Une tribune pour les luttes

SURVIE

Dossier d’information
Les zones d’ombres de l’intervention française au Mali

+ Reflet d’histoire !
+ Au Mali le plus dur reste à faire Colette Braeckman

Article mis en ligne le samedi 23 février 2013


BASTA !

Mali : les véritables causes de la guerre

Par Eros Sana

4 février 2013

Tout était en place pour que le Mali s’effondre et que le Sahel explose. Affaibli par les politiques d’austérité du FMI, longtemps paralysé par la Françafrique, victime du réchauffement climatique et de multiples sécheresses, le Mali est devenu l’une des pièces centrales du nouveau grand jeu sahélien. Revendication touarègue, djihadistes enrichis par le narcotrafic, déstabilisation libyenne et ambiguïtés algériennes, financements occultes saoudiens, stratégie à court terme des États-Unis et de l’Union européenne... Voici toutes les raisons de la guerre.

http://www.bastamag.net/article2921.html


24 janvier 2013 par Survie

http://survie.org/francafrique/mali/article/les-zones-d-ombres-de-l

Conformément aux objectifs de l’association Survie, ce document se concentre sur le rôle de la France au Mali et aborde de façon moins approfondie le rôle des autres acteurs clé de la crise. Il ne s’agit pas de les dédouaner ou de faire porter à la France l’entière responsabilité de la crise au Mali.

Il s’agit de décrypter le rôle qu’a joué la France dans la genèse de cette crise et le jeu diplomatique qu’elle a mené pour une intervention militaire dont elle est aujourd’hui la principale force, à la lumière des enjeux français dans la zone.

Ce document a été élaboré collectivement par des militant-e-s de Survie qui suivent la situation au Mali depuis plusieurs mois ou plusieurs années. C’est un document qui ne prétend pas à l’exhaustivité, et qui pourra être amené à être complété, actualisé.

Sommaire :

1. Le Mali, une «  vitrine » démocratique qui a volé en éclats

2. Participation à la guerre en Libye et posture équivoque vis-à-vis du MNLA : les autorités françaises portent une part de responsabilité dans l’éclatement de la crise au Mali

3. L’implication de la France au Sahel est étroitement liée à la préservation de ses intérêts économiques

4. L’intervention, préparée de longue date, permet de légitimer la présence contestée de l’armée française dans la région

5. Les «  amis » de la CEDEAO sont la ‘caution africaine’ de l’intervention

6. L’intervention de l’armée tchadienne aux côtés de la France vise à légitimer ce régime dictatorial

7. La France bafoue la souveraineté du Mali et contribue à la mise sous tutelle du pays

8. La France cherche à utiliser le paravent de l’ONU au Mali

9. La France, gendarme de l’Afrique pour l’Union européenne

10 L’objectif de la lutte contre le terrorisme vise à créer un consensus autour de l’opération militaire française et évite toute analyse des enjeux

11 Une intervention à l’issue incertaine pour le Mali, sa population et pour la région toute entière

- Conflit durable, présence de troupes étrangères, atteintes aux droits de l’homme
- Sur les prises d’otages
- Risque d’aggravation de la situation économique et humanitaire
- Risque de déstabilisation d’autres États et d’extension du conflit à l’ensemble de la région

12 L’exercice d’un contrôle parlementaire vigilant, une urgence

Dossier_d_information_-_Les_zones_d_ombres_de_l_intervention_francaise_au_Mali_-_Survie_-_24_janvier_2013

http://www.rue89.com/2013/01/28/qua...

Quand les Français prenaient Tombouctou... en 1894

Francis Simonis | Maître de conférences Histoire de l’Afrique

A l’heure où les troupes françaises et maliennes entrent à Tombouctou, il n’est peut-être pas inutile de porter un regard sur le passé. Ce n’est pas la première fois, en effet, que des soldats français accompagnés de troupes africaines constituées en majeure partie de Bambara (nous dirions aujourd’hui Maliens du sud) pénètrent dans la cité mystérieuse.

La chose s’est déjà produite en 1893-1894. Depuis l’installation des Français à Bamako en 1883, l’expédition de Tombouctou était dans toutes les têtes, et les lieutenants de vaisseaux Jaime et Caron en avaient préparé les voies à bord de canonnières en 1887 et 1889.

