai que son CV est éloquent : sa responsabilité dans les massacres au Sud du pays dans les années 90 et la répression brutale de son régime font de lui un chef d’État terroriste, au sens qu’il terrorise sa propre population depuis déjà 21 ans, c’est-à-dire depuis son installation à la tête du pays grâce aux services secrets français. Il ne doit cette longévité au pouvoir qu’aux interventions de l’armée française et à la coopération militaire, dont on serait en droit d’attendre la suspension de la part d’un gouvernement progressiste. Mais Fabius, qui dit ne pas avoir évoqué avec Déby le sujet du millier de soldats français positionnés en permanence dans le pays, a cependant affirmé son « sentiment que la coopération entre le Tchad et la France va évidemment se poursuivre, se développer ». On ignore si le ministre EELV Pascal Canfin a participé ou non à cet entretien-là, mais il était bien présent au Tchad. Celui qui avait eu le culot d’affirmer dans une interview quelques jours plus tôt que son gouvernement avait « normalisé les relations entre la France et l’Afrique » confirme donc tacitement qu’il est « normal » que des ministres français se rendent chez l’un des dictateurs les plus brutaux du continent.


Fabius ne commet pas d’erreur

C’est finalement lors de l’étape sénégalaise de nos ministres qu’on peut trouver, dans les propos de Fabius, une prudente circonspection. Le patron du Quai d’Orsay, venant visiter le mouvement «  Y en a marre », a en effet averti que «  il faut aussi une vigilance parce que, même si un gouvernement est plus progressiste qu’un autre, il peut quand même commettre des erreurs  ». Mais il parlait alors du gouvernement de Macky Sall, et ne pensait évidemment pas à lui-même :« j’ai été ministre et Premier ministre très jeune et l’expérience cela a l’avantage d’aider à éviter les erreurs à ne pas commettre. Et la faute principale à commettre, c’est de rester enfermé dans les palais officiels et de se couper de la population ». _ C’est facile, à Dakar, de ne pas se limiter au « Sénégal officiel », comme il dit. En revanche, au Burkina Faso et au Tchad, on peut se contenter de rencontrer des gouvernants qui ne subsistent que par la répression de la population, et même réaffirmer les liens amicaux avec la dictature. Car en France les gouvernements passent, et « les relations d’amitiés demeurent » : Fabius le dit et le prouve.

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Bashir Saleh, l’homme qui valait sept milliards

Publié le 1er août 2012 (rédigé le 10 juin 2012)

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par David Mauger

Bashir Saleh, ce financier libyen de Kadhafi que protège le clan Sarkozy, est réclamé par le Conseil libyen. Au cœur des réseaux de la Françafrique, cet ami et intermédiaire richissime avait pourtant ses entrées à l’Elysée depuis 2003.

« Il est protégé par la France : un homme qui pèse 7 milliards de dollars peut s’acheter beaucoup de protection ».

Une déclaration sans ambiguïté d’un membre du Conseil national de transition (CNT) libyen (Financial Times, 8 avril). Homme de confiance de Kadhafi, il «  blanchissait des milliards de dollars en investissements et servait d’intermédiaire entre le régime libyen, l’Afrique et la France » (Ibidem).

Né au Niger, Bashir Saleh Bashir était directeur du cabinet de Kadhafi depuis 1998. À sa création en 2006, il devient directeur du Fonds d’investissement libyen en Afrique (Lybia Africa Investment Portfolio, LAP). Si son nom revient avec insistance dans les colonnes d’une partie de la presse française depuis un mois, on s’étonne toutefois de n’avoir eu vent plus tôt de ce personnage sulfureux.


Dès 2003 à l’Elysée....

Ses affaires en France et sa fréquentation des salons de l’Élysée remontent à l’ère Chirac, après la renonciation libyenne, en 2003, aux «  armes de destructions massives ». L’année suivante, Bashir Saleh projette d’investir dans le secteur de la communication. Sa cible : la radio Africa N°1 ainsi qu’un projet de télévision panafricaine, « 9.9.99 TV », dont la marraine, Calixthe Beyala, militait pour une meilleure représentativité des minorités à la télévision française.

