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Ecologie et constitution européenne : note de lecture

par Joël Martine, Marseille

Article mis en ligne le mardi 29 mars 2005

La constitution européenne est-elle « bonne pour l’environnement » ? : tel est le titre d’une analyse détaillée des aspects environnementaux du projet de constitution, faite par Jean-Marc JANCOVICI sur

www.manicore.com

L’auteur est un partisan du oui, mais il déplore les orientations anti-environnementales du texte.

Si je résume : il y a des déclarations de bonnes intentions, mais pas d’engagements précis (alors que la constitution est très précise sur la politique économique à suivre, ce qui n’est pas normal pour une constitution). Et d’autre part la politique économique prescrite poursuit pour l’essentiel le mode de développement qui produit les catastrophes environnementales, parfois même en soutenant explicitement ses aspects les plus anti-écologiques.

- Bonnes intentions et anthropocentrisme.

Parmi les « objectifs de l’Union » il y a « un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement » (art.I-3, §3) et « le développement durable de la planète » (art.I-3, §4). Ces objectifs sont répétés dans plusieurs articles : Jancovici en cite quatre.

Je remarque en outre que la préoccupation de l’environnement est classée dans les « objectifs » et non dans les « valeurs » de l’Union. Lesdites valeurs, dont la liste est donnée à l’article I-2, sont en principe supérieures aux « objectifs », car elles représentent le fondement moral et philosophique commun aux citoyens et aux Etats de l’Union. Ces valeurs sont essentiellement humanistes : dignité humaine, droits humains, etc., ce qui bien sûr est une bonne chose, mais il n’y a pas un mot sur la sauvegarde et le respect de la biosphère. C’est une philosophie « anthropocentrique », donc unilatérale. Certes, pour une constitution ce n’est pas un crime ... mais cela témoigne de toute une mentalité !

- Principe de précaution, etc.

Les articles III-233 et III-234 sont spécifiquement consacrés à l’environnement. Ils mentionnent notamment (art.III-233, §2) les principes de précaution, d’action préventive, de correction en priorité à la source, ainsi que le principe du pollueur-payeur. C’est plutôt bien, même si on pourrait discuter sur les procédures de décision.

- Productivisme libéral.

« Croissance économique » et « économie hautement compétitive » font partie des « objectifs de l’Union » (art.I-3, §3). Il faut une « expansion de la consommation dans l’Union » (art.III-151, dernière ligne). Bien sûr il n’est pas interdit d’imaginer qu’on combine ces orientations avec le respect de l’environnement ... mais ce serait difficile, vu que le mot « hautement compétitif » désigne la capacité à éliminer des concurrents sur le marché, le plus souvent en abaissant les coûts de production quels que soient les conséquences sociales et environnementales notamment à long terme.

Parfois l’option productiviste est ouvertement affirmée : Article III-227 : « La politique agricole commune a pour but d’accroître la productivité de l’agriculture ». Et pas un mot sur les autres conceptions de l’agriculture, qui pourtant ne sont pas inconnues dans l’opinion ! Jancovici dit qu’il en va de même pour les transports de marchandises.

- Durable ou soutenable ?

D’après mes souvenirs, c’est à la fin des années 80 que des écologistes ont lancé le terme de « développement soutenable » (en anglais « sustainable »), ce qui veut dire : pouvant être supporté par la biosphère et les ressources existantes. Ce mot relativisait l’activité humaine par rapport au fonctionnement des écosystèmes. (Il suggérait aussi qu’il fallait se soucier de la « soutenabilité » psychique et sociale du développement économique). Comme c’était un néologisme un peu bizarre, ou l’a remplacé par l’expression « développement durable », qui maintenant est devenue un lieu commun. Dans cette expression, la question de la soutenabilité à l’égard de la nature a disparu. On en va même presque jusqu’à retourner le problème : on se demande comment faire durer le développement existant (le rendre « durable »), au lieu de se demander s’il est soutenable. (C’est le même tour de passe-passe sémantique qui autrefois a fait remplacer les termes d’ « écosystèmes » et de « biosphère », certes un peu bizarres mais qui désignent des systèmes ayant leur propres cohérences de fonctionnement, par le terme d’ « environnement », qui envisage la nature comme ce qui entoure l’activité humaine : au lieu de relativiser l’activité humaine par rapport à la nature, on fait l’inverse.)

Le projet de constitution européenne s’inscrit dans la lignée de cette manipulation sémantique.

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