Une tribune pour les luttes

TUNISIE - Weld 15 : Récit d’un procès de la liberté d’expression et qui tourne mal : condamnation, violences et brutalités policières.

+ Répression d’un sit-in des chômeurs à Gafsa.
+ Appel à un rassemblement Pour défendre les libertés et exiger leur garantie dans la nouvelle Constitution
Mardi 25 juin 2013, à 18h30 Fontaine des Innocents Paris

Article mis en ligne le mercredi 19 juin 2013

Les libertés menacées en Tunisie

Alors que le «  débat  » fait rage à l’Assemblée nationale constituante (ANC) et qu’une tendance préfère insister sur les avancées et les progrès en matière de droits de l’homme et de libertés, la réalité sur le terrain nous rappelle qu’il y a loin de la coupe aux lèvres. En effet, en attendant la mise en place de l’organisme supposé garantir l’indépendance de la justice, les tribunaux ne cessent de prononcer des peines totalement disproportionnées au regard des actes commis.

Le 12 juin 2013, les trois Femen européennes ont été condamnées à quatre mois de prison ferme pour "atteinte à la pudeur, aux bonnes mœurs et à l’ordre public". Amina, quant à elle, risque d’être condamnée à six ans de prison pour un tag commis près du cimetière de Kairouan.

Le 13 juin 2013, c’est au tour du rappeur Weld El 15 (Alaa Yaacoub) d’être condamné, par le tribunal de Ben Arous, à deux ans de prison ferme pour une chanson qui s’en prend à la police. Dans la salle d’audience et près du tribunal, la police s’en est brutalement prise à des journalistes dont certains risquent des procès.

En avril 2012, déjà, le tribunal de Mahdia avait condamné deux jeunes, Ghazi Beji et Jabeur Mejri, à sept ans et demi de prison et 1200 dinars d’amende pour "atteinte à la morale, diffamation et trouble à l’ordre public" – en fait, pour avoir publié des écrits et des dessins jugés blasphématoires. Aujourd’hui, Jabeur Mejri croupit en prison alors que Ghazi el Beji, en fuite depuis le 9 mars 2012, a obtenu tout récemment l’asile politique en France.

On peut multiplier les exemples… La sévérité dont ont fait preuve les tribunaux dans ces trois procès cache mal une «  justice » des « deux poids, deux mesures  ». Pour mémoire :

En mai 2013, et après un interminable marathon, le procès, intenté par deux jeunes étudiantes en niqab contre le doyen de la Faculté Manouba, Habib Kazdaghli, pour des faits qui remontent à mars 2012, après une occupation musclée de son bureau, a fini par reconnaître les deux étudiantes coupables et les a condamnées … à deux mois de prison avec sursis, et le Parquet a fait appel contre l’acquittement du doyen Kazdaghli.

Le 28 mai 2013, c’est au tour du tribunal de première instance de Tunis de rendre son verdict dans l’affaire de l’incendie de l’ambassade des Etats-Unis : deux ans de prison avec sursis.

Là encore, on peut multiplier les exemples, comme celui de tel fonctionnaire du ministère des Affaires religieuses qui a publiquement appelé au meurtre d’un ancien premier ministre, récemment acquitté en appel…

Le message est clair : des opinions, exprimées de manière pacifique, sont lourdement condamnées, alors que la violence verbale et physique dont font preuve les groupes extrémistes, les Ligues de protection de la révolution (LPR) et les sympathisants en général du parti au pouvoir a droit à plus de mansuétude et à des circonstances atténuantes auprès de certains tribunaux.

Les Tunisiennes et les Tunisiens attendent beaucoup de l’indépendance de la justice – d’une véritable justice fondée sur le respect du droit et sur l’égalité de traitement entre les citoyennes et les citoyens. Ils attendent notamment que soit, enfin, levé le voile sur les assassins de Chokri Belaïd et leurs commanditaires, et s’étonnent du peu d’empressement dont fait preuve l’instruction dans cette affaire.