Le gouvernement français, peu enclin à se lancer dans des aventures incertaines, et soucieux déjà de la vie de ses soldats comme des finances publiques, ne se montrait guère enthousiaste.

La conquête de ce qui était alors le Soudan français n’était pas une priorité et il ne semblait pas opportun d’engager les hostilités avec les Touaregs, dont on avait appris à se méfier suite au massacre de la mission Flatters au nord de Tamanrasset en 1881.

C’était compter sans l’ambition des bouillants officiers. La population de Tombouctou, disaient-ils, lassée par les pillages et les brimades qui lui étaient infligés par les Touaregs, appelait la France à son secours et accueillait ses troupes en libérateurs. Ils étaient nombreux à rêver d’entrer en vainqueur dans la cité sainte de l’islam et d’inscrire ainsi leur nom dans l’Histoire.

« Raid merveilleux »

Le 25 décembre 1893, le colonel Bonnier partit par le fleuve de la ville de Ségou, à 240km de Bamako, à la tête d’un imposant convoi de 300 pirogues, pendant que le commandant Joffre prenait la route de terre pour le rejoindre à Tombouctou.

Le lieutenant de vaisseau Boiteux, qui commandait la flottille du Niger, les avait devancés et devait les attendre à Mopti ; il allait en fait outrepasser ses ordres et, laissant ses deux canonnières au mouillage à Kabara, entra dans Tombouctou le 11 décembre.

Le 28 décembre, les choses prirent mauvaise tournure : l’enseigne Aube, qui voulait rejoindre son chef, fut massacrée avec une quinzaine de matelots. Cela n’empêcha pas le colonel Bonnier d’atteindre la ville le 10 janvier 1894, à l’issue de ce qui fut qualifié alors de « raid merveilleux ».

La ville était prise, sans combat, et le drapeau français flottait sur Tombouctou. Voilà donc une belle victoire à annoncer à l’opinion publique ! Un membre de l’expédition écrit fièrement :

« C’est l’arme sur l’épaule que la colonne entre dans la ville. Les habitants sont enchantés de son arrivée. Maintenant, ils n’ont plus à craindre les fameux Touaregs, qui d’ailleurs n’ont pas jugé prudent de se montrer. »

Il ne suffit pas de tenir la ville pour tenir le désert

L’euphorie fut pourtant de courte durée… Le 12 janvier, le colonel Bonnier partit en reconnaissance, « dans l’intention de débarrasser les environs des nomades qui les infestaient », et de tirer vengeance du massacre de l’enseigne de vaisseau Aube.

Pendant trois jours, ce ne fut que razzias et pillages, la colonne s’emparant de plus de mille moutons, mais aussi de quelques femmes de notables touaregs… Le 14 janvier au soir, les soldats s’installèrent à Tacoubao où ils bivouaquèrent, se sentant en sécurité.

Le drame eut lieu quelques heures avant le lever du jour : en quelques minutes, le camp fut submergé par les Touaregs. Des 14 Européens présents, 11 périrent, dont le colonel et 8 de ses officiers. Quant aux troupes africaines commandées par les officiers français, elles perdirent 70 hommes…

Au terme d’une promenade militaire, les Français avaient donc pris Tombouctou sans coup férir, à la tête de troupes africaines. Mais il ne suffisait pas de tenir la ville pour tenir le désert. Face à un ennemi peu nombreux mais courageux et motivé, qui connaissait bien le terrain, les soldats des savanes du sud se trouvèrent décontenancés, voire pris de panique.

Pendant près d’un an, il fut pratiquement impossible aux occupants de sortir de Tombouctou, et les escarmouches, coups de mains et attaques surprise se succédèrent pendant des années avant que la région ne fût définitivement « pacifiée ». L’Histoire ne se répète pas ? Souhaitons-le !


Une base de drones américaine au Niger : militarisation accrue du Sahel

Pierre Haski

http://www.rue89.com/2013/01/29/une-base-de-drones-americaine-au-niger-militarisation-accrue-du-sahel-239110

(...)

Au Mali, en particulier, épicentre du conflit actuel dans lequel l’armée française a plongé seule voici deux semaines, les Américains restent sur un revers cuisant.

