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Les descendants d’immigrés se sentent au moins autant discriminés que les immigrés

Pierre-Emile Bidoux, Insee Ile-de-France

Article mis en ligne le mardi 30 octobre 2012

Source : en entier avec les graphiques et les liens :
http://www.insee.fr/fr/themes/docum...

Résumé

Plus du quart des immigrés vivant en Ile-de-France déclarent avoir subi des discriminations. Le sentiment d’être traité de façon inégalitaire est aussi fort pour les descendants d’immigrés pourtant majoritairement nés en France. Les natifs de DOM et les descendants de natifs de DOM sont les plus nombreux à faire état de ce sentiment. Si l’origine géographique est le facteur le plus déterminant des discriminations perçues, le chômage et le fait d’habiter en ZUS ou ZFU accentuent ce ressenti.

Sommaire

  • Introduction
  • Deux tiers des personnes déclarant avoir été discriminées
    ont un lien direct à la migration
  • L’origine géographique mais également le sexe et l’âge influent sur le sentiment de discrimination
  • Les discriminations sont souvent ressenties à l’école, dans la formation et l’emploi
  • Les migrants vers la métropole davantage présents dans les ZUS et ZFU
  • Un sentiment de discrimination accru pour les habitants des ZUS et des ZFU
  • Il est plus fréquent de se sentir Français que de s’estimer reconnu comme tel
  • Le décalage des perceptions est encore plus important chez les descendants

    Introduction

    En 2008, 43 % des Franciliens âgés de 18 à 50 ans ont un lien direct avec la migration vers la métropole, au sens d’être immigrés, descendants d’immigrés, natifs d’un département d’Outre-Mer (DOM) ou descendants de natifs de DOM. La notion de migration s’entend ici au sens large de mouvement géographique de population, ce qui inclut les déplacements des natifs de DOM vers la métropole. Dans les autres régions métropolitaines, les individus ayant un lien avec la migration vers la métropole ne représentent que 18 % de la population
    (Tableau 1). L’ancienneté des traditions migratoires, la politique d’après-guerre de recours massif à une immigration de travail et le dynamisme du marché de l’emploi francilien expliquent l’attraction qu’exerce l’Ile-de-France sur ces populations.

    Deux tiers des personnes déclarant avoir été discriminées ont un lien direct à la migration

    Parmi la population francilienne âgée de 18 à 50 ans, 18,5 % déclarent avoir subi des discriminations au cours des cinq dernières années, pour des motifs variés tels que le sexe, les origines et la couleur de peau, l’orientation sexuelle, l’âge...

    L’origine géographique mais également le sexe et l’âge influent sur le sentiment de discrimination

    Les immigrés natifs d’Afrique subsaharienne déclarent le plus avoir subi des discriminations (39 %). Viennent ensuite les immigrés nés en Algérie (31 %), au Maroc et en Tunisie (29 %), en Turquie (25 %), en Asie (22 %) et enfin les immigrés de l’Union européenne à 27 (22 %).
    Les immigrés originaires du Portugal déclarent le moins avoir subi des discriminations (8 %) et 14 % des immigrés natifs d’Espagne et d’Italie déclarent subir parfois des discriminations. Enfin, seuls 11 % des individus de la population majoritaire déclarent avoir subi des traitements inégalitaires au cours des cinq dernières années.

    Les natifs des DOM et les descendants de natifs de DOM déclarent le plus avoir subi des discriminations. Globalement, les descendants d’immigrés déclarent autant que les immigrés être victimes de traitements inégalitaires fréquents. Le sentiment de discrimination est d’autant plus fort que les deux parents sont immigrés, et diminue donc quand un seul parent est immigré. Pour ces derniers les déclarations de discrimination sont moins nombreuses quand le parent immigré est la mère. Le patronyme « français » du père, alors transmis à l’enfant, semble protéger de certaines formes de traitements vécus comme discriminatoires.

    Par ailleurs, les descendants d’immigrés sont relativement jeunes. Or, le sentiment de discrimination décroît avec l’âge. Les jeunes sont plus sensibles que leurs aînés aux discriminations du fait, sans doute, d’attentes plus élevées en matière de respect de l’égalité de traitement.

