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La "double peine" des sans-papiers victimes d’accidents du travail

Article mis en ligne le samedi 15 juin 2013

Simon Leplâtre | 21.05.13 |

Souvent aux postes les plus dangereux, les travailleurs en situation irrégulière sont davantage exposés aux risques professionnels, et ne bénéficient d’aucune protection sociale.

Idrissa boite encore. Pourtant, trois ans ont passé depuis son accident. Sur un chantier de désamiantage, un portail lui est tombé sur le pied. Le jeune homme de 27 ans a dû être hospitalisé. Le problème, c’est qu’il n’avait pas de papiers. En sortant de l’hôpital, il a payé la facture de sa poche. De même quand il s’est rendu à la pharmacie et quand il est allé voir son médecin.

Idrissa (les prénoms ont été modifiés) gagne plus de 600 euros, la limite pour bénéficier de l’aide médicale d’Etat (AME). Alors il a repris le travail seulement un mois et demi après l’accident, au lieu des six mois de convalescence prescrits par l’hôpital. Chaque jour sans travail était un jour sans salaire. "J’avais mal, mais je n’avais pas le choix", raconte Idrissa, résigné. Son patron accueille à bras ouverts cet ouvrier modèle.

Selon une étude de Médecins du monde, réalisée en 2009 dans douze pays d’Europe, 8 % des sans-papiers affirment avoir été victimes d’un accident du travail dans leur pays d’accueil. Les sans-papiers sont bien plus exposés aux accidents que les travailleurs réguliers. Sur les chantiers du BTP, dans les cuisines des restaurants, ils travaillent souvent aux postes les plus dangereux, sans bénéficier d’aucune protection sociale. Comme Idrissa, par ignorance ou sous la menace de leur employeur, la plupart se soignent en silence.

PEUR DE PERDRE SON TRAVAIL

Fadima, elle, connaissait bien la loi quand elle a eu son accident. En arrivant en France, cette jeune Malienne était titulaire d’une maîtrise de droit de l’université de Bamako. Femme de chambre dans des hôtels, elle souffre du syndrome du canal carpien et d’allergie à des produits de nettoyage. Elle fait plusieurs malaises qui nécessitent une hospitalisation. Tant qu’elle n’a pas de papiers, Fadima ne déclare rien, de peur de perdre son travail. Peu après sa régularisation, la médecine du travail la déclare inapte et conseille qu’elle occupe des postes moins exposés dans l’hôtellerie. Son patron la congédie aussitôt. Depuis, elle conteste son licenciement, qui ne tient aucun compte de ses accidents.

"Souvent, quand l’employeur refuse de déclarer un accident, les employés se disent qu’il n’y a pas de possibilité de déclaration", constate Stéphanie Segues, juriste du Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l’égalité des droits (Catred). Selon cette association, les demandes ont explosé depuis 2010.

La loi sur les accidents du travail s’applique théoriquement aux étrangers quelle que soit leur situation. Mais pour les sans-papiers, sans accompagnement, la démarche est extrêmement difficile. C’est parfois une véritable enquête qu’il faut entreprendre. Marie-Ange d’Adler, bénévole à l’Espace santé droit d’Aubervilliers, a ainsi aidé un jeune immigré à faire valoir ses droits. En mai 2009, elle voit arriver un jeune homme "courbé, le visage déformé par la souffrance, qui trébuchait dans l’escalier". Un mois plus tôt, Mamadou a reçu sur le casque une poutrelle métallique tombée de cinq étages plus haut. Le jeune homme, perdu, souffre de vertiges et de maux de tête.

Des collègues de Mamadou lui donnent l’identité du patron, mais refusent de témoigner, car eux non plus n’ont pas de papiers. Par chance, au moment de l’accident, le patron a bien voulu appeler les pompiers, sous la pression des autres ouvriers.

ATTENTE INTERMINABLE

La main courante de l’intervention des pompiers peut servir de preuve, mais Mamadou est entré à l’hôpital sous un faux nom. Il a ensuite été transféré dans deux autres hôpitaux, sous son vrai nom cette fois. Il faut, pour prouver le parcours du jeune homme, rétablir son identité. Un médecin accepte finalement de recevoir Mamadou, et de le reconnaître comme le patient qu’il a soigné quelques mois plus tôt.

Seconde étape, établir la relation de travail entre Mamadou et son employeur. Par chance, celui-ci payait Mamadou par chèque. Quelques mois plus tard, le dossier, un temps égaré par la CPAM, avance enfin. Une inspectrice parvient à faire reconnaître l’accident au patron. Les indemnités journalières dues depuis onze mois sont versées. Il faudra encore une année pour qu’une incapacité permanente de 20 % lui soit reconnue. Elle entraîne le versement d’une rente de 140 euros par mois, et lui permet d’obtenir un titre de séjour.

Tous les dossiers ne connaissent pas le même succès. Certains sont d’abord refusés, parce que la personne est sans-papiers.

(...)
http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/05/21/la-double-peine-des-sans-papiers-victimes-d-accidents-du-travail_3412578_3224.html#xtor=AL-32280270

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