Une tribune pour les luttes

Petit journal antinucléaire sur l’actualité de Fukushima et d’ailleurs

Article mis en ligne le dimanche 15 décembre 2013

Tout le monde n’aura pas la chance de retourner vivre en enfer

C’est désormais officiel. Toutes les personnes évacuées de la zone interdite autour de la centrale nucléaire de Fukushima ne pourront pas rentrer chez elles. Ce sont les autorités japonaises qui le disent. On croit rêver, mais c’est pourtant vrai… Jusqu’à présent, les officiels affirmaient que les réfugiés pourraient un jour rentrer chez eux et reprendre leur vie d’avant la catastrophe... On attend avec impatience les traditionnelles courbettes de la part des officiels qui ne manqueront pas de s’excuser d’avoir échoué dans leur impossible mission de décontamination, mais qui, dès que les caméras seront coupées, continueront de priver les enfants de la préfecture de Fukushima du minimum de solidarité nationale qui aurait pu garantir la préservation de leur santé.

Le déni permanent du risque radioactif

La préfecture de Fukushima offre des examens médicaux aux enfants âgés de moins de 18 ans au moment des explosions de la centrale.

Car pendant que l’on fait semblant de s’excuser de ne pouvoir ramener tout le monde au bercail, des centaines de milliers de personnes vivent toujours en zone fortement contaminée dans la préfecture de Fukushima, sans aucune reconnaissance du risque qu’elles encourent. Le gouvernement japonais comme les instances internationales font la sourde oreille. Wolfang Weiss, membre de l’UNSCEAR (l’organisme des Nations-Unies chargé d’évaluer les conséquences des catastrophes nucléaires et des radiations) est même allé jusqu’à affirmer que les niveaux de radioactivité avaient été « si bas que nous n’attendons aucune hausse des cancers dans le futur pour cette population ». C’était en mai dernier. En novembre, on comptait déjà 26 cas confirmés de cancer de la thyroïde chez les enfants de moins de 18 ans, ainsi que 32 cas suspects supplémentaires (289 960 enfants ont été examinés)... Dans la seule préfecture de Fukushima…

Mais que cela n’entame pas votre moral, le gouvernement japonais a décidé de réagir en annonçant l’ouverture d’un centre d’entrainement olympique à 15 km de la centrale. A plus de 8 000 kilomètres de là, les « faibles doses » issues de Fukushima ont laissé leurs traces dans les thyroïdes des bébés californiens. Que se passera-t-il alors, pour ceux qui grandissent à quelques dizaines de kilomètres de Fukushima Daiichi ?

Les faibles doses, une invention « scientifique »

Dans un article publié sur le site counterpunch.org, Chris Busby présente les résultats d’une étude montrant que les bébés nés en Californie ont subi les effets des retombées de Fukushima. Cette étude apporte un éclairage saisissant sur les discours rassurants des officiels japonais et des instances internationales concernant la sécurité sanitaire des personnes résidants dans les zones contaminées et plus particulièrement des enfants. Chris Busby y dénonce l’utilisation du concept de « faibles doses ».

Une menace mondiale

Les retombées de Fukushima ont endommagé les thyroïdes des bébés californiens

par CHRIS BUSBY

Une nouvelle étude sur les effets des petites quantités de retombées radioactives de Fukushima sur la santé des bébés nés en Californie montre un excès significatif d’hypothyroïdie causée par la contamination radioactive qui a voyagé sur 5 000 miles au-dessus du Pacifique. L’article sera publié la semaine prochaine dans la revue scientifique Open Journal of Pediatrics.

L’hypothyroïdie congénitale est une maladie rare mais grave qui affecte normalement environ un enfant sur 2 000, et qui exige une intervention clinique - la croissance des enfants souffrant de cette maladie est affectée s’ils ne sont pas traités. Tous les bébés nés en Californie sont suivis à la naissance pour vérifier le taux de thyréostimuline (TSH) dans le sang, car des niveaux élevés indiquent une hypothyroïdie.

Joe Mangano et Janette Sherman du Projet Radioactivité et Santé Publique à New York, et Christopher Busby, chercheur invité à l’Université Jacobs de Brême, ont examiné les taux d’hypothyroïdie congénitale (CH) des nouveau-nés à partir des données de l’État de Californie sur la période des explosions de Fukushima.

Leurs résultats sont publiés dans leur article "Changement dans les cas confirmés et limites d’hypothyroïdie congénitale en Californie, en fonction des retombées environnementales de la catastrophe nucléaire de Fukushima". