Une tribune pour les luttes

RESF

Campagne "Ecrire à Messieurs Hollande et Valls"

La lettre d’un Marseillais

Article mis en ligne le vendredi 28 décembre 2012

http://www.educationsansfrontieres.org/lettres/perenoel/

Face à une circulaire très, très timide, la parole des sans papiers et de leurs soutiens

Lire les lettres

Les lettres sont à envoyer à resflyon chez aol.com.
Sauf indication contraire de votre part, elles seront publiées sur le site de RESF.

L’ensemble des lettres sera envoyé, dans un paquet, que nous espérons très gros, à François Hollande et à Manuel Valls à la veille de Noël.


Voir aussi le communiqué de presse "Circulaire : y a pas grand chose à voir !"

Pour Hollande et Valls, à l’occasion de Noël, un paquet cadeau : des lettres de jeunes, de familles sans titre de séjour et de citoyens.

Tous réclament un changement positif dans la régularisation de ceux qui vivent, sont scolarisés, travaillent et construisent leur vie ICI.

Le gouvernement est en place depuis mai 2012, six mois. Quoi de neuf pour les sans papiers ? Rien !

La circulaire dite de «  régularisation sur des critères clairs et précis » était attendue depuis juillet. Elle vient de paraître et ses critères très restrictifs font que de très nombreux jeunes majeurs scolarisés ou l’ayant été, de très nombreuses familles ne seront pas régularisés et seront condamnés à rester de nombreuses années dans des situations impossibles, insupportables en craignant sans cesse l’arrestation ou même l’expulsion. Chaque jour nous apprenons des arrestations, mises en rétention…

Alors parmi les situations décrites dans les lettres que vous lirez, lesquelles seront régularisées ? Quels jeunes, quelles familles pourront enfin vivre en paix ?

Ce qui était inacceptable sous Sarkozy, l’est tout autant sous Hollande et Valls.

Nous vous invitons, tous, avec et sans papiers, à écrire une lettre à votre façon, pour interpeller le gouvernement, lui faire connaître de façon sensible notre attachement à vivre ensemble.

Si vous êtes en situation régulière : écrivez votre lettre. Si vous connaissez des familles sans titre de séjour : proposez- leur d’écrire leur lettre.

Merci d’envoyer les lettres à resflyon chez aol.com.



La lettre d’un Marseillais

Marseille, le 22 Décembre 2012

Monsieur le Président de la République,
Monsieur le Ministre de l’Intérieur,

Contrairement à beaucoup de ceux qui vous écrivent en ce jour de Noël, je suis de nationalité Française même si mon patronyme, pas vraiment "de souche", laisse entrevoir quelques origines ibériques plus ou moins lointaines ... J’ai grandi sans crainte dans ce beau pays qu’est la France, en profitant largement de son système éducatif. J’ai ainsi obtenu un diplôme de Docteur d’Université et je suis devenu fonctionnaire en tant qu’ingénieur de recherche à l’INSERM. Ma vie est très agréable, je suis propriétaire de mon logement, je n’ai pas de souci d’argent, pas de souci d’emploi, je fais ce que j’ai toujours voulu faire et je me considère comme "heureux". Je ne connais aucune personne en situation irrégulière et ne suis engagé dans aucune action politique ou sociale.

Mais pourquoi quelqu’un comme moi, aussi éloigné du problème de la régularisation des sans-papiers, a-t-il brusquement éprouvé le besoin de vous interpeller sur ce sujet ? En fait, j’ai appris récemment et par hasard, l’expulsion de la famille Pacarizi, survenue le 22 novembre dernier, dans des conditions particulièrement cruelles. Cette famille de 4 personnes, dont 2 enfants de 8 et 13 ans, est originaire du Kosovo. Début 2010, après avoir reçu des menaces de mort et avoir été victime d’agressions physiques, elle fuit son pays en abandonnant maison et situation professionnelle. Elle s’installe alors à Culoz, dans l’Ain, un endroit qui n’est pas choisi au hasard. En effet, la quasi totalité de la famille, soit les 4 frères et le père de Mr Pacarizi, sont tous installés dans ce département depuis 1999, en situation régulière. Trois d’entre eux sont même naturalisés Français. Cette famille, appréciée par toute la population de Culoz, est ainsi un modèle d’intégration réussie. Les 2 enfants, scolarisés depuis plus de 2 ans, parlant français, sont d’excellents élèves et l’aîné a même des responsabilités dans son collège. Ils sont fort appréciés de leurs professeurs. Enfin, je devrais dire "étaient fort appréciés", car depuis un mois et demi, leurs chaises sont désespérément vides. Une telle situation est insupportable.

Comment en est-on arrivé là ? Comment ces gens déjà parfaitement intégrés, soutenus par toute une population et par plusieurs élus locaux Socialistes, peuvent ils se retrouver expulsés de notre pays, et forcés de retourner dans un endroit où ils craignent pour leur sécurité ? Comment un Président Socialiste, donc de Gauche, peut-il approuver et cautionner de telles dérives ? Les valeurs de la Gauche, que j’ai signées lors des Primaires Socialistes, incluent entre autre, la solidarité et l’altruisme. Avouez qu’on en est très loin ! Comment pouvez vous, Messieurs, bafouer à ce point les valeurs fondamentales de votre propre camp ? On ne vous a pas élus pour ça.

Cette frénésie d’expulsion a des répercussions très négatives sur l’image même de notre pays. La France, terre d’asile ... c’est bien du passé. Avec plus de 30000 expulsions par an, dans des conditions souvent inhumaines, nous ne sommes plus perçus à l’étranger comme un pays accueillant. Je m’en rends bien compte car, dans l’exercice de ma profession, je côtoie de nombreux étrangers, pour la plupart étudiants en thèse. Après quelques mois passés dans notre pays, ce qui retient leur attention chez nous, ce n’est ni la gastronomie, ni les droits de l’homme ou notre générosité mais bien nos tracasseries administratives (uniques au monde, d’après eux), et surtout la difficulté d’accès à notre territoire.

Monsieur le Président, vous nous aviez promis, pendant votre campagne électorale, un "adoucissement" des conditions d’expulsion pour les enfants. Vous avez tenu votre parole. Vous nous aviez promis aussi une immigration "intelligente". Monsieur le Ministre, doit-on considérer que cette dernière promesse est matérialisée par votre circulaire, dans laquelle vous définissez de nouveaux critères de régularisation ? Si oui, alors sans vouloir vous offenser, nous n’avons pas la même conception de l’intelligence. Un acte intelligent est un acte qui est basé sur une réflexion logique, et non pas sur l’application aveugle et automatique de critères. Je suis un scientifique, et en science, les critères sont appelés des seuils. Lorsque nous publions nos travaux, les seuils que nous utilisons doivent être justifiés. Comment justifiez-vous les vôtres, Monsieur le Ministre ? Pourquoi 3 ans de scolarisation ? A 2 ans et 11 mois, l’enfant n’est pas intégré et il l’est à 3 ans ? Et pourquoi pas 4 ans ? Comment avez vous choisi ce seuil de 3 ans ? J’ai bien l’impression que vous avez choisi vos seuils dans l’unique but d’atteindre un certain nombre de régularisations, sans risquer de le dépasser. Si tel est le cas, nous ne sommes pas en présence d’une immigration "intelligente". Je parlerai plutôt d’une immigration "bureaucratique", dans laquelle la seule finalité est le chiffre, si cher à vos prédécesseurs. De plus, il y a bien d’autres critères à prendre en compte avant d’exclure un candidat à la régularisation : son niveau d’intégration, sa maîtrise du français, ses attaches dans notre pays, sa situation dans son pays d’origine, sa santé, son respect des lois de la République, sa motivation, sa profession ... A la limite, le nombre d’années de résidence et la durée de scolarisation des enfants pourraient être considérés comme des critères suffisants mais non nécessaires. En fait, une immigration réellement "intelligente" consisterait à traiter chaque demande de régularisation en se posant la simple question : est-ce que cette personne, ou cette famille, partage les valeurs de notre pays, souhaite s’y intégrer, et peut donner des garanties ? Si oui, alors la régularisation doit être acceptée, sans considération de chiffre.