Outre cette justice à deux vitesses, les violences exercées par la police à l’encontre de citoyens, de journalistes et des médias ne laissent pas d’inquiéter quant au sort réservé à nos libertés.

Constatant que :

• D’un pouvoir à l’autre, de Ben Ali aux islamistes, malgré la résistance de nombreux magistrats, les mêmes mœurs judiciaires continuent et la Justice semble juste avoir changé d’obédience politique.

• Alors que les Constituants ont consenti à insérer la liberté de conscience dans le projet de Constitution (après un long bras de fer il est vrai), on assiste à la mise en place rampante d’un insupportable ordre moral qui pénalise lourdement l’« insolence » et l’anticonformisme et se montre clément pour les fanatiques et les fauteurs de haine.

• Au-delà, la liberté d’expression des citoyens et des journalistes, si chèrement acquise, est de plus en plus menacée, dans la rue, sur les ondes et, si l’on n’y prend garde, demain dans les textes.

Tout en nous déclarant pleinement conscients de la nécessité de défendre l’Etat de droit et ses institutions, police, gendarmerie, armée, contre la violence et surtout contre le terrorisme, nous voulons des institutions républicaines au service de toutes et tous, inséparables de l’exercice des libertés fondamentales, comme la liberté d’expression et la liberté de conscience – dont la garantie absolue doit être inscrite dans les textes et dans la pratique.

Nous exigeons :

• La libération des personnes condamnées et détenues dans le cadre de ces affaires : Amina et les 3 Femen, le rappeur Waled 15 (Alaa Yaacoub), Jabeur Mejri… ;

• La révision du procès de Ghazi Beji et Jabeur Mejri ;


• L’arrêt de toutes les poursuites contre les journalistes (Hind Meddeb, …) ;

• Une indépendance véritable de la justice dans l’immédiat en attendant sa consécration dans le texte constitutionnel ;

• La dissolution des LPR et de tous les groupes qui prêchent la violence.

Nous appelons l’ensemble des forces démocratiques à la plus grande vigilance face au glissement dangereux contre les libertés individuelles, contre la liberté de conscience et la liberté d’expression sous toutes ses formes en Tunisie.

Premiers signataires :

Organisations :

ATF
AVJFH
CRLDHT
FTCR
MCTF
ACDA
L’ACORT
Manifeste des Libertés


Avec photos et vidéo
http://nawaat.org/portail/2013/06/13/weld-15-recit-dun-proces-qui-tourne-mal/

Weld 15 : Récit d’un procès qui tourne mal

Deux ans de prison de ferme pour sa chanson «  Boulicia Kleb », ( les policiers sont des chiens), le rappeur Weld 15 est désormais en prison. La sévérité de sa peine a suscité une indignation parmi ses soutiens et des violences policières devant le tribunal ont clôturé la fin du procès.

Vers 10h30, Weld 15 a le sourire aux lèvres dans le café Chichkhan juste à côté du tribunal. Le jeune Alaa Eddine Yacoubi est depuis presque trois mois en cavale pour sa chanson et son clip Boulicia Kleb”. Aujourd’hui, entouré de ses amis rappeurs Emino, Madou MC, Klay BBJ, Lil’ K et de son comité de soutien, il se rend librement à la justice. Sabrine Klibi, la figurante arrêtée quelques mois plus tôt et les autres rappeurs crédités à la fin du clip, qui avaient bénéficié d’un non-lieu, sont tous là pour soutenir leur ami. Le sourire tantôt spontané, tantôt un peu forcé, Weld 15, rasé de près et chemise marron bien repassée, semble aussi un peu angoissé :
« J’ai voulu me rendre librement à la justice. On a travaillé en équipe avec mes avocats et mon comité de soutien car les chefs d’inculpation ne sont pas réellement fondés et je pense que j’ai une chance de m’en sortir. »

