Une tribune pour les luttes

Hollaback !

Pour mettre fin au harcèlement dans la rue

Article mis en ligne le dimanche 26 août 2012

Après des années d’impuissance face au sexisme ordinaire dans les espaces publics, nous avons décidé que les femmes et membres des communautés LGBTQ de France n’avaient plus à l’endurer.

HollabackFrance est une plateforme de partage des expériences et témoignages de harcèlement dans la rue où chacun·e pourra trouver le soutien d’une communauté d’internautes et transformer sa mésaventure en une prise de pouvoir. Nous espérons ainsi utiliser les histoires collectées pour sensibiliser le plus grand nombre à ce phénomène, élaborer des stratégies et finalement mettre fin au harcèlement dans la rue.

http://france.ihollaback.org/

#1. Une définition

En anglais, « holla » est une interjection utilisée pour s’appeler ou se saluer. En argot, c’est aussi une expression utilisée par un homme pour attirer l’attention d’une femme. « Holla back » signifie donc répondre, répliquer. Nous avons pris le parti de ne pas traduire cette expression qui est désormais la marque du mouvement.

Le harcèlement dans la rue, ce sont les attaques, critiques, brimades et moqueries répétées dont les femmes et personnes LGBTQ sont les objets dans l’espace public de la part d’individus qui leur sont inconnus.
Il varie en forme et en intensité et inclut : coups de klaxon, sifflements, bruits de baisers, gestes vulgaires, regards concupiscents, commentaires sexistes/homophobes/racistes ou explicitement sexuels, commentaires sur l’apparence physique, masturbation en public, exhibition sexuelle, frotteurisme, attouchements, et jusqu’à l’agression.

Par espace public, il faut entendre la rue, les transports en communs, les parcs, les plages, etc. Il peut aussi s’agir d’endroits semi-publics comme les grands magasins, les clubs de sports, les bars, les cinémas, etc. Plus généralement, il s’agit de tout lieu où les relations sont anonymes. L’ENVEFF définit l’espace public comme “un environnement “extérieur”, par opposition au couple, à la famille, au foyer, au cercle d’amis. Il exclut aussi le lieu de travail (…).”
Erving Goffman dans Behavior in Public Places (1963) explique qu’il existe une règle dite de l’inattention civile entre inconnus dans les endroits publics qui selon lui rend possible la vie en ville.

#2. Le mythe du compliment, ou ce que le harcèlement dans la rue n’est pas

“Vous êtes trop charmante mademoiselle… Aller, souris… Eh tu pourrais répondre quand j’te fais un compliment !… C’est ça casse-toi, salope !”
Si vous pensez encore que le harcèlement dans la rue est un compliment fait aux femmes jeunes, attirantes et qui s’habillent sexy, qu’elles aiment toutes ça et que celles qui ne l’aiment pas sont des psychoféminazies coincées et frigides qui n’ont pas compris que les hommes étaient faits comme ça de toutes façons et qu’il fallait qu’elles prennent un peu plus sur elles puisqu’après tout elles habitent en ville où ce comportement inoffensif est normal… vous feriez mieux de lire notre nouvelle page des mythes du harcèlement dans la rue, et vite.

#3. L’impact du harcèlement dans la rue

Restriction des déplacements. Selon les témoignages recueillis via nos sites, les femmes évitent les lieux où, par peur, par expérience, à tord ou à raison, elles craignent d’être harcelées : les parkings, les parcs, la rue à la nuit tombée, etc. Elles vont aussi éviter les situations ou activités où elles se sentent exposées : faire un jogging seule, changer de trottoir pour éviter de croiser un groupe d’hommes, etc. Quand nos itinéraires quotidiens se décident aussi en fonction de “points de harcèlement à contourner”, est-ce que notre liberté de circuler ne s’en trouve pas atteinte ?

Les stratégies d’évitement mises en place par les femmes qui se déplacent seules le soir (choix méticuleux et préalable de son itinéraire, de sa tenue, de son maquillage, marcher dans des endroits éclairés, avoir ses clés en main, faire semblant de parler au téléphone pour avoir l’air occupée, marcher à contre-sens des voitures pour ne pas être suivie, se déplacer en ayant toujours une vue dégagée sur les alentours, etc.) nous incitent à penser que cette liberté est effectivement atteinte. Des conseils de sécurité sont prodigués aux femmes dès leur enfance qui, s’ils relèvent souvent du bon sens, contribuent aussi à entretenir les peurs féminines et à intérioriser leur statut de victime.
Peur, humiliation, colère. Les faits apparemment anodins du harcèlement dans la rue sont parfois interprétés comme de véritables menaces soit parce qu’ils sont exprimés avec violence (gestes brusques, insultes), soit parce qu’ils brisent des tabous sociaux (fixer quelqu’un du regard, interpeller un inconnu, etc). Ils rappellent aussi aux LGBTQ qu’ils et elles sont toujours des cibles potentielles et peuvent renvoyer les femmes à la peur du viol. Il transparaît des histoires que nous publions que le harcèlement dans la rue est vécu comme une intrusion dans son espace privé et qu’il provoque selon les cas colère, humiliation, ou le sentiment d’être sans défense.

