Une tribune pour les luttes

La guerre aux migrants a fait 18 000 morts (au moins) par Jean Marc Manach

+ La tragédie de Lampedusa : s’émouvoir, comprendre, agir Par Michel Agier

Article mis en ligne le vendredi 4 octobre 2013

La mort des migrants émeut, et pour combien de temps..., jusqu’à ce qu’on expulse de l’’Europe les survivants indésirables !
Mais Frontex tue tous les jours ceux qui tentent d’échapper aux désastres économiques et climatiques, aux guerres, que nous engendrons dans leurs pays d’origine.


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La tragédie de Lampedusa : s’émouvoir, comprendre, agir

Par Michel Agier (Anthropologue, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales)

04.10.2013

http://www.lemonde.fr/idees/article...

S’émouvoir bien sûr. 130 morts et 200 disparus, tel est le bilan à ce jour du naufrage en Méditerranée d’une embarcation où s’étaient risqués des migrants d’Afrique de l’est, somaliens et érythréens principalement, moyennant un coût élevé payé à un passeur. Le pape s’indigne, la maire de Lampedusa en larmes dit qu’il faut que cette tragédie se traduise en images sinon elle n’aura pas existé, et le gouvernement italien donne la mesure du drame en annonçant une journée de deuil national. Le temps de l’émotion est largement mérité pour toutes celles et ceux qui sont déjà morts en Méditerranée ces dernières années, sans sépulture le plus souvent ni commémoration, au moins 16 000 personnes depuis 20 ans, comme il est mérité pour les survivants qui ont affronté l’horreur de la traversée mais aussi les conditions déplorables de la clandestinité dans laquelle les administrations européennes ont décidé de les enfermer.

Car créer des "clandestins", c’est bien la décision d’un État (qui peut aussi bien décider, dans un autre contexte, de les "régulariser"). Combien d’émotion faudra-t-il pour qu’on arrête de s émouvoir et qu’on commence à réfléchir aux dispositifs mortifères que l’Europe a mis en place depuis la fin des années 1990 contre les migrants pour faire le tri excluant les indésirables (ils viennent surtout des pays dits "du Sud"), les rejetant violemment ou les maintenant dans une clandestinité propice à la surexploitation de leur travail, ou en attente dans des camps ? Il est vrai qu’il y a un retard de reconnaissance face à l’ampleur des dégâts humains de cette "guerre" du nouveau siècle, une guerre qui passe par l’emmurement des territoires et le contrôle des flux migratoires. Incluons donc aussi dans l’émotion de ce 3 octobre 2013 toutes celles et ceux qui entre février et juin 2011, durant les premiers mois des révoltes arabes, ont péri dans le "Mur" Méditerranée – 1 500 morts selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ? Sans faire beaucoup de bruit.

La chasse à l’étranger est terriblement meurtrière. Ces dizaines de corps sans nom doivent être retrouvés, il faut remonter les cadavres à la surface "pour les renvoyer à leur famille" comme le demande les sauveteurs parce que, eux, les plus près de la vérité de ces corps, savent que chacun est unique, homme ou femme, jeunes gens et enfants et que personne n’est réductible à l’assignation identitaire par laquelle on le désigne. Ni "immigrés" (puisque sans arrivée) ni "réfugiés" (ils n’on pas pu faire de demande d’asile) ni "clandestins" (le droit n’a pas statué sur leur condition), ils sont morts en migration, pendant le déplacement. Or c’est précisément cette mobilité, pourtant chérie et valorisée comme la marque d’un monde cosmopolite moderne et fluide lorsque nous parlons de nos vies, qui est la cible des polices et des gouvernements nationaux lorsque nous parlons de celles des "autres". Et la mobilité est encore la question centrale, associée à celle de l’égalité, lorsque nous nous interrogeons sur la formation et le partage d’un "monde commun" à l’échelle... du monde.

Comprendre, donc, en prenant le temps. Les politiques publiques de dissuasion de la migration ont été coordonnées au niveau européen à partir du début des années 2000. La France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie, avec à ce moment-là la collaboration du HCR, ont commencé à imaginer les règlements limitant l’exercice du droit d’asile (déclaré en 1948), le réduisant dans certains pays à néant, et le contrôle accru des migrations et des frontières (création de l’agence de police européenne Frontex en 2005). Outre les mesures administratives et la construction de murs et grilles empêchant les passages, le développement des propagandes contre l’étranger en général a été la marque de la plupart des gouvernements des pays européens. La France n’est pas en reste et l’invention permanente d’un "étranger" abstrait, fantomatique et repoussoir – qu’il soit nommé, selon les circonstances, africain, afghan ou rom – y a répandu de haut en bas la xénophobie comme idéologie d’État, bonne à penser, "gouvernementalement correct". Les élites politiques prennent une responsabilité considérable lorsqu’elles désignent cet étranger-là comme le coupable d’une crise économique, ou une menace pour la nation. Les morts de Lampedusa étaient évitables. Ils sont le produit direct des propagandes gouvernementales européennes contre l’étranger. Avec pour effet d’une part une criminalisation de la migration et des migrants, qui anticipe toute réalité juridique, et d’autre part le recours périlleux aux passeurs et à une économie de la prohibition pour tous ceux pour qui la mobilité continue d’être, quoi qu’on fasse, une solution vitale.