Mais sous son assurance, il confie à demi-mot qu’il n’a «  toujours pas confiance en la justice ». Il avait prononcé exactement la même phrase au téléphone quelques mois plus tôt alors que ses camarades passaient devant le tribunal. Les chefs d’inculpation ne sont pas rassurants. Les articles, 120, 121 : complot formé pour violences sur un fonctionnaire et appel à la rébellion, 125 et 128 : outrage à un fonctionnaire, 226 ainsi que 226 bis : outrage public à la pudeur ; sont retenus contre lui. Selon le rappeur, son procès est un « test  » pour la loi tunisienne mais aussi pour la liberté d’expression. A ses côtés, le journaliste Thameur Mekki qui préside son comité de soutien n’est pas non plus rassuré :
« Nous voulions qu’il se présente à la justice et qu’il assume ce qu’il a fait afin de trouver une issue légale à tout ça. Il y a eu plusieurs vices de procédures dans le dossier qui peuvent laisser espérer une sortie à l’amiable. Mais pour ce qui est de la liberté d’expression, les différentes affaires depuis quelques mois donnent plutôt un message inquiétant. Il y a un climat de répression. Aujourd’hui, la justice a l’occasion de donner un signal fort avec ce procès en évitant de tomber dans le même piège que pour les autres affaires. On verra bien. »

Plus loin, à l’écart du brouhaha du café, se tient dans sa robe noire, Maître Ghazi Mrabet, l’avocat de Weld15. Immobile, il fume calmement sa cigarette mais a le regard soucieux : «  Ils ont changé le juge qui devait s’occuper de l’affaire lundi. Soit-disant, il devait partir en congé. On se retrouve avec un nouveau juge que l’on ne connaît pas, ça ne présage rien de bon .” déclare-t-il. L’avocat reste pourtant sûr de sa défense. « Les chefs d’inculpation ne tiennent pas la route. L’article sur la base duquel mon client est jugé à propos de l’outrage à un fonctionnaire n’est pas forcément plausible dans son cas puisqu’ il a tenu ses propos via une vidéo artistique et non pas face à un policier, en l’insultant directement. »

Mais il reste prudent, pour lui, tous les scénarios sont possibles et il attend depuis 9 heures du matin d’entrer dans la salle d’audience afin de plaider la cause du rappeur. Ce n’est que vers 13h00, que le rappeur, sa sœur, sa petite amie, quelques artistes et des journalistes accèdent enfin à la salle d’audience du tribunal de Ben Arous. Weld 15 est assis sur les bancs de l’audience. Caché derrière ses avocats, il attend son tour alors que le juge Laarbi Khemiri traite d’autres affaires.

Quand son nom est appelé, Weld 15 part se tenir debout face au juge, donne sa version des faits, puis ses avocats prennent la parole. La défense se basera surtout sur la question de la liberté d’expression. Maître Ghazi Mrabet fait allusion aux autres rappeurs de la révolution qui avaient été arrêtés pour leurs propos sous Ben Ali, comme le célèbre El général. Il demande au juge s’il connaît ce rappeur, ce dernier acquiesce, soulagement de l’avocat, sourires dans l’audience. Et pourtant, le procès est loin d’être fini. Les autres avocats plaident en faisant valoir que le rappeur n’a pas voulu viser certains policiers en particulier mais une institution policière en général qui opère les mêmes pratiques que sous Ben Ali. Or, argumentent-t-ils, il n’y a pas d’article dans le code pénal qui condamnerait «  l’atteinte morale à l’institution policière  » contrairement au code de justice militaire, donc, selon les avocats, la plainte n’a pas lieu d’être. Un autre tente de mettre en valeur le rôle contestataire des rappeurs dans la révolution. Il montre le fait que ce genre de vidéos, postées sur des sites de partage, soient leur seule ressource pour se faire connaître en tant qu’artistes ne pouvant pas produire de disques ni être diffusés sur les radios à grande écoute.

