Une tribune pour les luttes

CQFD n°109 (mars 2013)

Seins ronds, ventre plat

Article mis en ligne le mardi 30 avril 2013

La gestation pour autrui (GPA), ou plus crûment la location d’utérus, redore d’atours modernes les vieilles coutumes de l’exploitation du corps des femmes. Au XIXe siècle, les Auvergnates venant d’accoucher se précipitaient à Paris pour vendre leur lait à la progéniture des bourgeoises du 16e arrondissement. Il y avait des bureaux de placement, on tâtait la marchandise, on vaticinait que le lait auvergnat était de meilleure qualité que le lait breton.

Et alors, me dira-t-on, puisque les Auvergnates étaient libres et qu’elles le faisaient de leur plein gré ? Sans doute auraient-elles été bien chagrines d’être renvoyées dans leurs contrées misérables ! Tout comme, plus près de nous, cet employé de Bricorama venu à la télé taper du poing sur la table : « Je veux travailler le dimanche !  » Il le voulait vraiment, mais on aurait donné à cet homme l’argent du dimanche pendant la semaine, aurait-il persisté dans cet aveu effarant ? C’est aussi l’un des poncifs pour justifier la prostitution : certaines femmes le « veulent  ». Et c’est vrai, on trouvera des femmes qui tapinent sans contrainte. De même, si la GPA est légalisée, il y aura des femmes, en Slovénie, aux USA ou en France, pour louer leur ventre «  librement  ». Mais quel échec de la pensée de s’arrêter là ! Deux siècles après Marx, et tout le travail de la sociologie [1] !

L’individu est une construction sociale, et nos décisions le fruit de nos expériences passées et de nos positions respectives. Si quelqu’un dit «  je veux  », sans mettre en cause sa sincérité, faut-il oublier qu’il y a des circonstances à ce vouloir [2] ? Faut-il s’empêcher de comprendre comment cette volonté est venue à l’ouvrier, la femme, la jeune fille ? Pourquoi ce ne sont jamais les descendantes des bourgeoises du 16e arrondissement qui loueront leur ventre, mais les Auvergnates mondialisées d’aujourd’hui ? Le consentement mutuel intrinsèque à tout contrat n’efface pas les inégalités sociales entre les deux parties.

Remarquons que la GPA pousse cruellement à bout la notion de « prolétaire  » défini par l’étymologie : celui qui n’a pour toute richesse que ses enfants (proles). Transformer des utérus en force de travail est bien l’aboutissement de la misérable pensée économique : mon corps aussi est une marchandise, un capital que je peux faire fructifier. Certaines filles choisissent bien, « librement  », de devenir star du porno… C’est la crise, mon corps est tout ce qui me reste, j’en profite !

Or, si les féministes ont martelé « mon corps m’appartient  » pour avoir le droit d’avorter, elles ne disaient pas : « J’ai un corps et je l’exploite  », mais bien « Je suis un corps, personne ne peut me l’aliéner en imposant de l’extérieur ses usages ou ses fantasmes  » – par exemple en me violant, me forçant à la maternité ou à devenir un objet sexuel.

Soyons plus brutal : dans notre société de classes, il y a des corps qui peuvent acheter et des corps qui ne peuvent que se vendre. Le jour où les dominants se plairont à porter les enfants des autres autant que les dominés, nous changerons peut-être d’avis. Pour l’instant, personne, aucun couple, hétéro ou homo, même riche, amoureux, sympa, n’a le droit d’aliéner le corps d’une femme en lui imposant son «  désir d’enfant  » – notion qu’il faudrait d’ailleurs déconstruire en urgence !

Notes

[1] Sur le mythe de l’individu libre, lire Bernard Lahire, Dans les plis singuliers du social, La découverte, 2013.

[2] Analyser par exemple pourquoi le désir de maternité est plus répandu et « naturel  » chez les Françaises que chez les Allemandes, qui ne bénéficient pas outre-Rhin de crèches, allocations et autres politiques natalistes ?

http://www.cqfd-journal.org/Seins-ronds-ventre-plat

mis en ligne le 30/04/2013 -

Illustration Caroline Sury


Au sommaire du 110 CQFD n°110 (avril 2013)

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