Une tribune pour les luttes

Coordination de collectifs de chômeurs et précaires

L’humanité qui convient ...

« Aujourd’hui, c’est le grand jour pour moi car je vais me brûler à Pôle emploi. » Djamal Chaar, Nantes, février 2013.

Article mis en ligne le vendredi 12 avril 2013

Avril, 2013.

Djamal Chaar est mort. Il s’est immolé par le feu mercredi 13 février
2013 face à un Pôle Emploi, à Nantes. Deux jours après, un autre
chômeur tentait de se donner publiquement la mort à Saint-Ouen, et un
autre encore quelques jours plus tard dans un Pôle emploi de
Bois-Colombes. Déjà, l’été précédent, un homme était mort après s’être
immolé à la CAF de Mantes-la Jolie. À l’époque, la ministre des
affaires sociales et de la santé, avait «  fait part de sa profonde
émotion face à cet acte désespéré d’une personne que les difficultés de
la vie ont manifestement conduit à un geste tragique »
. La ministre
déléguée chargée de la lutte contre l’exclusion avait ajouté qu’« en
première ligne face à ces difficultés sociales, le personnel de la Caf
a rempli sa mission avec sérieux et compétence
 ».

Au lendemain de la mort de Djamal Chaar, le président de la République
évoquera avant tout le caractère «  exemplaire  » du « service public de
l’emploi
 ». Les réactions publiques, comme à chaque fois, qualifient le
geste de «  drame personnel  », on exprime à peu de frais son émotion
tout en cherchant à déresponsabiliser l’institution. Une cellule
psychologique est créée pour les agents, le sale boulot de gestion de
la précarité peut reprendre. Et si quelques voix s’élèvent pour faire
du mort une victime, ces discours participent d’un consensus qui
recouvre la dimension politique de ce qui a eu lieu.

La veille de son immolation, Djamal Chaar écrit : «  J’ai travaillé 720h
et la loi, c’est 610h. Et Pôle emploi a refusé mon dossier
 ». Le
ministre du travail et du dialogue social répondra : « Les règles ont
été appliquées avec l’humanité qui convient, avec les explications
nécessaires, mais il y a parfois des moments où on est dans une telle
situation, qu’on ne comprend plus les explications
 ».

L’humanité qui convient. Quiconque a affaire à Pôle emploi ou à la CAF
sait ce dont il s’agit. C’est l’Etat qui remet à un agent le soin de
décider des moyens de subsistance d’un autre humain. Ce sont des calculs
comptables qui font oublier les vies derrière les chiffres. Ce sont des
règles d’indemnisation opaques, arbitraires, rarement explicitées et qui
excluent plus de la moitié des chômeurs de l’allocation. C’est le mépris
et le soupçon avec lesquels on traite quiconque dépend d’une institution
pour ses revenus. C’est transformer les droits sociaux en dettes
individuelles et réduire par-là tout horizon, toute capacité à se
projeter.

L’humanité qui convient, c’est nous culpabiliser de n’avoir pas
d’emploi dans cette société-là et nous forcer à jouer le jeu. C’est une
logique qui transpire partout. Elle s’impose aussi à nous dans
l’entreprise où chacun est contraint à grand coups de management de
s’impliquer personnellement, de se réaliser en tant que capital humain,
de faire corps avec son travail aussi indésirable soit-il.

Djamal Chaar a décidé de ne pas faire le grand saut dans le noir en
silence. Nous ne pouvons accepter comme un «  accident de parcours  » l’acte
d’un homme qui a décidé de mourir en accusant. S’obliger à parler. Dire
que l’institution tue. Dire qu’il ne s’agit pas de « drames personnels ».
Et si son geste nous renvoie à nous-mêmes, à nos solitudes et nos
découragements, il nous renvoie aussi à la nécessité de s’attaquer à cette
violence qui nous est faite. Dans l’entraide et la solidarité, que nous
éprouvons par bribes au présent et que nous essayons de construire jour
après jour, nous voyons un des moyens pour reprendre, ensemble, prise sur
nos vies.

Des collectifs de chômeurs et précaires réunis en coordination.

CAFCA Ariège, CCPL Lille, Exploités-Énervés Cévennes, CAFards de
Montreuil, La C.R.I.S.E à Nancy, Permanence Précarité CIP-IDF, CNT-UL
Chelles & Marne-la-vallée, Réseau Stop Précarité.

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