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Retour de Somonte


Article mis en ligne le samedi 15 septembre 2012

à Somonte, en Andalousie, des ouvriers agricoles occupent une finca depuis le début de l’année.
Nous nous y sommes rendus.

Ce CR est tiré d’un rapport écrit par Carlos MANZO, mexicain, membre du CNI (congrés national indigéne initié par les zapatistes qui rassemble toutes ethnies indiennes du Mexique et au delà) Wenceslao CERVANTES, mexicain, spécialiste des plantes médicinales, Jean-François ROLLAND, membre de MUT VITZ 13 et de la CNT13 et Annette REVRET membre de Mut-Vitz 13 et des AMAP 13.

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"Face à la crise, alors que nous étions encore dans l’euphorie de la “bulle immobilière”, chaque année au 1° Mai, nous faisions des prise symboliques de terres, mais maintenant qu’il y a un million de personnes sans travail en Andalousie, nous avons décidé de la prendre, de la travailler et d’y rester pour y vivre"- Lola, représentante du SAT (Syndicato de Andalucia de los trabajadores) à Séville, Andalousie .
En Andalousie, la grande majorité des terres est détenue par une poignée de possédants (le plus souvent duc, comtes, marquis et autres parasites de la monarchie). Non loin de Somonte, une duchesse est
propriétaire d’un village entier suite à l’appropriation de petites parcelles et récemment elles les a cédées en location pour 75 ou 80 ans à l’entreprise
transnationale ENDESA qui y a installé des plaques solaires, là où avant on
cultivait des oliviers de manière intensive ce qui générait du travail. Sur les
autres parties de ces terres, son fils se dédie à la chasse au gros gibier comme le sanglier et le cerf...

Depuis le 4 mars 2012, les ouvriers agricoles, dans leur majorité adhérents au syndicat des ouvriers agricoles (SOC), ont occupé 450 ha de terres dans la finca de Somonte, terres qui devaient être vendues aux enchères le 5
mars. Ici, ils proposent et construisent un projet d’agriculture collective en faisant un potager de tomates, aubergines, courgettes, poivrons, potirons et divers autres légumes. Ils ont également une basse-cour, un petit troupeau de brebis, un âne, Manolo, et une chèvre, sous la vigilance de Pepe, le "berger philosophe".

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Du fait qu’il s’agissait de terres publiques, les terres récupérées pouvaient être vendues aux enchères par la Junta d’Andalousie, qui durant ces années en a autorisé la privatisation de plus de 20 00 ha. Ces terres privatisées se sont retrouvées aux mains de spéculateurs qui reçoivent des subsides et des subventions de l’Union Européenne sans générer d’emplois. Pour la petite histoire, à l’entrée de la finca, au bord de la route se trouve un immense panneau de la Junta annonçant que ces terres sont un projet de "reconversion écologique" et lorsque nous arrivons à la finca nous découvrons quelques malheureux alignements de jeunes arbres destinés aux agrocarburants. Leur feuillage sert actuellement à protéger les tomates de la cruelle morsure du soleil andalou...

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L’occupation des terres est une action récurrente du SOC qui de manière symbolique la réalisait au cours de ses manifestations. Maintenant l’occupation est permanente. Les 2 familles qui ont décidé de s’installer dans les habitations neuves et inoccupées de la finca, sont aidées par la solidarité et l’appui de mouvements collectifs et d’associations venues de différentes parties du monde et d’Europe..
Elles ont reçu la visite de brésiliens du Mouvement des sans Terres, ainsi que de mexicains qui ont réalisé un “tequio” (travail bénévole pour le bien de la communauté) dans leurs champs et potagers
Il y a sans cesse un turn over de personnes venant apporter leur soutien économique et participant aux différents travaux de remise en état du puits, des champs, ou de la mise en place de la communication. Ce sont des compagnons des villages avoisinants, d’autres régions d’Espagne, du mouvement des indignés, très fort en Espagne etc. Nous nous sommes étonnés de ce petit nombre d’occupants. De fait il n’y a que 2 habitations occupées. Il y en a d’autres sur la finca en mesure de recevoir d’autres familles, mais la situation de désastre que vivent les andalous les rendent frileux et craintifs. Abandonner leur lieu de vie pour une hypothétique
installation ailleurs leur fait peur.(De plus, se faire "repérer" dans une occupation peut être mal vu par d’éventuels employeurs). Lola et les occupants comptent sur l’exemple et sur l’encouragement que produira la réussite de leur projet. C’est aussi pour cette raison que la solidarité est nécessaire,car faire connaître cette action, la défendre par tous les moyens, les aider dans leur combat auprès des instances officielles pour faire reconnaître cette occupation comme un droit à vivre est primordial pour redonner confiance aux autres ouvriers agricoles et aux familles en grande difficulté.