    Les hommes se disent davantage être victimes de traitements inégalitaires que les femmes (20 % des hommes contre 17 % des femmes). La Halde (Défenseur des droits) mentionne que 52 % des réclamants sont des hommes en 2010, mais les femmes sont de plus en plus nombreuses (42 % en 2008, 48 % en 2010).

    Toutes choses égales par ailleurs, l’origine demeure le facteur le plus déterminant des discriminations ressenties (Graphique 2). Un immigré originaire d’Afrique subsaharienne a une probabilité 6 fois plus élevée de déclarer avoir été discriminé qu’un individu de la population majoritaire. L’âge joue également. Les jeunes adultes âgés de 26 à 29 ans déclarent deux fois plus fréquemment être discriminés que leurs cadets ou leurs aînés. C’est en effet l’âge auquel s’acquiert l’autonomie financière et résidentielle, et ils se sentent par conséquent plus vulnérables aux décisions vécues comme discriminatoires dans la recherche d’un emploi ou d’un logement, par exemple. Enfin, les femmes déclarent moins fréquemment des cas de discriminations que les hommes (30 % de moins toutes choses égales par ailleurs). Ces derniers, en particulier ceux appartenant aux minorités visibles, seraient plus exposés que les femmes aux discriminations dans certains contextes (discothèques, rapports avec la police...).

    Graphique 2 - A caractéristiques comparables, la probabilité de se sentir discriminé est 2 fois plus élevée pour les jeunes de 26 à 29 ans en Ile-de-France

    Les discriminations sont souvent ressenties à l’école, dans la formation et l’emploi

    Le sentiment de discrimination intervient dès la période scolaire. Les individus ayant un lien direct avec la migration, et qui ont effectué l’ensemble de leur scolarité en France, rapportent plus fréquemment avoir été moins bien traités que les autres élèves à l’école, en particulier dans l’orientation. Ils sont davantage orientés vers des filières professionnelles, et c’est parmi les immigrés que la part de « sans diplôme » est la plus élevée, en particulier pour les femmes
    (Tableau 2). Toutefois, celles qui sont diplômées de l’enseignement supérieur sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes, qu’elles aient ou non un lien direct à la migration. En outre, les descendantes d’immigrés sont plus souvent diplômées que les immigrées.

    Par ailleurs, les enquêtés déclarent que l’école est le lieu où les insultes racistes sont les plus fréquentes.

    Les immigrés et descendants d’immigrés sont davantage touchés par le chômage : en effet, 10 % des immigrés et des descendants d’immigrés se déclarent au chômage (inscrit ou non à l’ANPE, devenue Pôle emploi), contre 7 % des individus de la population majoritaire. Les immigrés originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne sont les plus touchés par le chômage.

    Or, les personnes se déclarant au chômage ont une probabilité accrue de 60 % de rapporter une discrimination par rapport aux actifs occupés. Le fait d’occuper un emploi procure une sécurité qui semble réduire le sentiment de discrimination. L’origine et la couleur de peau sont citées comme les causes principales des difficultés à trouver un emploi.

    Même en emploi, des traitements inégalitaires sont ressentis dans toutes les professions. Seul le statut de cadre semble offrir une légère protection face au sentiment de discrimination. Or, peu d’individus ayant un lien direct à la migration occupent ce type de fonctions (13 % des immigrés, 11 % des natifs des DOM, 16 % des descendants d’immigrés et 8,5 % des descendants de natifs de DOM sont cadres, contre 30 % de la population majoritaire francilienne). Les individus ayant un lien direct à la migration déclarent plus fréquemment que la population majoritaire subir des discriminations dans l’emploi (licenciements, refus injustes d’emploi ou de promotion), en particulier les descendants d’immigrés résidant dans une Zone urbaine sensible (ZUS) ou une Zone franche urbaine (ZFU) (Tableau 3).

