Une tribune pour les luttes

L’aéroport neuf de l’empereur

Article mis en ligne le mercredi 19 juin 2013

Un petit clin d’œil malicieux et territorialisé du merveilleux texte d’Andersen. Nous savons que dans la réalité, "escrocs" et "empereur" travaillent main dans la main... mais cette adaptation nous fait beaucoup rire !

Pour retrouver le texte original : http://feeclochette.chez.com/Andersen/habitsneufs.htm

Il y a de longues années, vivait l’empereur Ayrault qui aimait plus que tout les aéroports, qu’il dépensait tout son argent pour en être bien doté. Il ne se souciait pas de ses soldats, ni du théâtre, ni de ses promenades dans les bois, si ce n’était pour faire montre de ses beaux appareils. Il y avait un aéroport dans chaque ville de Bretagne, et tandis qu’on dit habituellement d’un roi qu’il est au conseil, on disait toujours de lui : «  L’empereur est dans la tour de contrôle ! ».

Dans la grande ville nantaise où il habitait, la vie était gaie et chaque jour beaucoup d’étrangers arrivaient. Un jour, arrivèrent deux escrocs qui affirmèrent être des porteurs de projet et être capables de pouvoir réaliser le plus bel aéroport que l’on pût imaginer. Non seulement les normes environnementales et les emplois seraient exceptionnellement beaux, mais les intérêts qui en découleraient posséderaient l’étonnante propriété d’être invisibles aux yeux de ceux qui ne convenaient pas à leurs fonctions, ou qui étaient simplement idiots.

«  Ce serait un aéroport précieux  », se dit l’empereur. « Si j’en avais un pareil, je pourrais découvrir qui, de mes sujets, ne sied pas à ses fonctions et départager les intelligents des imbéciles ! Je dois sur le champ me faire construire cet équipement !  ». Il donna aux deux escrocs une avance de 55 ans sur leur travail, et ceux-ci se mirent à l’ouvrage.

Ils installèrent deux bureaux d’études et firent semblant de travailler au bien commun, mais il n’y avait absolument aucun intérêt au projet. Ils demandèrent la publicité la plus fine et l’or le plus précieux qu’ils prirent pour eux, et travaillèrent sur leur projet abscons jusqu’à bien tard dans la nuit.

« Je voudrais bien savoir où ils en sont avec cet aéroport !  », se dit l’empereur. Mais il se sentait mal à l’aise à l’idée qu’il soit inutile aux yeux de ceux qui sont sots, ou mal dans leur fonction. Il se dit qu’il n’avait rien à craindre pour lui-même, mais préféra dépêcher quelqu’un d’autre pour voir comment cela se passait. Chacun dans la ville connaissait les qualités exceptionnelles de l’équipement et tous étaient avides de savoir combien leur voisin était inapte ou idiot.

«  Je vais envoyer mon vieux et honnête ministre Auxiette auprès des porteurs de projet  », se dit l’empereur. « Il est le mieux à même de juger de l’allure de l’aéroport ; il est d’une grande intelligence et personne ne fait mieux son travail que lui ! ».

Le vieux et bon président du conseil alla donc dans le bureau où les deux escrocs étaient assis, travaillant sur leur projet inutile. « Que Dieu nous garde ! », pensa le président du conseil régional en écarquillant les yeux. « Je n’y voit aucun intérêt !  ». Mais il se garda bien de le dire.
Les deux escrocs de Vinci l’invitèrent à s’approcher et lui demandèrent si ce n’étaient pas là en effet un joli aéroport et de magnifiques normes environnementales. Puis, ils lui montrèrent un projet sans intérêt. Le pauvre vieux président du conseil écarquilla encore plus les yeux, mais il n’y vit aucun intérêt, puisqu’il n’y en avait pas. «  Mon Dieu, pensa-t-il, serais-je sot ? Je ne l’aurais jamais cru et personne ne devrait le savoir ! Serais-je inapte à mon travail ? Non, il ne faut pas que je raconte que je ne peux pas voir l’intérêt d’un tel équipement ».
- « Eh bien, qu’en dites-vous ?  » demanda l’un des experts.
- « Oh, c’est ravissant, tout ce qu’il y a de plus utile !  », répondit le vieux président du conseil, en regardant au travers de ses lunettes. Tous ces arbres, tous ces emplois ! Je ne manquerai pas de dire à l’empereur que tout cela me plaît beaucoup ! ».
- «  Nous nous en réjouissons !  » dirent les employés de Vinci. Puis, ils égrainèrent les normes HQE et discutèrent croissance. Le vieux président du conseil écouta attentivement afin de pouvoir lui-même en parler lorsqu’il serait de retour auprès de l’empereur Ayrault ; et c’est ce qu’il fit.

Les deux escrocs exigèrent encore plus d’argent, plus de publicité et plus d’or pour leur ouvrage. Ils mettaient tout dans leurs poches et rien sur les emplois ; mais ils continuèrent, comme ils l’avaient fait jusqu’ici, à faire semblant de travailler au bien de tous.

L’empereur envoya bientôt l’honnête fonctionnaire Grosvalet pour voir où en était le travail, et quand le projet d’aéroport serait bientôt prêt. Il arriva à cet homme ce qui était arrivé au président du conseil régional : il regarda et regarda encore, mais comme il n’y avait aucun intérêt à ce projet, il ne put en découvrir aucun.
«  N’est-ce pas là un magnifique aéroport ? » lui demandèrent les deux escrocs de Vinci, en lui montrant et lui expliquant les splendides normes environnementales qui n’existaient tout simplement pas.
«  Je ne suis pas sot, se dit le fonctionnaire ; ce serait donc que je ne conviens pas à mes fonctions ? Ce serait plutôt étrange, mais je ne dois pas le laisser paraître !  ». Et il fit l’éloge de l’aéroport, qui ne présentait aucun intérêt, puis il exprima la joie que lui procuraient les normes HQE et la merveilleuse croissance. «  Oui, c’est tout-à-fait merveilleux !  », dit-il à l’empereur Ayrault.