Des accords de coopérations dans les domai­nes culturels, universitaires et fiscaux sont aussi signés en 2004 et 2005. En juillet 2006, Bashir Saleh est en pourparlers avec le groupe EADS, qui envisage d’installer une filiale à Tripoli, pour acheter une vingtaine d’avions Airbus et des hélicoptères Tigre. Il est alors aussi question des Rafales de Dassault. Patrick Ollier, compagnon de la ministre de la Défense de l’époque, Michèle Alliot-Marie, et président du groupe d’amitiés France-Libye de l’Assemblée nationale, apparaît comme un homme clé du rapprochement franco-libyen. À l’Élysée, c’est Maurice Gourdault-Montagne, conseiller diplomatique de Chirac, qui est l’interlocuteur de Bashir Saleh.
Collaboration élyséo-libyenne

Selon un document – contesté - publié par Mediapart (28 avril), au cours d’une réunion tenue le 6 octobre 2006 à laquelle participait Brice Hortefeux, Ziad Takieddine, Bashir Saleh et d’autres proches de Kadhafi, le chef des services de sécurité extérieure libyens, Moussa Koussa – aujourd’hui réfugié au Qatar –, demande à Bashir Saleh et son fonds LAP de financer à hauteur de 50 millions d’euros la campagne électorale de Nicolas Sarkozy.

Voilà qui justifie le propos d’un diplomate « longtemps en poste à Tripoli » au sujet de Bashir Saleh : « C’était une sorte d’intendant général, il en savait plus que le patron de la Banque centrale libyenne sur les cadeaux faits aux amis étrangers. Si Kadhafi disait “il faut donner deux millions à Untel’’, c’est lui qui s’en occupait. » (Le Canard Enchaîné, 4 avril).

Dans les semaines qui suivent l’élection de 2007, Kadhafi confirme au nouveau président Sarkozy que Bashir Saleh doit être son interlocuteur pour les «  questions délicates » (Mediapart, 14 mai). Bashir Saleh est rapidement reçu à l’Élysée par le nouveau secrétaire général, Claude Guéant, officiellement pour préparer la libération des infirmières bulgares et le voyage de Sarkozy en Libye. Au cours de ce déplacement libyen, en juillet, huit accords bilatéraux – publiés sur le site de la diplomatie française – sont conclus, dont un memorandum relatif à la « production d’énergie nucléaire et de dessalement de l’eau » et à « l’utilisation pacifique de l’énergie atomique », ainsi qu’un accord de défense ouvrant notamment la possibilité de «  manœuvres militaires conjointes », la « coopération dans l’entraînement des forces spéciales » et, bien sûr, «  l’acquisition de différents matériels et systèmes de défense ».

En août et jusqu’en décembre 2007, Bashir Saleh et Guéant se rencontrent pour préparer de nouveaux contrats ainsi que la fameuse visite de Kadhafi à Paris. De 2007 à la chute de Khadafi, l’opposant toubou Jomode Elie Getty, dont l’ONG Tibesti avait porté plainte contre Kadhafi devant la Cour pénale internationale en 2009 pour avoir disséminé des mines au nord du Tchad, se plaint d’avoir été étroitement surveillé par les services libyens, en collaboration avec les autorités françaises (Médiapart, 11 avril).

En juin 2007, pour les anciens services libyens, « il faut demander à Bashir Saleh d’acheter des systèmes d’écoutes sophistiqués afin de surveiller [Jomode Elie Getty et son groupe d’opposants], étant donné qu’il a des relations en France ». Sans doute à verser au dossier Amesys (Lire Billets d’Afrique n°207).

