Une tribune pour les luttes

Pour un réseau communiste antigestionnaire

Article mis en ligne le mardi 26 novembre 2013

Le collectif tantquil, son site Internet et sa revue, a déjà deux ans. Ces deux années à développer des analyses abordables, à réunir des personnes issues notamment de divers courants communistes et/ou libertaires, autour de discussions et de débats publics nous poussent aujourd’hui à franchir un pas. Parce que nous sommes face aux mêmes limites et aux mêmes nécessités (la difficulté de lutter. La nécessité de parler de tactique. La nécessité d’exister, d’avoir une expression publique). Nous proposons de constituer un réseau.

Nous n’entendons pas mettre en avant des pratiques particulières, des formes de luttes spécifiques, il s’agit de mettre nos forces en commun : mettre en commun de la thune, partager nos analyses et informations, parler de nos tactiques locales, le tout à une échelle plus large que ce qui existe actuellement, mais aussi dans des cadres formels.

Bien sûr, il existe déjà des formes de réseaux, souvent basés sur des logiques de milieux, c’est-à-dire informelles et affinitaires. Mais cela ne nous satisfait pas. En effet, cela favorise des mécanismes de cooptation, enferme dans un entre-soi confortable, limite fortement les possibilités d’ouvertures… Bref, participe souvent à exclure les personnes qui ne correspondent pas à un certain modèle militant ce qui est mine de rien, une contradiction importante par rapport à nos positions !

Bon, on ne dit pas que l’on va régler toutes ces questions juste en montant un réseau, mais cette formalisation permet de poser ces questions et de tenter d’y répondre ensemble et en actes.

Si nous voulons former ce réseau, c’est aussi pour donner à nos positions les moyens d’avoir une existence publique à une échelle plus large.

Il ne s’agit pas dans ce texte de détailler la forme de ce réseau, car ce n’est pas à nous de la fixer : elle sera à déterminer collectivement. Mais plutôt d’expliciter ce que nous entendons par « communisme antigestionnaire » afin de proposer une base commune.

6 ans déjà que le monde est en crise, et aucune perspective de relance de l’économie ne se dessine, si l’on excepte les gesticulations régulières de la presse bourgeoise : autant le dire, ce n’est pas près de s’arrêter.

De la Chine aux USA, en passant par le Moyen-Orient, tous les continents sont secoués par cette crise. L’Europe est aux premières loges. Le nombre de pays au bord de la faillite augmente année après année, dans une valse sans fin de plans d’ajustements structurels toujours plus brutaux.

Dans ce jeu de domino, certains peuvent, en tombant, faire basculer l’ensemble. Aujourd’hui, c’est le cas de la France qui possède plusieurs banques parmi les plus grosses du monde, un des principaux marchés et la deuxième économie de la zone euro… Et déjà 5 millions de chômeurs.

Nous ne sommes pas en mesure de prévoir les prochains épisodes de la crise, de l’austérité et de ses conséquences. Mais on peut affirmer avec certitude que notre situation sous le capitalisme ne peut aller qu’en empirant. Nous pouvons quand même anticiper ce qui va nous tomber dessus : aggravation de la crise du logement, augmentation du chômage, baisse des salaires directs et indirects (chute des allocations, réforme des retraites), dégradation des conditions de travail… Le tout entraînant la détérioration spécifique de la situation des femmes prolétaires, parce qu’elles sont majoritairement concernées par le travail précaire et parce qu’une telle dégradation signifie une augmentation écrasante du travail domestique. Il suffit de voir du côté de l’Espagne, de la Grèce, de l’Italie pour observer tout cela ; et il serait bien illusoire de penser que cette vaste dégradation des conditions de vies des prolétaires peut, comme le nuage de Tchernobyl être arrêtée par les frontières françaises.

En somme, il n’y a pas assez richesses pour tout le monde. Pour que la masse de capital continue à valoir quelque chose, à être rentable, il faut qu’elle rapporte toujours plus. Cela signifie qu’il faut en permanence que les capitalistes augmentent leurs profits.

Augmenter ses profits, cela peut vouloir dire pour une entreprise particulière, innover, trouver de nouvelles techniques de production, etc. Mais pour l’ensemble de l’économie, cela signifie surtout baisser les salaires, appauvrir les prolétaires. Ce n’est pas un secret, c’est ce que dans un mouvement collectif, patrons, États et Cie appellent « la compétitivité ».

Si nous avons du mal à boucler les fins de mois, les États ont quant à eux du mal à boucler leurs budgets. Une même logique est à l’œuvre, il s’agit dans tous les cas d’augmenter la part de richesse créée qui va au capital.

Mais cela n’est pas sans poser problème : pour les États, comme pour les prolétaires, les budgets sont dans le rouge. Certes, il semble toujours possible de s’endetter pour faire face aux dépenses courantes. Et cela fait des années que c’est le cas, et que l’endettement privé et public explose.

Lorsque des prolétaires sont en faillite, on saisit leurs biens. On les expulse de leurs maisons. Ensuite, on revend ces biens, et les banques se remboursent. Lorsque des millions de prolétaires sont en faillite, on saisit aussi leurs biens. On les expulse aussi de leurs maisons. Mais il n’y a personne pour les racheter, et les banques qui leur ont prêté de l’argent risquent à leur tour de tomber. C’est ce qui s’est passé en 2008, et à l’époque les États ont sauvé le système bancaire mondial. Aujourd’hui, ce sont les États qui menacent d’être en faillite. Et derrière, il n’y a plus rien pour garantir le système bancaire, pour garantir la valeur de l’argent.