Dans la ville, tout le monde parlait du magnifique projet d’aéroport, et l’empereur voulu le voir de ses propres yeux, tandis qu’il se trouvait encore dans le bureau d’étude. Accompagné de toute une foule de dignitaires, dont le président du conseil Auxiette et le fonctionnaire Grosvalet, il alla chez les escrocs de Vinci, lesquels s’affairaient à planifier un projet sans le moindre intérêt.
«  N’est-ce pas magnifique ?  » dirent les deux fonctionnaires qui étaient déjà venus. «  Que Votre Majesté admire les normes environnementales et les emplois ! ». Puis, ils montrèrent du doigt un projet sans intérêt, s’imaginant que les autres pouvaient en trouver un.
«  Comment ! pensa l’Empereur, mais je n’y vois aucun intérêt ! C’est affreux ! Serais-je sot ? Ne serais-je pas fait pour être empereur ? Ce serait bien la chose la plus terrible qui puisse jamais m’arriver ».
«  Magnifique, ravissant, parfait, dit-il finalement, je donne ma plus haute approbation ! ». Il hocha la tête, en signe de satisfaction, et contempla le projet sans intérêt ; mais il se garda bien de dire qu’il n’en trouvait aucun. Tous les membres du PS et de l’UMP qui l’avaient accompagné regardèrent et regardèrent encore ; mais comme pour tous les autres, rien ne leur apparût et tous dirent comme Ayrault : « C’est véritablement très intéressant !  ». Puis ils conseillèrent à l’Empereur Ayrault de porter ce magnifique projet en tant que premier ministre.

Croissance était le mot que l’on entendait sur toutes les lèvres, et tous semblaient se réjouir. L’empereur décora chacun des escrocs de Vinci d’une croix du Mérite Commercial et Industriel qu’ils mirent à leur boutonnière, et il leur donna le titre d’Officier.

La nuit qui précéda la publication du projet, les experts restèrent à travailler avec seize ordinateurs. Tous les gens pouvaient se rendre compte du mal qu’ils se donnaient pour réaliser les plans de l’aéroport.
Les membres du bureau d’étude firent semblant de fermer l’ancien aéroport, argumentèrent avec force powerpoint, inventèrent des prévisions de trafic farfelues et dirent finalement : «  Voyez, le nouveau projet d’aéroport est prêt  ! ».
« Voyez, Majesté, voici la tour de contrôle, voilà les taxes, voilà les emplois !  », et ainsi de suite. C’est aussi léger qu’une Amap ; on croirait presque que ça n’a aucun intérêt, mais c’est là toute la beauté de la chose ! ».
«  Oui, oui !  » dirent tous les courtisans, mais ils ne pouvaient y trouver aucun intérêt, puisqu’il n’y en avait pas.
«  Votre Majesté Impériale Ayrault veut-elle avoir l’insigne bonté d’annoncer la fermeture de son ancien aéroport, afin que nous puissions lui construire le nouveau, là, devant le grands peuple !  ».
L’empereur annonça la fermeture de son ancien aéroport et les escrocs firent comme si chaque aspect du nouvel aéroport était profitable à l’ensemble du corps social.
- «  Dieu ! comme cela va bien à votre stature d’homme d’État. Que d’emplois, que de normes HQE ! » s’exclamaient les courtisans.
- «  Ceux qui représentent les forces vives de la nation avec Votre Majesté pour la publication du projet sont arrivés  », dit le maître de cérémonie.
- «  Je suis prêt  », dit l’empereur. « Ce projet n’est-il pas admirable ?  ».

Les chambellans de la CCI qui devaient porter le projet d’aéroport tâtonnaient, réfléchissaient, faisant semblant de comprendre et de soutenir cette construction. Ils allèrent et firent comme s’ils travaillaient au bien de tous ; ils ne voulaient pas risquer que l’on remarquât qu’ils n’y trouvaient aucun intérêt.

C’est ainsi que l’Empereur Ayrault révéla ce nouveau projet d’aéroport marqué du sceau de la croissance, et tous ceux qui se trouvaient devant leur télé ou leur journal disaient : «  Le projet de nouvel aéroport est admirable ! Que d’emplois vont être créés, que de touristes vont débarqués ! ».
Personne ne voulait laisser paraître qu’il n’y trouvait aucun intérêt, puisque cela aurait montré qu’il était incapable dans sa fonction, ou simplement un sot. Aucun projet d’aéroport n’avait connu un tel succès.

- « Mais il n’a aucun intérêt ce projet !  », cria un petit enfant dans la foule. « Entendez la voix de l’innocence !  » dit le père ; et chacun murmura à son voisin ce que l’enfant avait dit.
Puis la foule entière se mit à crier : «  Cet aéroport n’a aucun intérêt !  ». L’empereur frissonna, car il lui semblait bien que le peuple avait raison, mais il se dit : « Maintenant, je dois tenir bon jusqu’à la fin de mon ministère. Faites envoyer les soldats sur ces gueux !  ». Et les partisans de la croissance continuèrent de soutenir le projet d’aéroport, avec d’autant plus de courage qu’ils ne tenaient pas compte ni de la crise économique, ni de la crise écologique, et encore moins des gens qui les avaient élu.

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