Dans la salle, la tension est palpable surtout que les policiers entrent un par un discrètement et se font de plus en plus nombreux. Alors que le procès semble toucher à sa fin, le juge demande au jeune rappeur s’il a une carte professionnelle, lui reconnaissant son statut d’artiste. Son avocat répond directement que ce n’est pas le cas, ce genre de carte étant fournie par le Ministère de la Culture. Le rap n’est pas reconnu en Tunisie comme faisant partie de la culture institutionnelle, les rappeurs ne bénéficient donc pas de cartes ni de subventions de l’Etat. Après une délibération d’une dizaine de minutes, le juge se lève et son verdict tombe comme un couperet : «  Deux ans de prison ferme  ». Le rappeur a bénéficié d’un non lieu pour les articles 120 et 121 mais il est condamné sur la base des quatre autres. Les policiers se précipitent sur Weld 15 qui disparaît pour être incarcéré aussitôt.

Dans la salle, c’est la stupeur et l’indignation. La sœur de Weld 15 s’effondre tandis que la journaliste Hind Meddeb, fille du célèbre islamologue Abdel Waheb Meddeb, commence à crier sur les policiers. On nous presse vers la sortie, on nous pousse. La jeune journaliste finit par lancer en arabe d’une voix hystérique « Les policiers sont bien tous des chiens  » et là, c’est la ruée. Les policiers nous empoignent et nous poussent violemment vers la sortie, n’hésitant pas à taper bien fort s’il le faut. A l’entrée du tribunal, la confusion règne et les soutiens de Weld 15 commencent à se révolter. En tentant de sortir à l’extérieur, la fumée d’un gaz nous surprend et tandis que dehors, certains toussent et vomissent, nous attendons à l’intérieur que le calme se rétablisse.

Cet épisode de violences n’est pourtant pas terminé. Dehors, le comité de soutien ne se résout pas au verdict. Les avocats crient à une décision «  illégale  » tandis que Thameur Mekki se révolte contre une justice sans mercis qui rappelle durement les années de la dictature. En haut des marches, les policiers les interpellent et veulent les inciter à partir. Quand tout à coup, ils commencent à courser certains rappeurs et journalistes en dehors du tribunal. L’un de nos collègues à Nawaat, Emine Mtraoui se fait tabasser alors que l’on tente de lui enlever sa caméra. (voir vidéo de Nawaat) tandis que deux membres du comité de soutien se font arrêter. L’un d’eux est ramené brutalement vers le tribunal, les policiers n’hésitent pas à le brutaliser, aux yeux de tous.

Le procès Weld 15 se termine ainsi. Ses avocats ont l’intention de faire appel dès le lendemain même s’ils ne croient plus trop en ce qu’il venait défendre : la liberté d’expression. «  Boulicia Kleb  » entend-t-on dans la bouche de quelques rappeurs encore sur place qui viennent d’avoir selon eux, la confirmation en direct de ce que dénonçait Weld 15 dans sa chanson.


Métlaoui : des affrontements éclatent entre forces de l’ordre et chômeurs

Des affrontements ont éclaté entre les forces de l’ordre et des chômeurs manifestant aujourd’hui à Métlaoui dans le gouvernorat de Gafsa, rapporte la radio Mosaique FM.

Ces affrontements auraient éclaté après une tentative de la part des manifestants, participant à une marche pacifique organisée ce matin, de bloquer le départ d’un train transportant du phosphate.

Les protestataires, dont des diplômés de l’université, réclamaient des emplois et leur intégration dans la Compagnie des phosphates de Gafsa, principal employeur dans la région riche en phosphates. Selon l’agence tunisienne TAP, les sit-in organisés depuis le 31 mai par des diplômés chômeurs ont provoqué l’arrêt total des activités de la compagnie, les manifestants empêchant le transport des mineurs vers les sites d’extraction et de production.

Des protestations ont eu lieu également ces derniers jours dans les localités d’Om Laârayes et Redeyef, théâtre en 2008 déjà d’une révolte écrasée par l’armée sous le régime du président déchu Zine el Abidine Ben Ali. Les manifestations, grèves et les occupations de locaux à répétition ont ravagé le secteur, alors que les protestataires réclament la création de milliers d’emplois au sein de la Compagnie.

La production de phosphates contribuait pour 10% au budget de l’État et malgré la chute considérable des revenus, la CPG et le Groupe Chimique ont créé près de 4.500 emplois depuis la révolution.

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