Une tribune pour les luttes


"L’humanité n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de mariage et de descendance"

Maurice Godelier.

Article mis en ligne le dimanche 9 décembre 2012

Métamorphoses de la parenté, publié en 2004 et réédité en poche (940 pages, 15,30 euros) depuis, a montré l’existence de 182 systèmes de parenté différents dans le monde ! Les alliances, organisations de la descendance ou interdits sexuels se déploient selon des modes et imbrications multiples.

Vidéo France culture, 13 mns, Maurice Godelier
28.01.2011
http://www.franceculture.fr/emissio...


"L’humanité n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de mariage et de descendance"

http://www.lemonde.fr/societe/artic...

17.11.2012

Propos recueillis par Gaëlle Dupont

Maurice Godelier, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, est l’un des plus grands anthropologues français. Prix de l’Académie française, il a reçu la médaille d’or du CNRS en 2001 pour l’ensemble de son œuvre.

Les opposants au projet de loi sur le mariage homosexuel parlent d’"aberration anthropologique", qu’en pensez-vous ?

Cela n’a aucun sens. Dans l’évolution des systèmes de parenté, il existe des transformations mais pas des aberrations. Certes, on ne trouve pas, dans l’histoire, d’union homosexuelle et homoparentale institutionnalisée. On comprend pourquoi. Pendant des millénaires, la société a valorisé l’hétérosexualité pour se reproduire. Mais souvent l’homosexualité au sein des sociétés a été reconnue dans la formation de l’individu, en Grèce antique par exemple. J’ai vécu sept ans dans une tribu de Nouvelle-Guinée, les Baruya, où, pour être un homme, il fallait être initié. Les initiés vivaient en couple homosexuel jusqu’à 20 ans. L’homosexualité avait un sens politique et religieux. Mais la question des unions homosexuelles et de l’homoparentalité est une question moderne, qui ne s’est jamais posée auparavant.

L’humanité n’a cessé d’inventer de nouvelles formes de mariage et de descendance. C’est pour cela que je parle de métamorphoses à leur propos. Aujourd’hui, en Occident, les deux axes sur lesquels repose tout système de parenté, l’alliance et la descendance, intègrent des formes nouvelles.
Pourquoi maintenant ? C’est le résultat de quatre évolutions indépendantes. La reconnaissance progressive que l’homosexualité est une sexualité autre mais normale, l’émergence d’un nouveau statut de l’enfant, l’apparition de nouvelles technologies de la reproduction, et le fait que dans une démocratie les minorités peuvent revendiquer des droits nouveaux. A partir de là, il est devenu possible et nécessaire d’accorder aux homosexuels de vivre légalement leur sexualité et, pour ceux qui le désirent, de pouvoir élever des enfants.

Cela suscite beaucoup de résistances...

Il faut revenir sur plusieurs points fondamentaux pour éviter une approche idéologique. J’ai déjà mentionné le premier : l’homosexualité est une sexualité autre mais normale. Ce n’est ni une maladie, ni une perversion, ni un péché. Les deux espèces de primates les plus proches de nous sont bisexuelles, tout comme l’espèce humaine. C’est un fait scientifique. Si on ne le reconnaît pas, on continue à charrier de l’homophobie. Le deuxième point, c’est que sexualité signifie désir, mais aussi amour. Comme les hétérosexuels, les homosexuels s’aiment.

Les couples homosexuels sont infertiles. Pourtant ils sont de plus en plus nombreux à vouloir des enfants...

C’est une conséquence du mouvement de valorisation de l’enfant et de l’enfance qui avait déjà commencé au XVIIIe siècle et que Jean-Jacques Rousseau a exprimé. Il a abouti à la déclaration universelle des droits de l’enfant.

(...)

Chez les Baruya, chaque individu a plusieurs pères et plusieurs mères. Tous les frères du père sont considérés comme des pères, toutes les sœurs de la mère comme des mères. Est-ce que toutes les autres familles que celles de l’Occident post-chrétien sont irrationnelles ? C’est l’humanité qui les a inventées ! Les résistances sont normales, elles accompagnent un grand changement social et mental. Deux personnes de même sexe vont avoir des enfants, alors que l’exigence de la nature c’était qu’il fallait deux personnes de sexe différent pour concevoir. Toutes les sociétés ont trouvé des parades à la stérilité. Nous avons la procréation médicalement assistée.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que les notions de paternité et de maternité ont deux dimensions, biologique et sociale. Dans l’histoire, la plupart des sociétés ont mis en avant le social. La nôtre tend à l’inverse. Mais aujourd’hui, au sein des familles recomposées, la parenté sociale s’étend. On attend du nouveau compagnon ou de la nouvelle compagne qu’ils se comportent comme des pères et des mères vis-à-vis des enfants conçus par d’autres.

Certains craignent que le tabou de l’inceste ne tombe...

Qu’est-ce que les gens en connaissent ? C’est une condition universelle de toute société. Si les familles se reproduisaient par elles-mêmes, la société ne pourrait pas exister. Le tabou est un élément producteur de la société, transféré à tout individu et intériorisé par chacun, hétérosexuel comme homosexuel. Ces fantasmes sont grotesques. Il n’y aura pas plus d’inceste chez les homos que chez les hétéros.

L’Etat doit-il accompagner et légitimer ces évolutions ?

L’Etat doit intervenir pour fixer des responsabilités devant la loi. Il arrivera que les couples homosexuels se séparent. Il faut fixer un cadre. Il faut aussi pénaliser l’homophobie, qui agresse parents et enfants. D’autres gouvernements sont passés par là. Aucune des sociétés qui ont accepté ces évolutions ne s’est effondrée. C’est devenu banal, comme avoir des enfants sans se marier est aujourd’hui banal.

Propos recueillis par Gaëlle Dupont


Maurice Godelier Parenté, familles, interdits sexuels (1h30) 16 Janvier 2005
http://www.canal-u.tv/video/univers...

La famille est une unité sociale de procréation ou d’adoption des enfants ainsi que de leur élevage par des adultes qui ont vis à vis d’eux des droits et des devoirs. La nature d’une famille dépend du système de parenté qui existe dans la société. La parenté déborde les limites de la famille. Les rapports de parentés sont des rapports sociaux qui définissent des alliances et l’appropriation des enfants. Mais qu’est ce qu’un enfant, comment « fait-on » un enfant selon les sociétés, comment s’établissent les « interdits sexuels » ?

"Tant que les hommes et les femmes ne vivront pas seulement en société mais devront “produire de la société pour vivre”, la famille restera ce chantier ouvert, à réinventer sans cesse, impossible à fossiliser comme veulent encore y croire les tenants d’un ordre moral absurde et dépassé."

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