Alors les capitalistes montrent les dents, et vont chercher l’argent où il se trouve, à la source de toute la richesse créée : Nous. Il s’agit d’écraser le prolétariat sous le travail, tout en le payant le moins possible. De supprimer toutes les conventions collectives. De licencier tout le monde, puis de réembaucher au compte-goutte, à leurs conditions. De faire travailler gratuitement les chômeurs et les chômeuses

Pour nous, les prolétaires, cela se résume en un mot : pénurie. Pénurie de logements, alors même que des millions de maisons sont vides. Pénurie de bouffe dans nos placards, alors même que des millions de tonnes sont produites et jetées. Pénurie de pognon sur nos comptes en banques, alors même que la quantité de monnaie en circulation augmente énormément.

Mais cela ne suffit toujours pas, la récession entraînant la baisse des recettes de l’état, et donc plus de déficits, entraînant plus d’attaques…

Jusqu’au moment où la monnaie même risque de tomber en crise, et où il n’y a qu’une alternative : défendre ce système et le gérer ou bien le détruire. C’est là que la situation peut basculer, soit vers notre écrasement et une réorganisation du capitalisme ; soit vers la révolution communiste. Autrement dit : Continuité de l’exploitation, ou rupture.

Mais il ne s’agit pas ici de désigner une utopie lointaine : nous sommes pour le communisme, c’est-à-dire pour un mouvement révolutionnaire qui abolit les classes, les genres, l’État, la valeur, la propriété… La liste est longue de toutes les merdes qui forment le capitalisme et qu’il faudra supprimer.

Et nous pensons que la dynamique de cette suppression, c’est l’abolition des classes et des genres. Ces deux mouvements nécessitent de fonctionner parfois de manière séparée parce que le rapport homme/femme est conflictuel. Par l’expression « ces deux mouvements », nous entendons la lutte des prolétaires pour l’abolition des classes et, au sein du prolétariat, la lutte pour l’abolition des genres qui implique l’auto organisation des femmes entre elles. Mais nous pensons que ces deux mouvements ne seront qu’un moment de la suppression générale du capital, ce qui est l’affaire de tous et toutes.

Face à nous, il y a le capital et les impératifs de sa gestion. Il s’agit de gérer le business, c’est-à-dire la misère pour presque tout le monde. Tous les discours gestionnaires, qu’ils entendent moraliser, réformer le capitalisme, ou même qui prétendent l’abattre, reposent sur le même principe : le maintien, aménagé de manière différente, des classes sociales et des genres.

Ces discours gestionnaires se développent à des échelles différentes :

- La gestion des affaires courantes : la « bonne gouvernance ». Les coalitions roses, vertes, bleues, oranges, au pouvoir en Europe et ailleurs.

- La gestion alternative : les différents « populismes », les keynésianismes, les souverainismes… Le retour à la drachme ou à la lire italienne. Le SMIC a 1500 euros ou a 10 000 francs ou encore les discours opposant le « banquier immoral et apatride » à « l’honnête patron du coin »…

- La gestion alternativiste : le mutuellisme, les monnaies alternatives, l’autogestion de la misère.

Il ne s’agit pas ici de critiquer les tactiques de survie qui consistent à se partager les miettes. Il s’agit de dire que cela ne constitue en rien une stratégie de sortie du capitalisme. Au contraire, elle ne peut fonctionner que dans le cadre de celui-ci.

On retrouvait, par exemple, ces trois niveaux de gestion en Argentine il y a dix ans. Les entreprises autogérées ont pu participer à la relance de l’économie. Les monnaies alternatives ont été finalement acceptées par l’État (notamment pour lever les impôts), lui même entre les mains de keynésiens (péronistes) qui ont fini par rembourser le FMI. Chacun trouve sa place à son échelle, les différents niveaux de gestion s’articulent pour remettre le capitalisme en route depuis la petite collectivité, jusqu’à l’échelle supra-nationale des institutions monétaires.

Il s’agit dans tous les cas de gérer la pénurie. Pour cela, il faut que les prolétaires hommes et femmes retournent au boulot quitte à bosser gratos par moment. Et parmi eux, que les femmes assument en plus, la charge de la reproduction au sein du foyer. Cette charge est alourdie en temps de crise. Être obligé de faire 10 km de plus pour faire ses courses et payer 20c de moins par produit est un des exemples quotidiens de cette intensification de la journée de travail des femmes.

Si le capital a gagné en Argentine grâce à la bonne gestion et au partage dit « équitable » cela ne veut pas dire qu’il gagnera toujours. Il gagnera tant que les règles du jeu seront les siennes, celles de l’exploitation, de la gouvernance de la pénurie et de la crise.

Ce que nous voulons dire, c’est que ça ne peut pas bien se passer : Gérer la crise sera toujours aménager la défaite et qui dit défaite, dit un bon paquet de personnes sur le carreau. Nous sommes trop nombreux pour les miettes toujours plus petites que l’on peut récupérer. Alors autant jouer la gagne.

Voilà pourquoi nous nous définissons comme communistes anti-gestionnaires.

Ce positionnement est issu d’une adhésion, c’est-à-dire qu’il entre en jeu autre chose que le calcul froid de nos intérêts individuels : face à la débrouille individuelle ou collective, nous voulons nous en sortir ensemble, et par ensemble, on entend tout le monde.

Enfin, nous pensons que c’est dans la perspective d’un mouvement social de lutte contre l’austérité, que les nécessités évoquées plus haut se feront sentir face aux différents discours et pratiques gestionnaires auxquels nous serons confrontés et qu’il faudra combattre.

Nous ne développerons pas plus ici. Il reste beaucoup à dire, à écrire, à discuter. Si vous vous retrouvez sur les bases que nous décrivons, nous vous invitons à diffuser ce texte.

www.reseauantigestion.org

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