Ils ont dépensé beaucoup d’argent – 500 millions de dollars, quasiment la même somme que le coût de l’opération militaire interafricaine en cours – et d’efforts pour former l’armée malienne, pour voir une partie des soldats d’élite qu’ils avaient entraînés déserter avec armes et bagages pour rejoindre la rébellion. Pire, l’officier qu’ils avaient formé a conduit un coup d’Etat contre un président démocratiquement élu.

La semaine dernière, dans un discours à l’université américaine de Howard, le général Carter Ham, chef du commandement militaire des Etats-Unis pour l’Afrique, Africom, a reconnu que cette formation avait failli :
« Je pense que nous avons exclusivement mis l’accent sur les aspects techniques et tactiques, et que nous n’avons pas consacré le temps nécessaire aux valeurs et à l’éthique militaire. Lorsque vous portez l’uniforme de votre pays, vous prenez l’engagement de défendre la nation, et d’obéir à l’autorité civile qui a été instaurée. »

Concernant le coup d’Etat du capitaine Amadou Sanogo contre le régime du président Amadou Toumani Touré (ATT), le général américain a commenté :
«  Est-ce que nous avons négligé les signes annonciateurs, et aurions-nous pu mener notre formation différemment pour aboutir à un résultat différent ? Sans doute un peu des deux. »

(...)

Les Etats-Unis déploient depuis des années leurs efforts pour surveiller les agissements des émules d’Al-Qaïda dans la zone sahélienne. Ils ont en particulier développé une coopération militaire avec l’Algérie, et disposeraient d’une base d’écoute secrète, de « grandes oreilles » dans le sud de l’Algérie de la National Security Agency (NSA), une agence de renseignement américaine.

En 2008, la chaîne ABC avait filmé ces images étonnantes de soldats d’élite algériens et américains s’entraînant ensemble dans le sud algérien, avec les drapeaux des deux pays flottant côte à côte. Dans le reportage, le journaliste se demande si ce n’est pas un gaspillage d’argent, car « certains disent qu’il n’y a pas de réelle menace dans ce désert »...

Désormais, à cette présence dans le sud algérien, les Etats-Unis vont ajouter un dispositif de surveillance de l’autre côté du désert, au Niger.

Cette montée en puissance de la militarisation du Sahel par les Etats-Unis se fait indépendamment de l’intrusion française «  à l’ancienne », avec troupes au sol et appui aérien, dans l’urgence de la poussée jihadiste vers le sud il y a deux semaines. Et il n’est pas certain que la décision française ait été appréciée au Pentagone.

Partagés entre l’approbation du coup d’arrêt français à l’avancée jihadiste, que seule l’armée française était en capacité de faire en si peu de temps, et leur propre stratégie de surveillance et de renforcement des Etats de la région, les Américains n’ont guère d’autre choix que de s’impliquer un peu plus dans cette terra incognita relative d’Afrique sahélienne transformée en champs de bataille.


Au Mali le plus dur reste à faire

Colette Braeckman

14 février 2013

http://blog.lesoir.be/colette-braec...

Au Mali, la guerre des villes est en passe d’être gagnée par l’armée française et à Tombouctou, François Hollande, à juste titre, est apparu comme un libérateur. Mais le plus dur reste à faire, tant sur le plan militaire que politique.

1. Sur le plan strictement militaire, il faudra évidemment déloger les islamistes qui se sont mêlés à la population et occupent avec leurs otages l’imprenable massif de l’ Adrar des Iforas. Cette opération là devra se faire avec le concours de l’armée malienne et des autres forces africaines qui totaliseront 4000 hommes. Là se trouve le premier danger : comment, sans bavures ni épuration ethnique, extraire des hommes qui se sont mélangés aux civils, parmi lesquels des Touaregs longtemps hostiles au pouvoir central ? Alors que les premiers retraits français sont prévus pour début mars, les composantes de la force africaine sont originaires du Tchad, du Niger mais aussi du Nigeria. Or les soldats envoyés par Lagos se sont souvent caractérisés (en Sierra Leone entre autres) par leur brutalité, leur capacité de prédation et de représailles. D’éventuelles « bavures » risquent d’éclabousser le parrain français. L’armée malienne elle-même risque de poser problème : aujourd’hui déjà, le MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad), fer de lance de la revendication indépendantiste qui affirme s’être retourné contre ses anciens alliés djihadistes-, refuse de laisser l’armée gouvernementale prendre pied dans les territoires du Nord.