A mon sens, le cas de la famille Pacarizi est symbolique d’un tel processus de décision, basé sur des critères figés, sans prise en compte sérieuse du contexte et de la personnalité des gens. Avec de telles méthodes, on ne pouvait qu’aboutir à un désastre humain. Cette famille a été expulsée, non pas pour des raisons objectives comme son comportement, ses idées, ses opinions politiques ou religieuses, sa motivation à s’intégrer. Non, elle a été expulsée pour ce qu’elle est ! Et ça, nous n’avons pas le droit de l’admettre.

Qu’avons nous a gagner à expulser des gens déjà intégrés, avec des enfants scolarisés ? Rien. Nous avons par contre beaucoup à y perdre. Tout d’abord, notre dignité. Comment pouvons nous infliger un tel traitement à nos semblables, enfermés dans des centres de rétention, ou au mieux assignés à résidence, c’est à dire coupés de tout contact avec leurs proches, leurs soutiens, et tout ce qui faisait leur quotidien. Et au bout de cette épreuve, un taxi au milieu de la nuit pour les emmener, sous escorte policière, dans un aéroport, puis dans un avion qu’ils ne veulent pas prendre, et qui va les ramener dans un endroit où ils n’ont plus d’attaches et où ils se sentent menacés. Quel traumatisme pour ces gens, et que dire de leurs enfants ! Monsieur le Président, vous aviez dit pendant votre campagne électorale que l’éducation et la jeunesse seraient les priorités de votre quinquennat.
C’est en brisant la scolarité de 2 enfants, de 8 et 13 ans, et en hypothéquant leur avenir que vous comptez honorer votre promesse ? Si vos électeurs avaient su cela, vous ne seriez peut être pas à votre poste à l’heure actuelle.

Mais à chaque expulsion, nous ne perdons pas que notre dignité. Nous perdons aussi de l’argent ! Il me semble que le Sénat avait évalué, il y a 2 ans, le coût d’une expulsion à presque 21000 euros, soit nettement plus qu’un SMIC annuel. Ce chiffre ne tient même pas compte des frais de justice inhérents à ces procédures d’expulsion, ainsi que de l’encombrement des tribunaux par tous ces dossiers et de la surcharge de travail que cela implique pour les magistrats. Le calcul est un peu simpliste, je vous l’accorde, mais avec l’argent dépensé pour les expulsions, nous aurions pu permettre à ces gens de travailler pendant 1 an, et ainsi contribuer à créer des emplois et de la richesse. La famille Pacarizi est d’ailleurs dans ce cas, puisqu’ils ont créé une société de travaux, et donc des emplois dans notre pays !

Enfin, restent à aborder les effets des expulsions de sans-papiers dans la population. Je n’ai jamais assisté à une expulsion mais d’après ce que j’ai pu en lire, les témoins de ces exactions en ressortent traumatisés, indignés, révoltés, dégoûtés ... en un mot profondément choqués. A plus grande échelle, la médiatisation de ces expulsions envoie un signal très négatif à l’ensemble de la population. Déjà que nous ne sommes pas un peuple versé dans l’optimisme, la crise économique que nous subissons depuis quelques temps plombe encore plus notre moral. On nous demande maintenant de faire des efforts financiers, ce qui est normal, et ce que nous acceptons tous de faire, à l’exception notable de quelques individus qui préfèrent fuir au plat pays. Et, cerise sur le gâteau, on nous annonce que le chômage ne va pas baisser avant au moins 1 an ! Avouez qu’il n’y a pas de quoi être optimiste ! Dans ce contexte, la souffrance et l’angoisse des personnes expulsées, que nous percevons bien à travers les articles de journaux, les reportages et internet, s’ajoutent encore à notre quotidien et plombent un peu plus notre moral. Au contraire, des solutions heureuses à ces problèmes de régularisation, enverraient un message positif à out le pays, ce qui n’est pas un luxe dans la situation actuelle.

