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Après l’ingérence humanitaire, la France invente l’expulsion humanitaire

Philippe Alain

Article mis en ligne le jeudi 30 août 2012

Après l’ingérence humanitaire, la France invente l’expulsion humanitaire

jeudi 30 août 2012

Partout en France des consignes sont données aux préfets pour démanteler les camps de Roms, pourchasser les familles et les empêcher de s’installer quelque part. A Lyon, le préfet applique parfaitement les consignes. Mais parfois, lui et son ami le maire socialiste font mine d’être bienveillants à l’égard des Roms… A leur manière… Faut pas rêver quand même !

Rue de la Claire, Vaise. Une quarantaine de personnes vit dans un immeuble squatté depuis plus d’un an. Mardi 21 août, lorsqu’un court-circuit se déclenche sur le tableau électrique du rez-de-chaussée, personne ne se doute que les heures du squat sont comptées. Les pompiers interviennent, éteignent le début d’incendie et appellent un agent EDF qui vient couper le courant. Tout semble rentrer dans l’ordre. C’est sans compter sur le maire de Lyon, Gérard Collomb, connu pour son empathie légendaire à l’égard des sans-abri en général et des Roms en particulier [1].

Le 17 décembre 2010, déjà, il avait pris un arrêté de péril fantaisiste pour un bâtiment qui se situe à quelques dizaines de mètres de là. Histoire de se moquer un peu plus de ses occupants, il avait fait évacuer l’immeuble le jour même où les familles Roms allaient se rendre au tribunal pour être fixées sur leur sort. Qu’est ce qu’il avait dû rigoler… 80 personnes avaient donc été jetées à la rue, sous une tempête de neige. A l’époque, la police était arrivée avec un plan de la ville et l’adresse d’un gymnase en disant à qui voulait l’entendre que tout avait été préparé par la mairie. Selon eux, des places avaient été réservées dans un gymnase ouvert dans le cadre du plan grand froid. Tu parles… Même le 115 n’était pas au courant…

Ce mardi 21 août, donc, notre Gérard, toujours pas national, saute sur l’occasion. Probablement encore vexé de ne pas avoir été nommé ministre, il décide de s’inviter à sa façon à la réunion inter-ministérielle qui doit avoir lieu le lendemain et qui officialisera la chasse aux Roms [2].

Vers 14 heures, la police intervient et met tout le monde dehors en expliquant que c’est devenu trop dangereux. Incompréhension des familles. Voilà un an qu’elles occupent le bâtiment dans les mêmes conditions et il est devenu subitement dangereux suite à un court-circuit. Le problème, c’est qu’il manque une base juridique à cette expulsion qui ne veut pas dire son nom. Qu’à cela ne tienne. En fin d’après-midi, un arrête municipal de péril tombe. Il dit en substance qu’en raison de nombreux branchements électriques, le bâtiment est devenu trop dangereux et qu’il est interdit bien que les branchements ne concernent qu’une petite partie de l’édifice. Dangereux pour tout le monde ? Non, juste pour les Roms. Le commerce qui occupe le bas de l’immeuble, lui ne craint rien, il n’est pas interdit. C’est écrit noir sur blanc sur l’arrêté municipal. C’est du jamais vu. Gérard Collomb et la police viennent de sauver des Roms d’une mort certaine par électrocution. Les bons français, eux, peuvent cramer, le maire et le préfet s’en foutent. Le soir, les familles vont devoir affronter un orage d’une violence terrible avec leurs enfants dans les bras. Après plusieurs nuits dehors, elles vont retrouver un immeuble vide. Malheureusement pour elles, dimanche 26 août après-midi, les forces-de-l’ordre-qui-protègent-les-Roms viennent à nouveau pour les expulser, sans leur dire cette fois sur quelle base juridique elles interviennent.

Des bases juridiques pour expulser, la police s’en passe volontiers lorsqu’il s’agit de « protéger » des familles Roms. Nouvel exemple, toujours ce dimanche 26 août, rue Saint Jérôme, à Lyon. Une soixantaine de personnes a été expulsée par la police, là encore, pour son plus grand bien. Selon la préfecture elle-même : « la police leur a dit que c’était dangereux car l’immeuble était insalubre. Ils ont compris et sont sortis d’eux-mêmes » On croit rêver. Dans la France socialiste de Hollande et Valls, l’insalubrité est un danger vital, au point qu’il serait moins dangereux de passer la nuit dehors avec femme et enfants sur le trottoir que dans un immeuble inoccupé. Avec quoi on mesure-t-on l’insalubrité chez la police ? Au flair d’un chien policier ? Au doigt mouillé ? Ou bien au nombre de Roms présents sur place ? Drôle de conception du danger et de l’humanité. Après les arrêtés anti-mendicité, les socialistes vont nous inventer les arrêtés anti-saleté. Cachez ces pauvres que je ne saurais voir ou alors nettoyez moi tout ça au kärcher. La police, elle, applique ses méthodes habituelles pour contourner la loi. Ne disposant d’aucun argument juridique, elle invite les gens à sortir. Oh surprise, ils sortent d’eux mêmes. Comme ils sont bien élevés ces roumains, comme ils sont dociles avec la police. A se demander si ce sont les mêmes qui seraient responsables de la délinquance en France. Etonnant, non ?