Au cours de l’été 2008, l’Élysée fait pression sur la sous-préfecture de Gex pour que la femme de Bashir Saleh, libanaise, soit rapidement naturalisée, alors même qu’elle ne remplit pas les conditions requises (Mediapart, 16 mai). Madame habite à une poignée de kilomètres des bureaux de la filiale suisse de LAP et du secteur français de l’aéroport de Genève – fréquenté par d’autres intermédiaires sulfureux comme Ziad Takkiedine (Le Point, 25 avril).

À la même époque, Bashir Saleh semble marginalisé dans l’entourage du guide libyen et une grande partie des promesses d’achats de Kadhafi s’envolent. À noter tout de même, en juillet 2008, la signature d’un accord stratégique entre LAP et Progosa – la rivale chiraquienne de Bolloré (Billets d’Afrique n°181 et 182) – pour le développement de ports secs dans les pays sahéliens (Lettre du Continent, 17 juillet 2008).

Saleh exfiltré par la France

En mai 2009, selon la Lettre de l’Océan indien (23 mai 2009), tandis que la ligne officielle de Paris comme celle de l’ensemble de la communauté internationale consiste à condamner le renversement du président malgache Marc Ravalomanana, c’est encore par le biais de Bashir Saleh que Guéant parvient à convaincre Kaddhafi de recevoir le président de la Haute autorité de transition malgache, Andry Rajoelina. Kadhafi dépêche un avion spécial pour faire venir Rajoelina et ses conseillers français, dont Patrick Leloup (Billets d’Afrique n°199), en Libye.

Quelques jours plus tard, depuis son exil sud-africain, le président malgache renversé accusera la France d’être à l’origine du coup d’état.

Bashir Saleh revient sur le devant de la scène franco-libyenne pendant la guerre de 2011. En juin, Sarkozy le reçoit discrètement (Le Figaro, 29 juin 2011). En août, c’est au tour de Dominique de Villepin, accompagné d’un autre intermédiaire célèbre, Alexandre Djouhri, de rencontrer Bashir Saleh à Djerba, en Tunisie. Le ministre libyen du pétrole, Choukri Ghanem, qui a fui la Libye pendant le printemps et qui assiste à la rencontre sera retrouvé mort à Vienne le 29 avril dernier, noyé dans le Danube.

Toujours au mois d’août, se tient le procès pour esclavage domestique, de l’épouse franco-libanaise de Bashir Saleh. Elle sera condamnée le 25 avril, en première instance, à deux ans de prison avec sursis, 70 000 euros d’amende et 42 400 euros de dommages et intérêts.

Saleh, seul immigré accueilli à bras ouvert par Claude Guéant

En novembre, les forces spéciales françaises ont, avec l’accord du CNT libyen qui le détenait, exfiltré Bashir Saleh de Tripoli vers l’ambassade de France à Tunis (Maghreb Confidentiel, 3 mai). Claude Guéant l’a ensuite « accueilli à bras ouvert » en France. Au mois de mars dernier, en marge d’une conférence régionale sur la sécurité transfrontalière à Tripoli, un officiel de l’armée nigérienne déclare que son pays a délivré, «  sur conseil et sous pression d’un pays européen », un passeport diplomatique à Bashir Saleh. En guise de «  pays européen », Le Canard Enchaîné (18 avril) pointe du doigt «  les réseaux de la Françafrique ». Son passeport diplomatique, qui porte la mention «  Conseiller à la Présidence de la République du Niger », lui aurait ensuite été retiré.

Au mois de mars toujours, le CNT change son fusil d’épaule et fait publier une notice rouge d’Interpol à l’encontre de Bashir Saleh pour « fraude ». Mais début mai, Bashir Saleh rencontre à nouveau Villepin et Djourhi, cette fois-ci à Paris, à l’hôtel Ritz et fait publier sa photo dans Paris Match (2 mai), pour bien montrer qu’il n’est pas en fuite. Depuis, Sarkozy a perdu les élections, certains situent Bashir Saleh à Bamako, puis Dakar... Les réseaux qui le protège jouent de nouveau la discrétion. Qui a dit que la Françafrique était moribonde ?

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