Une tribune pour les luttes

Pourquoi le primaire parisien s’oppose à la refondation de l’école et à la réforme des rythmes scolaires

argumentaire de la CNT-ste 75
+ ACRIMED Traitement par les médias de la grève.

Article mis en ligne le samedi 2 février 2013


Voir aussi :

ACRIMED
http://www.acrimed.org/article3986.html
La grève incompréhensible et injustifiée des instituteurs parisiens
par Olivier Poche, le 30 janvier 2013

Mardi 22 janvier, les instituteurs parisiens se sont massivement mis en grève et ont défilé contre le projet de loi pour la « Refondation de l’école », présenté le lendemain au Conseil des ministres. Si le mauvais traitement médiatique que les grévistes ont eu à subir a été d’inégale gravité [1], la tonalité d’ensemble laisse à penser que l’alternance n’a rien enlevé aux grands médias de leur goût pour « La Réforme », de leur dégoût pour ceux qui La refusent, ni surtout de leur capacité à donner des leçons en lieu et place d’informations.


Argumentaire grève rythmes scolaires 2013

Pourquoi le primaire parisien s’oppose à la refondation de l’école et à la réforme des rythmes scolaires

Contrairement à ce qui se dit ça et là, nous ne sacrifions pas l’intérêt de l’enfant pour des préoccupations
personnelles – la grasse matinée du mercredi matin. (Et nous les cénétistes, nous ne perdons pas de vue nos
convictions pédagogiques quand nous défendons nos intérêts de travailleurs)
Ce que nous voyons venir avec ces réformes Peillon, c’est un allongement et/ou un morcellement du temps de
travail pour tous, enfants, enseignants et personnels municipaux sans allègement de la charge de travail. Il est
clair que le modèle du secondaire se diffuse dans le primaire quand pour nous, c’est le contraire qui serait
dans l’intérêt des enfants.

Plus de fatigue pour les élèves
Pour les élèves, le volume horaire sera le même. Pas d’allègement ni du nombre d’heures ni des programmes
ni des évaluations. Tant qu’on met les enfants sous pression pour se lever tôt et finir le programme, travailler,
travailler, tous à la même cadence, rentrer avec encore des devoirs à faire, comment peut-on parler de respect
de leur rythme ? Ils gagnent quoi ? Une meilleure répartition ?
Il est prévu à Paris de rallonger le temps de cantine de 45 minutes chaque jour pour rajouter 3 heures de
classe le mercredi matin. Tout le monde quittant l’école le soir à la même heure (16h30 ou 18h). Aller en
classe un matin de plus, et supprimer une matinée de repos ou de loisir fait évidemment une semaine plus
fatigante. L’expérience a déjà été imposée une année à Montreuil (2007/2008), et au final, les enfants étaient
bien plus fatigués*.

Si au moins cet effort pouvait être compensé par un réel raccourcissement et allègement des autres jours de la
semaine. Ce ne sera pas le cas. Un autre aménagement du temps de l’enfant (ATE) existe dans certaines écoles
parisiennes. Toutes ont au contraire raccourci l’interclasse du midi, parce que c’est un moment fatigant, de
stress, d’énervements divers dans la cour ou de désoeuvrement stérile. Les écoles où les enfants sont plus
reposés et disponibles l’après-midi ont un interclasse d’une heure trente. Porter ce temps à presque trois heures
montre à quel point les politiciens méconnaissent la réalité des écoles.

Qui croit aux promesses de la ville de Paris ?
Mais attendez, nous dit-on, vous allez voir ce que vous allez voir : cet interclasse du midi va être formidable !
La municipalité nous promet monts et merveilles... qu’elle n’a jamais réussi à trouver depuis des lustres. Car
bien sûr, tout ceci se fera suivant le dogme absolu des moyens constants. La Ville a réduit de 5 millions le
budget des classes de découverte pour cette réforme. Les gosses au bord de la mer ou dans un préau parisien ?
Le choix est fait.
Alors, ateliers culturels, sportifs -vous avez dit repos ?- ou scientifiques. D’abord, ils existent déjà en classe
car les enseignants n’ont pas oublié l’intérêt de ces matières. Ensuite, par qui seront-ils assurés le midi ? Des
animateurs, des enseignants et des conférenciers formés et compétents, ça coûte très cher. Or il y a belle
lurette que la ville recrute majoritairement des précaires et des personnes sans formation, ni même expérience
avec des enfants pour encadrer cantine, étude du soir et centre de loisirs. Les syndicats de la ville ne cessent
de se battre contre ce recrutement massif de vacataires qui bossent parfois pendant des années sans être
titularisés. Mais l’adjointe Brossel promet de les « déprécariser » ! A coup de Karcher ? Pourquoi ne l’ont-ils
pas fait depuis toutes ces années ?
Quant aux professeurs de la ville de Paris (PVP) leurs concours de recrutement sont en voie de disparition
depuis 3 ans ; au moins douze postes de moins l’an prochain.
Et les locaux ? Les espaces qui manquent cruellement déjà aujourd’hui (salles de repos inexistantes,
bibliothèques trop petites, installations sportives suroccupées...) ne vont pas surgir dès l’an prochain. Qui peut
aller au musée et en revenir en 45 minutes le midi ?
Alors, quand les socialistes nous parlent d’intérêt de l’enfant, nous ne sommes pas dupes.
* Un bilan de l’expérience du Programme éducatif local global (PELG) de 2007 à Montreuil est à lire en annexe