Les familles avaient déjà été expulsées le 14 août d’un immeuble parfaitement salubre lui, rue Montesquieu. Elles occupaient les lieux depuis plus d’un an et leurs enfants étaient scolarisés. Les Roms avaient su s’intégrer parfaitement dans le quartier au point que les voisins avaient lancé une pétition pour demander qu’ils restent [3]. Ils ne sont pas restés. Rue Saint Jérôme non plus ils n’ont pas pu rester. En revanche, à la rue, ils resteront. Telle est la décision de Hollande, Valls et Carenco.

Ce tableau lyonnais serait incomplet si on ne citait pas les demandeurs d’asile de la place Carnot que le préfet a installés lui-même dans un camping sauvage. Il est bien le préfet de Lyon. Lui au moins, il trouve des solutions de relogement quand il veut. Expulsées de la gare de Perrache lundi 9 juillet, environ 100 personnes soutenues par de nombreuses associations ont été placées par la préfecture à quelques mètres de là, place Carnot. Chaque soir, les familles montent leurs tentes et chaque matin, elles sont réveillées par les services municipaux qui viennent consciencieusement nettoyer et arroser la pelouse afin que la place ne devienne pas un « campement insalubre ». Vous imaginez, le préfet obligé de démanteler un campement qu’il a lui même créé… Ca friserait la schizophrénie. Ce cinéma dure depuis bientôt 2 mois.

Bilan de la semaine dernière à Lyon, 4 expulsions, pas loin de 200 personnes… Oui, ça fait beaucoup, mais ce n’est pas de ma faute s’ils s’amusent à expulser les mêmes personnes plusieurs fois de suite. C’est comme les charters et l’aide au retour. Si on ne peut plus comptabiliser plusieurs fois les mêmes, ce n’est plus drôle. Comment on ferait pour atteindre les quotas sinon.

Les expulsions de Roms, ce n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, en revanche, ce sont les méthodes employées. Plutôt que de s’embêter avec des procédures judiciaires longues et coûteuses, on invite les personnes à quitter les lieux sous prétexte de les protéger du danger ou de l’insalubrité. Le maire Collomb pond des arrêtés municipaux, le préfet Carenco envoie police-secours et hop, le tour est joué. Encore plus fort que les méthodes archaïques de Guéant et Sarkozy.

La méthode lyonnaise plait beaucoup aux élus socialistes. Elle vient d’être appliquée à Evry, où le maire découvre que des familles Roms sont subitement en danger sur un terrain qu’elles occupent pourtant depuis plusieurs mois. Un petit arrêté municipal, un coup de fil au préfet et le tour est joué. 70 personnes de plus à la rue alors que le juge devait se prononcer le lendemain. Yesssss… Ca s’appelle une gestion sociale et socialiste des problèmes…

En attendant, toujours pas de propositions de relogements contrairement à la promesse du candidat Hollande. Toutes ces familles dont de très nombreux enfants vont rejoindre la cohorte des sans-abri qui, malgré leurs appels répétés au 115, ne se voient offrir aucune solution d’hébergement en violation de la loi et d’une ordonnance du Conseil d’Etat [4].

Protéger le droit de propriété, même pour des immeubles vides, oui, appliquer le droit au logement, même pour des nourrissons, certainement pas. Nos rues sont plus propres que vos squats, vous y serez bien mieux pour y dormir. On vous expulse pour votre bien. C’est ça le socialisme à la française qui donne des leçons d’humanité à la terre entière. Il paraît que le traitement que la France inflige aux Roms sur son territoire viole les conventions internationales. Après l’Union Européenne, c’est l’ONU qui s’en inquiète et met en garde la France. Non ... C’est pas possible… Nous, la patrie des Droits de l’Homme ? Décidément, tout fout le camp [5].

Philippe Alain

http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-alain

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