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Des excuses au Crif provoquent des remous à la Cimade

Article mis en ligne le dimanche 3 mars 2013

Envoyé par mail

01 MARS 2013

Des excuses au Crif provoquent des remous à la Cimade

| PAR CARINE FOUTEAU MEDIAPART

Patrick Peugeot, le président de la Cimade, association d’obédience protestante de solidarité avec les migrants, les réfugiés et les demandeurs d’asile, vient d’écrire une lettre d’excuse à Richard Prasquier, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Coïncidence troublante, ce geste intervient au moment où ce dernier se fend d’un communiqué au vitriol à l’encontre de Stéphane Hessel, à l’occasion du décès de l’ancien diplomate et résistant, qui fut aussi un défenseur des sans-papiers, en raison de« sa volonté obsessionnelle de faire de Gaza l’épicentre de l’injustice dans ce monde ».

Qu’est-ce qui justifie l’acte de contrition de Patrick Peugeot, ex-patron reconverti dans l’associatif ? L’attitude qu’il juge«  inqualifiable » et « indigne » de deux représentants de la Cimade en région PACA.

Qu’ont-ils fait ? Ils ont décliné une invitation du Crif-Marseille Provence en expliquant les raisons de leur refus. Dans un courrier du 3 décembre 2012, Michèle Teboul, présidente de cette structure, leur propose de participer à une « manifestation exceptionnelle »qu’elle organise pour commémorer le 70e anniversaire des rafles de la cité phocéenne autour de quatre thèmes : les grands témoins, les déportés et enfants de déportés, les justes, et les nouvelles générations.

Dans une réponse datée du 1er janvier 2013, Françoise Rocheteau et Jean-Pierre Cavalié, les délégués régionaux, travaillant pour la Cimade depuis respectivement 29 et 20 ans, évoquent les «  actions très courageuses » menées par nombre des membres de leur association au cours de la seconde guerre mondiale « en faveur de toutes les personnes recherchées par les autorités allemandes et françaises : Juifs essentiellement, mais aussi opposants politiques, Tsiganes/Roms, homosexuels » et rappellent que la Cimade est « maintes fois mentionnée dans “Le livre des Justes” ». Ils listent les «  valeurs éthiques » dont ils se revendiquent : «  l’humanité avant la nationalité », « la responsabilité avant l’obéissance », « le droit avant les lois ».

Arrivent ensuite les lignes incriminées : « Vous mettez à juste titre l’accent sur le “devoir de mémoire” du Crif. Nous croyons, quant à nous, que le devoir de mémoire n’est pas seulement le devoir de se souvenir, de ne pas oublier ; il est aussi et surtout le devoir de ne pas répéter les horreurs commises, même sur une moindre échelle. » Puis, deux paragraphes plus loin, ils qualifient de« coloniale et discriminatoire » la politique menée par l’État d’Israël « à l’encontre des Palestiniens, en violation du droit international ».

Avant les « salutations cordiales » d’usage, les auteurs concluent ainsi leur lettre : «  Nous comprendrions que ces positions ne rendent pas souhaitable notre présence lors de votre commémoration. Nous ne pouvons garder silence sur nos convictions, mais ne souhaitons pas non plus faire scandale. Nous vous souhaitons une commémoration profonde et paisible. »

Après avoir pris connaissance de cet échange épistolaire, Richard Prasquier publie, le 18 février, sur le site internet du Crif un billet faisant état de «  l’insulte de la Cimade » et met l’ensemble de la correspondance sur la place publique. « Cette affaire est grave, écrit-il. Elle vient en complément d’années de dérive où la Cimade, s’entourant du glorieux manteau de son passé et aussi de ses activités non discutables d’aide aux déshérités de notre pays (sans papiers, etc.), a plongé dans une rhétorique anti-israélienne intempestive, violente et aveugle dont les exemples abondent et suscitent des questions quant à cette focalisation unique. Il n’est que d’écouter certaines déclarations de son délégué régional à Marseille, cosignataire de cette lettre honteuse à la Présidente du CRIF régional, pour se rendre compte qu’il n’agit pas pour aider les démunis, mais pour mener un combat politique virulent contre notre société, combat dans lequel il utilise amalgames et insinuations sans la moindre mesure. Vous avez dit humanitaire ? Vous avez dit protestante ? »