Allongement du temps de travail pour tous
Mais les personnels qui travaillent dans les écoles vont aussi la sentir passer cette réforme. Les animateurs qui
travaillent le mercredi vont devoir revoir leur vie personnelle, parce que leur temps de travail va être morcelé
sur les autres jours de la semaine. Ils se verront entourés de toujours plus de précaires, comme déjà dit. Les
profs de la ville craignent la même chose, et aussi de se voir obligés de travailler en périscolaire alors que leur
formation et leur vocation est d’enseigner l’EPS, la musique et les arts visuels du temps scolaire. Beaucoup de
complications sont à prévoir également pour les agents de service à qui on ne demande rien non plus. Sont-ils
quantité négligeable ?
Quant aux professeurs des écoles, c’est un temps de présence rallongé à l’école qui leur est promis. Quatre
jours, de 8h30 à 16h30, comme d’habitude, plus la matinée du mercredi, et sans doute un certain nombre de
mercredi après-midi pour des réunions et des animations. Vous avez dit intensification ? Non seulement ils
sont les enseignants qui bossent le plus, non seulement, ils n’ont eu droit à aucune RTT, mais on en rajoute !
Quand lâcheront-ils leur complexe de culpabilité pour reconnaître qu’ils ont trop de travail, trop de stress ?
Moins de repos dans la semaine, c’est moins de disponibilité et de patience pour les enfants. Et pour les
enseignants qui ont de jeunes enfants ou qui habitent dans d’autres communes qui feront un choix
d’aménagement du temps scolaire différent, les frais de garde vont augmenter.
Tout ça pour retirer quelques minutes de cours dans la journée ?

Un modèle qui éloigne les enseignants des enfants
Ce qui nous frappe, enfin, c’est la contamination du primaire par le modèle historique du secondaire. Au
collège et au lycée, la distance entre enfants et adultes est plus grande que dans le primaire : la multiplicité
des enseignants, la taille des établissements et le saucissonnage des matières favorise ce phénomène. Cela
induit des difficultés : connaître et comprendre les enfants, les écouter, les suivre. Mais aussi une conception
du savoir plus froide, comme un simple objet à transmettre. Cela s’exprime dans le primaire par les livrets de
compétences et des évaluations qui tendent à considérer l’enfant comme un sujet cognitif entièrement
responsable de ses résultats. Et ce, dès l’âge de trois ans maintenant ! Ce qui est provoqué par l’institution, le
milieu social, la relation pédagogique s’effacent ainsi peu à peu. La compétition sociale s’impose. Alors que
pour nous il est moins question de savoir s’il faut travailler le mercredi ou le samedi matin - même si nous
sommes opposés au mercredi - que de s’organiser collectivement afin que ce débat soit mené dans l’intérêt
des enfants et des personnels, contre le capitalisme, ses règles d’or et sigles AAA compris. Et si nous n’avons
pas une vigilance respectueuse, nous permettons aux médias et aux pressions de la vie moderne d’obliger nos
enfants à grandir. Nous oublions d’avoir confiance dans le fait que les enfants deviendront indépendants, à
leur propre rythme.

N’autre refondation
On nous vante les modèles allemands ou finlandais mais c’est une supercherie. En Allemagne, on revient sur
l’habitude de libérer les enfants l’après-midi parce que ceux qui n’ont pas les moyens de se payer des activités
ne font rien et traînent, et ce système implique que le devoir des mères est d’arrêter de travailler pour élever
les enfants. En Finlande, il y a beaucoup moins d’élèves par classe, et surtout pas d’apprentissage de la lecture
avant l’âge de sept ans ni aucune évaluation ! On en est loin ici.
Pour nous, le changement, c’est plus de personnels enseignants et non enseignants, plus d’espaces verts,
plus de jeux, plus de classes transplantées, plus de musées gratuits, plus d’écoles plus grandes avec plus de
salles pour faire plus d’activités de recherches, de cuisine et de créations...