À 50 jours de l’occupation, la Junta d’Andalousie a ordonné l’expropriation de Somonte qui s’est déroulée à l’aube du 25 avril. Une opération de police a été menée par 200 éléments de la brigade anti-émeutes et d’autre dela garde Civile. Ils ont encerclé la finca, fracassé les portes, s’en sont pris aux occupants en les frappant, les ont expulsés mais aucune arrestation n’a eu lieu. Moins de 24h après ils réoccupaient la finca, s’installaient de nouveau et prenaient possession de 2 hangars situés sur les lieux. Cependant la garde Civile maintient ses rondes chaque matin à 7h30 et à midi, harcelant et
surveillant les agissements des occupants, sans se risquer pour l’instant à une nouvelle expulsion, pour ce faire un nouveau jugement doit avoir lieu.
La vie continue à la finca de Somonte. Les légumes sont magnifiques,la terre est excellente, ils cultivent sans engrais chimiques, pesticides, mais l’eau reste un problème, non par son manque, le sous-sol en est gorgé, le Guadalquivir passe à proximité, le puits fonctionne grâce à une pompe, mais par manque d’infrastructure.
L’autre problème rencontré est le débouché de la récolte. Ils se rendent sur le marchés de la région 3 fois par semaine mais ils rencontrent des difficultés
pour vendre, n’en ayant pas l’autorisation (sanitaire, et autres..., ). Annette leur a parlé du système des Amap qu’ils semblent connaître. Cela demande
une prospection qu’ils ne sont pas en mesure d’effectuer pour l’instant par manque de temps et de bras.

Face à la situation de crise que vit l’Espagne en ce moment, la région Andalouse est l’une des plus fortement frappée. La rumeur fait état d’une personne sur 4 au chômage dans la dite “Population économiquement active”. Cette situation et l’exemple de Somonte a poussé d’autres ouvriers
agricoles, quelques mois après, à s’emparer des terres laissées à l’abandon dans le village de “Las Turquillas” Le 17 juillet 2012,plus de 400 ouvriers agricoles du SOC ont occupé la finca militaire de “Las Turquillas”. Sur un espace d’environ 1200 ha, les militaires n’occupent pas plus de 30 ha, espace entouré de barrières métalliques, où ils maintiennent des écuries pour un élevage de chevaux. Selon les informations rapportées par les occupants, bien que ces terres soient publiques, elles ne dépendent plus de la junta d’Andalousie mais du gouvernement central. Dans la ferme de la finca résident 4 membres de l’armée, qui, appuyés par 2 employés salariés, à minima les écuries. En effet, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur la ferme présente un aspect déplorable, des machines et des outils agricoles à l’abandon entrain de rouiller, une piscine abandonnée et des centaines d’oliviers non entretenus et non taillés. Au moment de l’occupation les ouvriers agricoles ont dialogué avec les militaires pour s’accorder sur le lieu d’occupation et c’est ainsi que le lieu de campement formé d’une vingtaine de tentes et d’une tonnelle de branchages, destinée à la cuisine collective, se trouve à 1 km de la ferme. Le premier potager se trouve donc à côté du camp militaire, l’eau provenant des militaires a été coupée, les militaires prétextant qu’ils ne s’opposaient pas à l’occupation mais qu’ils n’allaient pas non plus la faciliter...

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Ce cas emblématique d’occupation de terrain militaire aurait pu, dans d’autres circonstances, provoquer une réaction violente et immédiate de l’État et des forces armées, cependant dans le contexte de crise actuelle, même les forces armées se voient affectées par chaque réduction budgétaire des dépenses publiques qu’a impliqué ces 6 dernières années la
suppression de 44 unités,le renvoi de 22000 effectifs et l’adoption de mesures économiques drastiques en immobilisant 50% des véhicules de combat*.

Pareil à Lola, Galbino (représentant du SAT...) et les occupants de Las Turquillas, ont des actions en justice et des procès sur le dos. Ils affirment que le parti qui gouverne en ce moment et les socialistes sont contre les occupations bien qu’il y ait des gens, dans la zone de la Sierra sud qui les
appuient. Aussi bien sur leur visage que dans leur caractère, aucune trace de
peur n’apparaît. Il est manifeste que toutes ces actions génèrent dignité et
détermination : “ comment pourrions-nous avoir peur alors qu’il n’y a rien sur la table pour nos enfants”,”Quand les familles s’appauvrissent et ont faim, que pouvons nous faire ?”
L’occupation des terres, des maisons, des usines n’est pas une alternative, c’est l’unique option qui nous reste, nous affronter à la garde civile et la police, n’est pas le propos, s’is nous jettent, nous partirons mais nous reviendrons les occuper et s’ils nous jettent 20 fois,nous reviendros 21”.
Dans les paroles de Lola, qui depuis le début de l’occupation a contre elle des accusations absurdes d’outrage à l’autorité, de dommages, usurpation et mise en risque de la vie de 300 personnes, toutes déposées par la Junta
d’Andalousie : “La finca de Somonte n’est pas pour ceux qui l’occupent maintenant mais pour les gens, ceux qui ont encore peur et nous savons que
lorsqu’ils commenceront à démarrer, nous leur tendrons la main pour qu’ils puissent se relever

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* Rapport de Jaime Dominguez Buj,
Chef de l’État Major de l’Armée,
publié dans le journal "El País", le 1°
août 2012. Au cours d’une réunion
du Conseil de Défense Nationale,
présidé par le Roi : le général Buj
avertit : "s’il y a plus de coupes
budgétaires, nous perdrons nos
capacités"

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