Une tribune pour les luttes

Internationalistes 13

Cinq caméras brisées contre le mur du silence....

Le Palestinien Emad Burnat et l’Israélien Guy Davidi, coréalisateurs.

Article mis en ligne le mardi 16 octobre 2012

Le paysan palestinien Emad Burnat a filmé cinq ans durant le harcèlement des soldats israéliens sur son village de Cisjordanie.

Un document multi-primé il est passé le 9 octobre 2012 sur France 5.

Pour le regarder cliquez ici


Alors que l’État hébreu érigeait le mur de séparation avec la Cisjordanie, le paysan palestinien Emad Burnat a filmé cinq ans durant le harcèlement des soldats israéliens sur son village. Et la rage grandissante de ses habitants. Un documentaire accablant.

Si le Palestinien Emad Burnat est aujourd’hui loin de sa terre, c’est pour mieux la protéger. Voilà des mois que le fellah (paysan) de Cisjordanie, coréalisateur avec l’Israélien Guy Davidi de «  Cinq caméras brisées, une histoire palestinienne », arpente le monde avec son film, raflant succès critiques et prix émérites dans les principaux festivals documentaires. Pas moins de seize récompenses glanées des États-Unis à Amsterdam en passant par Paris, l’Afrique du Sud ou l’Arménie pour ce documentaire cofinancé par France 5 !

La légende colporte que l’histoire de ce film débute un jour de 2005 quand des géomètres s’invitent dans les oliveraies du petit village de Bil’in. Un bornage de terrain préalable à la construction d’un mur, censé garantir la sécurité de la colonie juive voisine et prévenir l’infiltration de terroristes, amputant les habitants palestiniens de la moitié de leurs terres. Quelques temps plus tard, de gigantesques pelleteuses investissent les collines, déracinent à coups de mâchoires les arbres séculaires. Tandis que les villageois s’interposent, Emad s’empare de sa caméra, offerte par un ami pour la naissance de son quatrième fils, Gibreel.

«  Dès le début du mouvement, Emad a cherché comment y contribuer, se souvient Guy. Les habitants de Bil’in lui ont demandé de filmer la réalité de leur quotidien, le harcèlement de tous les instants, la violence des soldats contre leur protestation pacifique, la "fabrication" de la rage. Il a compris l’intérêt de tourner ce qui se passait quand les journalistes n’étaient plus là. » Car très vite, la résistance est médiatisée. La presse afflue. Les images d’Emad, qui vend quelques séquences aux télés, à Reuters, lui permettent à la fois de faire connaître leur combat, et de gagner quelques sous.

Depuis 2000, et le durcissement de la politique de bouclage des territoires occupés, Israël a fermé son marché du travail aux Palestiniens. Comme nombre d’entre eux, Emad vit donc de petits boulots et du fruit de ses vergers. Mais au-delà de la mince aubaine financière, Emad filme «  pour le futur car, un jour, la lutte pour garder la terre sera achevée et il faut garder une trace des actions menées dans ce but. » Qui plus est, la présence de la caméra le protège, lui et ceux qu’il filme. « Elle a parfois été une alliée, empêchant les soldats de recourir à la violence. »

Quatre ans de tournage et quatre caméras brisées plus tard [1], en 2009, Emad a accumulé des centaines d’heures de rushs. « Je pense qu’il avait envie de construire un film sans trop savoir comment s’y prendre », raconte Guy. Emad se tourne alors vers lui. Membre actif dans la lutte contre le mur, familier du village où il a séjourné pendant trois mois pour un autre film, c’est un vidéaste professionnel capable de l’épauler dans son projet. « Emad souhaitait le centrer autour d’Abeed et Phil, ses deux meilleurs amis. L’un venait d’être arrêté, l’autre tué. Moi, je ne voulais pas d’un film sur la mort. Je me méfie beaucoup de l’héroïsation des martyrs, courante dans nos sociétés. J’ai pensé à mettre Emad au cœur du film, à dépeindre le lien entre lui et son fils Gibreel, entre lui et son père. De raconter l’histoire du conflit à travers sa voix, d’entremêler le personnel et le social. Mais montrer ses peurs, sa famille… ce n’est pas évident dans la société palestinienne. »

(...)

Marie Cailletet

Télérama N° 3273 du 03 octobre 2012

[1] la 5ème caméra a duré de l’hiver 2009 au printemps 2010. Elle sera atteinte par un tir de M16

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Vidéos c'est aussi ...

0 | ... | 30 | 35 | 40 | 45 | 50 | 55 | 60 | 65 | 70 | ... | 90