ET aussi travailler moins et autrement. Favoriser le travail en équipe, ne plus être seul avec ses élèves dans
une classe, ne plus imposer des horaires impossibles aux personnels de service, aux enfants, aux animateurs,
aux enseignants, ne plus imposer des cantines inhumaines, ne plus subir le bruit, enfants, enseignants et non
enseignants réunis, apprendre à travailler ensemble, enfants et adultes, s’apprendre mutuellement...

La refondation se devait de supprimer le Livret personnel de compétences LPC), la Base Élèves – qui n’a
toujours pas reçu l’agrément de la CNIL –, l’Aide personnalisée, les programmes de 2008 et leur logique de
bachotage. De tout ça, et bien d’autres choses encore, il n’est pas question dans cette refondation Peillon.

Aménagement du temps scolaire à Montreuil (année scolaire 2007-2008)

« Un rythme d’enfer et un déni de démocratie » (1)

Jusqu’à la rentrée scolaire 2007, comme une très grande majorité des écoles françaises, le rythme
hebdomadaire de l’école à Montreuil était le suivant : classes les lundi, mardi, jeudi, vendredi de 9h à 16h30
avec une pause méridienne de 1h30 et classe le samedi matin de 9h à 12h.

En 2007, la municipalité d’alors et l’inspection académique de Seine St Denis imposèrent contre l’avis des
enseignants, animateurs, conseils d’écoles et du Conseil départemental de l’Éducation nationale (CDEN) un
nouveau rythme avec école le mercredi matin, pour une expérimentation prévue sur 3 années. Darcos mit fin
à cette expérience en promulguant l’école de 4 jours pour toutes les communes de France à la rentrée 2008.
Aucun bilan, ni de la mairie ni de l’académie, ne fut publiquement diffusé.Retour sur une année mal rythmée.
Mépris des personnels et des instances de concertation
En décembre 2006, la municipalité de Montreuil publie un « Projet éducatif local global » (PELG) qui prévoit
le transfert de l’école du samedi au mercredi matin. Le vendredi, l’école finira à 15h30, les enfants seront
ensuite pris en charge jusqu’à 19h par les animateurs, la mairie assurant la gratuité de cette prise en charge.
Les conseils d’école donnent leur avis : 41 contre (sur 44 écoles).
Les parents ne seront consultés qu’en mars 2007 avec un questionnaire très ciblé envoyé à 7065 familles. Le
CREDOC (Centre de Recherche pour l’étude et l’Observation des Conditions de vie) est rémunéré pour
dépouiller les réponses. 39% seulement des familles répondent, mais le CREDOC comptabilise 64% de
parents favorables à l’école le mercredi matin et déjà 40% des parents ayant répondu au questionnaire
estiment que ce rythme « sera plus fatigant pour l’enfant » (2).
La FCPE est, quant à elle, très partagée : « 50/50 » !
Le CDEN est consulté dans la foulée : 12 contre / 9 pour / 3 abstentions.
Enseignants et animateurs, dès l’annonce de cet aménagement, se mobilisent, diffusent tracts, pétitions et
argumentaires et organisent plusieurs journées d’actions et de grève.
L’inspecteur d’académie ne tiendra aucun compte de ces résistances et avis. Il passera en force et diffusera en
juillet 2007 sa circulaire de rentrée avec le mercredi travaillé pour les profs et les élèves à la rentrée de
septembre.

C’est toujours pour « le bien des enfants » ?!

Les motivations de la municipalité, à l’origine du projet, s’affirment dès les premières pages du PELG : « Trop
d’enfants sont aujourd’hui trop souvent abandonnés à eux-mêmes, à la rue et au hasard des rencontres » (page
7, pelg, vo.8). Il s’agit donc d’attirer vers les structures municipales le plus d’enfants possibles de 3 à 16 ans.
Quant à l’inspection académique, son souci est la rentabilité. Sous couvert de « raisons pédagogiques », il
s’agit « de lutter contre l’absentéisme du samedi qui atteint plus de 50% en maternelle et 10 à 20% en
élémentaire » déclare-t-elle au quotidien Le Parisien.
Un bilan globalement négatif (3)
Cette semaine de 9 demi-journées avec le mercredi matin à l’école aura totalement déstabilisé le travail des
animateurs. Le temps de loisirs des enfants aura diminué de moitié. « Par ailleurs, la fin de l’école à 15h30 le
vendredi est un immense gâchis, ne correspond à rien et n’a aucune justification d’autant que le nombre très
important d’enfants oblige les animateur(ices)s, encore plus que le mercredi ou sur d’autres tranches, à faire
des activités occupationnelles ».
« Les activités culturelles, sportives proposées dans le cadre du périscolaire sont de l’ordre de l’infinitésimal
et ne touchent de toute façon qu’un nombre limité d’enfants. ».
« Plus grave, alors que la municipalité annonçait pléthore d’animateurs, il en manque 25% et ne sont pas des
emplois qualifiés ». Pour certains contrats, des animateurs se voient moins bien rémunérés.

