Une tribune pour les luttes

Digne de vivre en France ? Prouvez-le, scrogneugneu !

Tribune / Par M. & J.C. Vernier, Muriel Wolfers ( Fini de rire)

Article mis en ligne le vendredi 7 décembre 2012

A lire avec les liens :
http://blogs.mediapart.fr/blog/fini...

03 décembre 2012

La force de toute administration, c’est de transformer des êtres de chair et de sang en dossiers. Un être humain, c’est difficile à écarter, mais un dossier, on le met sous la pile ou on le met de côté sans trop y penser. Et cela ne concerne pas seulement les étrangers.

L’un des points clés de la circulaire du 28 novembre 2012 sur la régularisation des étrangers est la preuve que ces derniers doivent apporter d’"un ancrage territorial durable (ndlr. en général cinq ans) et véritable en France". Pour cela, le ministre de l’Intérieur définit des classes de preuves à apporter.

1. Les preuves certaines sont les documents émanant d’une administration publique : préfecture, service social et sanitaire, hôpital, école, lycée, tribunal, attestation AME, URSSAF, ASSEDIC, et avis d’imposition (si le revenu déclaré n’était pas 0).

2. Les preuves de valeur probante réelle sont les documents remis par une institution privée : feuilles de paie, relevés bancaires avec activité, certificat médical de médecin de ville, etc.

3. Les preuves de valeur probante limitée sont les documents personnels : enveloppes de courriers reçus, attestation d’un proche, etc.

Les acteurs des associations et mouvements qui aident les étrangers dans leur démarche de régularisation s’interrogent régulièrement sur l’ambiguïté de leur position : alors que la motivation de leur engagement est souvent un refus de tous ces contrôles, ils dépensent beaucoup d’énergie pour que les dossiers des gens soient aussi conformes que possible, pour faciliter leur succès en préfecture.

"Le bon sens voudrait qu’on se pose la question de ce que ça veut dire d’entrer dans ce jeu de déshumanisation (sur le sujet, je vous recommande le premier volet de Welcome Europa ou Transit d’Ana Seghers).

Parce que le présupposé de ce petit jeu, c’est qu’il y a une différence de nature entre des hommes et des femmes, selon qu’ils sont d’un côté ou de l’autre d’une frontière. Frontière que l’administration déplace selon ses besoins pour maintenir tout le monde sous le joug d’un principe simple pour obtenir l’obéissance : "diviser pour régner".

Appliqué aux sans papiers, ça donne :

- il y a des gens qui ont la "chance" de se faire arrêter et d’avoir des preuves probantes, et des gens qui rasent trop les murs pour avoir des certificats de présence préfectoraux de type OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français), recours au tribunal administratif (TA), arrêté de mise en rétention, etc ...

- il y a des gens qui connaissent suffisamment les coutumes locales pour aller demander l’AME (Aide Médicale de l’Etat) et des gens qui ne savent pas ou ne comprennent pas que leur accès à la vie normale en dépendra dans 5 ou 10 ans,

- il y a des gens qui ont eu la prudence d’aller travailler dans des secteurs où les employeurs, même les moins scrupuleux, se débrouillent pour trouver un moyen de faire des fiches de paie (parce qu’un autre service de l’administration y tient pour respecter une ou deux directives, européennes, par exemple) et d’autres qui ont la bêtise d’aller travailler dans la restauration ou dans la confection (exit les preuves "certaines" et "réelles", bonjour les preuves à "valeur limitée")

- il y a des gens qui vont habiter dans des bidonvilles ou chez des marchands de sommeil au lieu de faire établir des baux à leur nom, et qui se font expulser régulièrement, et qui perdent toutes leurs preuves, les cons,

- il y a des gens pour qui l’exercice des preuves probantes est une torture parce qu’ils ne savent pas lire et écrire le français et que dès qu’ils ont réussi à trouver quelqu’un qui leur classe leur dossier pour une administration, l’administration d’à côté leur demande les originaux dans un autre sens et ils se font engueuler par la personne qui leur a trié le premier dossier parce qu’ils ont foutu le bordel dans le beau classement,

Bref, il y a des gens qui ont des preuves qui plaisent aux administrations, et des gens qui n’en ont pas. Evidemment, l’administration ne va pas afficher un processus de sélection, en disant toi tu as les dents assez blanches pour construire le chemin de fer, toi non. C’est démodé. Donc elle va dire toi tu n’as pas de preuves probantes, va travailler sur les chantiers B... ou dans les ateliers de confection d’Aubervilliers, tu ne risques pas de nous emmerder avec le code du travail, toi tu les as et en plus tu commences à comprendre un peu le français, entre sur le marché du travail français.

Je force peut-être un peu le trait mais hélas, pas tellement.

La force de toute administration, c’est d’arriver à transformer des êtres de chair et de sang en papier. Parce qu’un être humain, c’est difficile à écarter, un dossier, ça se monte ou ça se baisse dans une pile. Et quand les moyens baissent et que les besoins augmentent, on fait disparaître un certain pourcentage de gens (pardon, de dossiers) en modifiant une instruction ministérielle ou une circulaire. Ca ne concerne pas seulement les sans papiers. C’est pareil à la CAF, dans l’hébergement d’urgence, à Pôle Emploi, ...

Parfois, quand on milite, qu’on fait des dossiers et qu’on demande des choses impossibles aux gens en face de nous, on ne sait plus très bien ce qu’on fait, je trouve. Or, quand on choisit systématiquement les "bonnes" preuves pour constituer de beaux dossiers, est-ce qu’on ne rejette pas de l’autre côté de la frontière ceux qui n’ont que de "mauvaises" preuves ?

Muriel Wolfers"

Martine et Jean-Claude Vernier

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