Monsieur Hollande, Monsieur Valls, je voudrais conclure cette lettre en revenant à la famille Pacarizi, évoquée tout au long de ces lignes. Si vous m’avez lu jusqu’ici, je vous félicite, mais vous devez vous dire : pourquoi est-il si attaché à cette famille ? En fait, je ne connais absolument pas ces gens, je ne les ai jamais rencontrés, et pour cause, je n’habite pas dans l’Ain mais dans les Bouches-du-Rhône, à Marseille ! Ce qui m’a bouleversé dans leur histoire, c’est que cette famille, tout au long de son "calvaire", a montré un respect sans faille de nos lois et de nos procédures. A aucun moment, ils n’ont été en situation de clandestinité. Ils ont accepté, sans aucune rébellion, toutes les décisions judiciaires prises à leur encontre, aussi dures soient-elles. Ils n’ont opposé aucune résistance lorsqu’ils ont été placés en résidence surveillée, et coupés de leurs proches. Ils n’ont opposé aucune résistance lorsqu’on est venu les chercher, ce qui est arrivé 2 fois à cause d’un retard d’avion. Ils n’ont opposé aucune résistance lorsqu’on les a conduit, en pleine nuit, eux et leurs 2 enfants, à l’aéroport de Lyon. Ils n’ont opposé aucune résistance lorsqu’on les a fait monter dans l’avion qui les a ramenés à Pristina au Kosovo. Tout cela, malgré la peur et l’angoisse qu’ils éprouvaient de retourner dans ce pays, encore très instable, où ils ont été agressés il n’y a pas 3 ans. Que leur avons-nous donné en échange d’une telle loyauté ? Rien. Nous les avons simplement rejetés, comme je le disais plus haut, pour ce qu’ils sont. Si vous pouviez ré-examiner leur cas et leur permettre de revenir rapidement chez eux, dans leur famille, en France, ce serait tout à votre honneur. Quatre régularisations pour rendre fous de joie les quelques milliers de personnes qui les soutiennent, reconnaissez que ce n’est pas cher payé.

Je suis arrivé au bout de ce que je souhaitais vous dire. J’avais prévu de faire une lettre courte ... Heureusement, devez-vous penser ! Mais bon, un Marseillais a quand même le droit d’exagérer un peu, non ?
Je voudrais vous souhaiter, Messieurs, en toute sincérité, un très joyeux Noël et une très bonne année 2013, pour vous et tous vos proches. _ J’espère que 2013 vous apportera le bonheur, la santé et la réussite dans vos projets.
Et aussi beaucoup plus d’humanité dans vos décisions.

Cordialement,

Fabrice Lopez


Denis

Monsieur le Président,

Je suis content d’être en France parce que au Kosovo c’est dangereux et je veux pas y aller.
Je suis content d’aller à l’école en France parce que au Kosovo je pouvais pas y aller.

J’aimerais bien avoir mes parents heureux.

J’aime bien chanter dans la chorale sans papiers parce que ça me fait du bien de chanter et j’aime bien chanter devant le public.

J’aime les vacances et je suis heureux d’être arrivé en France. Mais j’aime pas trop le fromage, les haricots, le chou fleur …

J’aimerais avoir les papiers pour pouvoir vivre en France sans avoir peur que la police nous attrape.

Monsieur le Président, donnez nous les papiers s’il vous plait et aussi aux autres gens.

MERCI

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