« Vous l’avez bien dit : “cette affaire est grave” »

À ce communiqué mettant en cause non seulement le contenu de la lettre mais aussi des « années de dérive » de l’association engagée quotidiennement auprès des étrangers enfermés dans les centres de rétention administrative (CRA), Patrick Peugeot répond par un courrier adressé à Richard Prasquier dans lequel il se désolidarise totalement des deux salariés de l’association qu’il préside depuis 2006.

«  Vous l’avez bien dit : “cette affaire est grave” », écrit cet ex-PDG des assurances la Mondiale. Évoquant une «  offense » faite au Crif-Provence et soulignant «  la sincérité et la profondeur de vue »de la partie invitante, il dénonce l’« irresponsabilité » de Jean-Pierre Cavalié et Françoise Rocheteau qu’il accuse d’avoir«  abus(é) du papier officiel de la Cimade », de se poser en« donneurs de leçons » et de « suggérer un amalgame intolérable ». « Je veux donc affirmer (…) la profonde humiliation qui est la nôtre que le nom de notre mouvement soit associé ainsi à une démarche inqualifiable », insiste-t-il, produisant à deux reprises, des excuses.

Issu d’une branche de la famille éloignée de celle qui fait fortune dans l’automobile, le polytechnicien et énarque passé par la Cour des comptes termine sa missive en s’engageant à ce qu’à l’avenir« aucune déclaration ne puisse être diffusée tant régionalement que nationalement sans l’accord explicite de nos instances ». Ce qui résonne comme une reprise en main puisque jusqu’à présent les régions bénéficiaient d’une large autonomie dans la diffusion d’informations.

Sans qu’il ne l’explique à son destinataire, le président adresse en copie ce courrier à Claude Baty, le président de la Fédération protestante de France ainsi qu’à François Clavairoly, «  prochain président de la Fédération protestante de France ».

Patrick Peugeot assure agir au nom du Conseil de la Cimade, constitué de seize membres. À l’origine d’importants remous en interne, son initiative est d’autant plus mal comprise que l’association, membre de la Plateforme des ONG pour la Palestine, est fréquemment critique à l’égard de la politique menée par Israël. La forme de la démarche est par ailleurs considérée par beaucoup comme choquante dans la mesure où les intéressés, qui n’ont pas souhaité s’exprimer pour l’instant, ont appris par la voie publique qu’ils étaient lâchés par leur président. Alors que l’association, qui vient de se doter d’un nouveau secrétaire général, traverse une passe difficile depuis qu’elle s’est vue écartée d’une partie des centres de rétention, ce court-circuitage la déstabilise un peu plus.

«  On est très malheureux de cette histoire », indique Patrick Peugeot, joint par Mediapart, qui concède le ton « qui peut apparaître un peu sévère » de sa lettre. «  Nos deux délégués pouvaient ne pas y aller, mais ils ne devaient pas l’écrire comme cela. Je ne les accuse pas d’avoir fait un amalgame entre la Shoah et ce qui se passe aujourd’hui entre Israël et la Palestine. Ils ne sont pas comme ça. Mais je leur reproche d’avoir pris le risque de donner la possibilité à des gens qui ne nous font pas de cadeaux de dire que nous sommes antisémites », explique-t-il. Concernant les déclarations de Richard Prasquier sur Stéphane Hessel, le président de la Cimade évoque un « pur scandale », conscient que la concomitance des faits le dessert.

Une assemblée générale est prévue le 9 mars. Reste à savoir si le Conseil inscrira le sujet qui bouleverse les salariés à l’ordre du jour. Ou préférera le mettre sous le tapis.

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