Les objectifs fixés par la mairie de l’époque n’ont pas été atteints. Le périscolaire n’a pas vu ses effectifs
gonflés excepté le vendredi soir car c’était gratuit. Mais faute de moyens et de locaux adaptés, c’était plutôt
l’enfer dans les préaux.

L’accueil dans les centres de loisirs, le mercredi après-midi, n’a pas profité aux enfants qui étaient visés par la
municipalité. En ZEP, les élèves du cycle 3 quittaient l’école au plus vite dès midi. Ils étaient nombreux à
rester éloigner « des structures culturelles » municipales ou associatives même si certains rejoignaient
quelques clubs sportifs.

La semaine s’est avérée très fatigante pour les enfants. A l’école, le jeudi et le vendredi étaient des journées
très énervées. Sans modification des programmes, avec une semaine continue du lundi au vendredi (sans la
pause du mercredi), c’était un « rythme d’enfer ». La journée d’école ne changeait pas. La fin de classe, le
vendredi soir, un cauchemar. Cette année là , nombre d’enfants et d’ enseignants sont tombés malades.
Des pratiques pour empêcher d’innover
Dès l’annonce de l’aménagement des rythmes (juin 2006) à son imposition contre les personnels et élèves
directement concernés (septembre 2007), les inspections de l’éducation nationale et la municipalité se sont
systématiquement employés à atomiser les discussions, à fragmenter les « consultations » : parents, directions
d’écoles, animateurs. A aucun moment, de véritables « groupes de travail » interdisciplinaires, ouverts, n’ont
été mis en place sur le temps de travail. Chaque institution gardant la main sur ses personnels et surtout, ses
prérogatives : l’Education nationale pour les savoirs fondamentaux, la mairie et ses « francs-camarades » pour
l’éducation populaire.

La suppression du samedi à l’école

Les chiffres statistiques avancés par l’inspection académique sur « l’absentéisme » des élèves le samedi matin
ont masqué des réalités bien différentes d’une école à l’autre selon les quartiers. C’est un élève ou 2 absents le
samedi matin en élémentaire, certes, mais pas toujours les mêmes !
En maternelle, un absentéisme plus marqué, il est vrai, c’était aussi l’occasion pour les enseignants de
décloisonner, de préparer collectivement une semaine de classe. De préparer des projets d’écoles ou plus
quotidiennement, de véritables parcours d’apprentissage, faits d’expérimentations et de manipulations, loin
des fiches phocopiables qui inexorablement ont gagné du terrain depuis.
Ce qui est marquant, c’est que la suppression du samedi matin, dès 2007 à Montreuil, a distendu les liens avec
les parents. Finies les rencontres du samedi midi, les ateliers parents-enseignants, les sorties communes.
Dès 2007, à Montreuil, le temps de travail des enseignants a augmenté. Le plus visible pour tous, ce sont les
kermesses du samedi matin, les lotos, les remises de livrets !!
En conclusion, cette semaine d’école, du lundi au vendredi, entrecoupée d’une demi-journée libérée (« pour
jouer, flâner, rêver.. et aussi découvrir le monde » au centre de loisirs) prépara bien les années catastrophes
sous Darcos et Chatel : les années « socle commun de compétences », évaluations, livrets, Base élèves...
En 2007, la FSU communaux, le SNUipp, FO, Sud, la CNT, les non-syndiqué(e)s, le Collectif des animateurs
et Directeurs (codanim), le Collectif des parents « nonmercredi » diffusaient un argumentaire au titre toujours
d’actualité : « Le mercredi, les enfants vivent leur rythme. » Une phrase de F. Testu, chrono-biologiste. En
sur-titre, on pouvait lire : « Aménagement du temps scolaire : oui au samedi ! ».

Alain Dervin, école Diderot 2

1. Titres de tracts syndicaux diffusés à Montreuil 2006/2007
2. CREDOC, document de synthèse (« Les principaux enseignements de la consultation auprès des parents d’élèves de
maternelle et d’élémentaire de Montreuil sur les nouveaux rythmes scolaires » Etude réalisée à la demande de la
ville de Montreuil)
3. Les citations présentes dans ce paragraphe sont extraites d’un document de travail intersyndical et interprofessionnel
rédigé l’année de la mise en place du PELG

Retour en haut de la page

Soutenir Mille Bâbords

Pour garder son indépendance, Mille Bâbords ne demande pas de subventions. Pour équilibrer le budget, la solution pérenne serait d’augmenter le nombre d’adhésions ou de dons réguliers.
Contactez-nous !

Thèmes liés à l'article

Éducation/Enseignement Supérieur c'est aussi ...

0 | 5 | 10 | 15 | 20 | 25 | 30 | 35 | 40 | ... | 590