    Les déclarations de discrimination progressent avec le niveau d’étude, l’instruction semblant mener à une conscience plus aiguë des discriminations. De plus, le niveau d’étude augmentant, le risque de surqualification est plus élevé. Or, une personne surqualifiée - titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur (Bac+2 et plus, ou équivalent en France) occupant un emploi peu qualifié (employé, ouvrier, artisan, commerçant) - a une probabilité de 50 % supérieure de se sentir discriminée par rapport à un individu non surqualifié. La surqualification dans l’emploi est plus souvent constatée chez les individus ayant un lien direct avec la migration.

    Les migrants vers la métropole davantage présents dans les ZUS et ZFU

    73 % des habitants des ZUS et ZFU franciliennes ont un lien direct avec la migration. Les populations migrantes se concentrent donc notamment dans ces quartiers. Ces derniers sont identifiés par les difficultés rencontrées par leur population au regard de leur situation socio-économique, éducative et culturelle. Les populations immigrées sont bénéficiaires des programmes mis en oeuvre au titre de la « politique de la ville » ( Définitions). Les immigrés originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, ainsi que les descendants d’immigrés, sont particulièrement représentés dans ces quartiers. Ils forment ensemble 50 % de la population y vivant (Graphique 3). Les natifs de DOM et les descendants de natifs de DOM représentent ensemble 9 % des habitants dans ces quartiers. Quant à la population majoritaire, elle ne représente que 27 % de la population des ZUS et des ZFU (contre 60 % en dehors).

    Un sentiment de discrimination accru pour les habitants des ZUS et des ZFU

    11 % de la population francilienne réside dans un quartier ZUS ou ZFU. Les ZUS et les ZFU les plus en difficulté se trouvent majoritairement en Seine-Saint-Denis. La population de ces quartiers cumule des difficultés, elle est moins diplômée, plus jeune et plus souvent au chômage. La grande majorité des actifs ayant un emploi sont ouvriers ou employés. 25 % des habitants de ZUS ou de ZFU déclarent avoir subi des traitements inégalitaires, contre 18 % des habitants hors ZUS ou ZFU. Le sentiment de discrimination est notamment plus fort pour les descendants d’immigrés résidant dans ces quartiers. A situation identique, le fait pour un individu d’habiter en dehors d’une ZUS ou d’une ZFU baisse de lui-même la probabilité de se sentir discriminé de 20 %.

    Il est plus fréquent de se sentir Français que de s’estimer reconnu comme tel

    36 % des immigrés franciliens ont acquis la nationalité française, pourtant 60 % déclarent se sentir Français (Graphique 4). Bien sûr, ce sentiment est d’autant plus fort que les immigrés ont acquis la nationalité française : 83 % des immigrés ayant été naturalisés ont le sentiment d’être Français. Pour autant, 50 % des étrangers partagent également ce sentiment.

    Graphique 4 - 90 % des natifs de DOM se sentent Français mais seule la moitié s’estime être reconnue comme tel

    Si la majorité des immigrés se sentent Français, la perception des autres est toutefois différente : seulement 38 % des immigrés ont le sentiment d’être vus comme des Français.

    Les immigrés d’Espagne, d’Italie et plus généralement d’Europe déclarent davantage être vus comme Français qu’ils ne se sentent Français. _ A l’inverse, les autres immigrés se sentent davantage Français qu’ils ne s’estiment vus comme tels, c’est le cas notamment des immigrés originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne. La couleur de peau est sans doute le premier facteur expliquant ce décalage.

    Le décalage des perceptions est encore plus important chez les descendants

    Le décalage entre sentiment d’appartenance et vision des autres est encore plus important pour les descendants d’immigrés, alors que la plupart d’entre eux sont nés Français. En Ile-de-France, 85 % des descendants d’immigrés sont Français de naissance, 12 % ont acquis la nationalité française et seuls 3 % sont étrangers. La vision des autres les renvoie souvent à leurs origines immigrées, pourtant 40 % des descendants d’immigrés d’Ile-de-France n’ont qu’un seul parent immigré.

    Les écarts de perception sont aussi élevés pour les personnes originaires ou descendantes de natif des DOM. Ce décalage entre la perception de soi et le regard des autres peut alimenter le sentiment de discrimination.

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