2. Le défi militaire est aussi interne : si les islamistes, épaulant le MNLA se sont aussi facilement emparés du Nord du Mali, c’est avant tout parce que l’armée malienne s’était effondrée. A l’instar de ce qui se passe dans l’Est du Congo, la guerre dans le « grand Nord » représenta longtemps, pour les officiers du Sud, une opportunité d’enrichissement, grâce au détournement des soldes et au partage du bénéfice de certains trafics. C’est le massacre de 82 soldats gouvernementaux à Aguelhok, en mars 2012, qui fut le détonateur du putch militaire à Bamako, mené par le capitaine Sanogo. Avant d’être à même de reprendre le contrôle de tout le territoire national, l’armée malienne devra être épurée, réformée. Or il est probable que, restés dans l’ombre, les putschistes, compagnons du capitaine Sanogo, s’opposeront à toute réforme en profondeur. Aujourd’hui encore, ils exercent un pouvoir d’intimidation sur le président intérimaire, Dioncounda Traoré.

3. Le fond du problème malien demeure politique. La main mise des islamistes sur le Nord a mobilisé l’opinion nationale et internationale, mais elle n’est pas la cause profonde de la tragédie. Au cœur du drame malien, il y a d’abord une illusion, maintes fois dénoncée par des intellectuels comme l’essayiste Aminata Traoré : depuis la fin du parti unique en 1991, l’Europe s’est focalisée sur les apparences de la démocratisation. Certes, il y a eu des élections, l’émergence d’une société civile, l’apparition d’une nouvelle bourgeoisie, interlocuteur favori des « bailleurs » européens. Mais- comme dans le Congo d’aujourd’hui- la population ne s’est pas reconnue dans ce jeu de miroirs : libéralisme oblige, l’Etat s’est dessaisi de pans entiers de ses prérogatives. La santé, l’éducation, le développement local, l’encadrement paysan ont été confiés à la société civile dont les organisations ont travaillé avec les fonds et sous les préceptes des bailleurs européens. Face à cette nouvelle élite liée à l’Occident, face à cet Etat perçu comme inefficace, prédateur et impuissant face aux trafiquants et aux preneurs d’otages, c’est dans la religion que la population a trouvé réconfort et identité. Quant aux Touaregs, ces maîtres du désert qui avaient déjà récusé l’administration coloniale et refusé d’envoyer leurs enfants dans les « école des Blancs », ils se sont sentis méprisés et négligés, par le parti unique comme par la démocratie. Toute solution de longue durée devra prendre en compte une partie de leurs revendications. Par contre, d’éventuelles représailles ne pourront que nourrir de futures révoltes.

4. Le fond du problème n’est pas religieux. L’Islam sunnite historique, auquel adhère 80% de la population, est tolérant, à vocation universelle. Les tombeaux et les livres détruits et profanés à Tombouctou relevaient de la tradition soufie. Ce n’est qu’assez récemment que l’Islam « malien » a été concurrencé par le wahabisme, venu d’Arabie Saoudite. Bien avant l’offensive sur le Nord, un parti « wahabite » défendait au Mali l’idée d’une république islamique… L’hypothèse d’une refondation de l’ Etat suivant des normes islamiques n’est cependant pas à écarter et constituerait, à l’instar des printemps libyen et égyptien, une issue amère pour l’intervention française.

5. La prise de pouvoir des islamistes et des trafiquants de tout acabit dans le grand Nord a occulté le fait que l’ Etat malien avait lui-même permis que le pays serve de relais aux trafiquants de drogue venus d’Amérique centrale et se dirigeant vers l’ Europe. Cigarettes, otages, voitures volées, cocaïne… Le président déchu Amani Touré n’avait pu empêcher plusieurs mafias d’utiliser son pays comme plaque tournante. L’épuration des réseaux mafieux devra se faire dans les déserts du Nord mais aussi au cœur de l’Etat malien.

6. A terme, il est certain que des élections s’imposent et elles devront, une fois encore, être financées par la communauté internationale. Mais quel est leur degré de priorité ? Ne faudrait il pas d’abord, avec patience et circonspection, renouer, à la base, un vrai débat démocratique, extirper les réseaux mafieux, réconcilier avec les nomades Touaregs l’administration du Sud, refonder l’ Etat ? Et, pourquoi pas, profiter de la présence française pour nettoyer l’armée nationale de ses éléments véreux ou putschistes ?


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