Objectification et auto-objectification sexuelle. L’objectification est l’acte de considérer autrui simplement comme un instrument pour son plaisir personnel. L’auto-objectification survient quand une femme commence à objectifier son propre corps. Or, des études* ont montré que des expositions répétées à l’objectification telle qu’elle se manifeste à travers la pornographie, la publicité sexiste, les clichés véhiculés par les médias, le harcèlement sexuel, etc. augmentent le risque que les femmes se regarderont comme de simples objets sexuels, auront honte de leurs corps, surveilleront constamment leur apparence, etc.

Exclusion des lieux publics. “Si les hommes arborant une masculinité sans équivoque et représentant ce que nous appellerons le « genre dominant » peuvent s’approprier indifféremment l’ensemble de l’espace public, les autres en ont une pratique beaucoup plus restreinte (…). Ces autres (…) sont tous ceux qui ne font pas partie du genre dominant et transgressent celui-ci de façon visible : les femmes, quelque soit leur orientation sexuelle et leur appartenance ethnique et/ou culturelle, les homosexuels, les travestis, les transsgenres, les transsexuels, les intersexes et les personnes présentant une ambiguïté de genre.” - Laetitia Beziane.

Perpétuation des rapports de genre. Plus largement, parce qu’il agit comme un rappel à l’ordre permanent, le harcèlement dans la rue perpétue les rapports de genre et renforce les préjugés sur les hommes et les femmes : les femmes sont aguicheuses par nature, les hommes des perverts dont il faut se méfier…

#4. Pourquoi les hommes harcèlent dans la rue ?

Dans une étude menée par Cheryl Benard et Edit Schlaffer, les 60 hommes qu’elles ont interrogés déclaraient harceler les femmes par ennui, par jeu, parce qu’ils pensaient ne faire de mal à personne, par camaraderie virile ou parce qu’ils croyaient sincèrement faire un compliment. Seuls 15% d’entre eux avaient pour intention d’humilier ou d’énerver les femmes.
Dans son documentaire War Zone, Maggie Hadleigh-West demande à plus d’un millier d’hommes qui la harcèlent alors qu’elle marche dans les rues de plusieurs grandes villes américaines pourquoi ils agissent ainsi. La plupart répondent avec provocation, embarras ou colère et très peu s’excusent ou comprennent qu’ils ont mal agi en adressant des remarques obscènes à une parfaite inconnue.

Plusieurs histoires recueillies sur HollabackFrance et des réponses que nous connaissons bien (“De quoi tu te plains ? Tu devrais être contente !”… “Pourquoi t’es habillée/maquillée comme ça si c’est pas pour être draguée ?”) montrent que les harceleurs considèrent que les femmes dans l’espace public sont présentes, sont habillées pour leur plaisir. “Draguer” est une façon de prouver leur virilité à celles et ceux qu’ils harcèlent mais aussi aux autres hommes et à eux-mêmes.

Notre société a toujours accepté le harcèlement dans la rue et renvoyé ce comportement à l’argument fataliste selon lequel “les hommes sont comme ça” sans se demander si ces hommes n’étaient pas culturellement endoctrinés à adopter un tel comportement.

Le harcèlement dans la rue s’inscrit d’une culture plus large d’hégémonie masculine, de violence contre les femmes et de marginalisation des communautés LGBTQ. Derrida déclarait : “Avant toute politisation féministe (…), il importe de reconnaître cette puissante assise phallogocentrique qui conditionne à peu près tout notre héritage culturel.” (Le Monde de l’Education n°284, septembre 2000).

Parce que les remarques du harcèlement dans la rue sont souvent ignorées par les passants qui n’osent pas réagir et parce qu’on conseille aux femmes de les ignorer aussi et de “s’y faire”, on débat peu sur ce phénomène et le problème reste sans réponse. Pour combien de temps encore ?

Il est possible de mettre fin au harcèlement dans la rue et de changer les mentalités car tout ce que nous avons appris à accepter comme normal peut se désapprendre. Rien ne nous oblige à rester fidèle à un héritage culturel qui ne nous a jamais pris en compte.

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Vos commentaires

  • Le 29 août 2012 à 11:00, par Tonton Roland En réponse à : Hollaback !

    Pardon, ce n’est pas important, mais « holla » n’existe pas en langue anglaise. L’interjection phonétiquement correspondante à la définition est « Olà » en espagnol.
    Et encore une contamination étasunienne, une !

    Cordialement.

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