La nouvelle « mesure de retenue » constitue une énième forme de criminalisation de la condition d’étranger
Le 28 novembre, le projet de loi sur la « retenue pour vérification du droit au séjour des étrangers », déjà adopté par le Sénat, viendra en discussion à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une mesure qui ne frapperait que les étranger⋅e⋅s, permettant de les priver de liberté pendant 16 heures d’affilée, et ce juste pour vérifier qu’elles ou ils respectent bien les règles administratives sur le séjour !
Cette première initiative du gouvernement Ayrault en matière de (non)-droit des étrangers est censée pallier le vide législatif intervenu depuis deux arrêts récents de la Cour de justice de l’Union européenne [1]. En vertu de ces arrêts, il n’est en effet plus possible de poursuivre et de condamner à une peine d’emprisonnement un étranger ou une étrangère au seul motif de leur situation irrégulière. Par ricochet, le placement en garde à vue pour les étrangers et les étrangères soupçonnées d’être en situation irrégulière est désormais impossible.
Pour contourner la lettre et l’esprit de ces décisions de justice, le gouvernement soutient la création d’une nouvelle forme de garde à vue qui ne dirait pas son nom. Il réalise ainsi un véritable tour de force : d’une durée pouvant aller jusqu’à 16 heures, cette privation de liberté, échappant à tout véritable contrôle par une autorité judiciaire, serait réservée à des étrangers et étrangères n’ayant commis aucune infraction pénale.
Rien n’obligeait à inventer ce nouveau régime d’exception : il existe déjà une mesure de droit commun, la vérification d’identité, dont la durée peut être de 4 heures. Elle suffit à vérifier la situation des personnes au regard des règles de l’entrée et du séjour. Si ce texte était adopté, les étrangères et les étrangers pourraient être retenu⋅e⋅s à l’intérieur d’un poste de police quatre fois plus longtemps que les nationaux, sans que rien ne justifie cette rupture d’égalité.
Les fondements discriminatoires d’un tel projet sont patents. Ils renvoient tout d’abord à la vision de l’étranger comme fraudeur potentiel. Ils correspondent aussi à une logique punitive à l’encontre de celles et ceux qui sont sans droit au séjour mais ne peuvent être reconduits à la frontière, et éventuellement dissuasive à l’attention des « candidats au départ ». Ils tiennent enfin à l’obsession de tenir les chiffres en matière de retours forcés : cette garde à vue ad hoc est en effet pensée – bien que moult données démentent cet argument – comme devant favoriser l’organisation matérielle de l’enfermement dans un centre de rétention administrative et d’une expulsion du territoire.
L’analyse critique de cette pensée d’État et des manières multiples dont elle irrigue le droit sont au cœur d’Immigration : un régime pénal d’exception, la nouvelle publication de la collection« Penser l’immigration autrement » éditée par le Gisti, qui mêle les analyses de chercheur·e·s et de militant·e·s.
Le 26 novembre 2012
Nouvelle publication du GISTI :
Immigration : un régime pénal d’exception
Les contributions réunies dans ce deuxième volume de la collection « Penser l’immigration autrement » renvoient à une triple préoccupation : proposer une analyse critique de la condition d’étranger encadrée de façon croissante par le droit pénal et les sanctions afférentes ; dénoncer l’application de réponses de plus en plus punitives aux infractions à la réglementation de l’entrée et du séjour des étrangers ; montrer comment cette double évolution induit une criminalisation de l’ensemble des étrangers et des étrangères.
Ces trois processus sont inextricablement liés, mais les distinguer permet de rendre compte des multiples sphères de la pénalisation de la population étrangère. Elles colonisent ainsi jusqu’aux pratiques les plus intimes, en particulier en matière matrimoniale.
Le « régime pénal d’exception » des étrangers n’est donc ni exceptionnel, ni cantonné à une minorité de la population : son halo et ses répercussions touchent potentiellement chacun·e d’entre nous.
I . les origines de la pénalisation des étrangers
La lutte contre la mobilité et l’errance (XVIIe-XXIe s.), Emmanuel Blanchard, Nicolas Fischer
L’immigré, cible d’un droit pénal de l’ennemi, Claire Saas
Interdiction du territoire : histoire d’une exception, Stéphane Maugendre
II . La chape de l’enfermement
Les formes multiples de l’enfermement, une nouvelle forme de « punitivité », Patrick Henriot
Étranger en prison : les obstacles à l’aménagement des peines, Jean-Claude Bouvier
L’étranger, cet ennemi de l’intérieur, Nawel Gafsia
III . Pénaliser pour stigmatiser
Les usages du droit pénal contre les étrangers, Nathalie Ferré
Immigration et délinquance : réalités, amalgames et racismes, Laurent Mucchielli
La « traite » des migrants : une protection inefficace, Johanne Vernier
IV. Droit pénal et défense des droits des étrangers
Les ressorts de l’affaire El Dridi, Luca Masera
La « directive retour » et le juge communautaire, Serge Slama
Lutter avec les outils du droit, Christophe Pouly