(...)


A lire au complet avec les documents, vidéos, liens sur :

http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2...

BugBrother

La guerre aux migrants a fait 18 000 morts (au moins)

Jean Marc Manach

24 avril 2013

La semaine dernière, Frontex, l’"agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures", annonçait fièrement dans son rapport annuel que "les franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’UE ont été divisés par deux en 2012 grâce aux renforcements des contrôles aux frontières", au déploiement de 1 800 gardes-frontière en Turquie, et à la construction d’une clôture en fil barbelé à la frontière gréco-turque longue de 10,3 km chacune et d’une hauteur de 2,5 à 3 mètres :

Quelque 72 430 franchissements illégaux ont été dénombrés en 2012, ce qui représente une baisse de 49 % par rapport aux 141 060 détectés l’année précédente.

Etrangement, Frontex n’évoque pas, par contre, le nombre de migrants morts aux frontières de l’Europe. En 2011, j’avais contribué à créer une carte interactive répertoriant plus de 14 000 hommes, femmes & enfants "morts aux frontières" de l’Europe, depuis 1993.
Printemps arabe "aidant", l’ONG en charge de cette macabre comptabilité a depuis recensé 4 000 victimes supplémentaires, en seulement 2 ans... Une vingtaine d’ONG ont lancé, il y a de cela un mois, une campagne internationale pour dénoncer cette "guerre" que l’Europe a décidé de lancer contre "un ennemi qu’elle s’invente".
A l’exception d’un article sur Slate.fr, des articles et de l’émission «  De Big Brother à Minority Report  » que le Vinvinteur (l’émission de télévision où j’officie aussi désormais) a consacré à cette guerre qui ne dit pas son nom, aucun média n’en a parlé. Aucun. 18 000 morts en 20 ans, dont 4 000 ces deux dernières années. Aux portes de l’Europe. Dans l’indifférence quasi-générale...

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Vos commentaires

  • Le 4 octobre 2013 à 21:08, par Christiane En réponse à : La guerre aux migrants a fait 18 000 morts (au moins) par Jean Marc Manach

    Il y a un an, la maire de Lampedusa, Giusi Nicolini, écrivait une lettre pour tenter d’alerter les Européens. Rien n’a changé.

    Je suis la nouvelle maire des îles de Lampedusa et Linosa. [...] J’ai déjà reçu 21 cadavres de personnes noyées qui tentaient d’atteindre Lampedusa et pour moi c’est tout simplement insupportable.(...)

    Je ne comprends pas qu’une telle tragédie puisse être considérée comme normale, comme s’il était possible de ne pas être obsédé chaque jour par l’idée, par exemple, que onze personnes dont huit très jeunes femmes et deux garçons de 11 et 13 ans meurent tous ensemble pendant un voyage qui aurait dû être pour eux le début d’une nouvelle vie.

    Le nombre des réfugiés s’élevait à 115 ; 76 n’ont pas été sauvés mais le nombre de morts que restitue la mer est toujours plus élevé.

    Je suis indignée par le sentiment d’habitude qui semble avoir envahi le monde, je suis scandalisée par le silence de l’Europe qui vient de recevoir le prix Nobel de la Paix, et qui est silencieuse face à une tragédie qui fait autant de victimes qu’une guerre.

    Je suis de plus en plus convaincue que la politique d’immigration européenne considère ce bilan de vies humaines comme un moyen de modérer le flux migratoire, quand ce n’est pas un moyen de dissuasion.

    Mais si le voyage en bateau est pour ces personnes la seule façon d’espérer, je crois que leur mort en mer doit être pour l’Europe un sujet de honte et de déshonneur. [...]

    Tout le monde doit savoir que c’est à Lampedusa et ses seuls habitants [...] que revient le devoir de traiter ces personnes avec dignité, et de rendre un peu de dignité à notre pays et à l’Europe entière.

    (...)

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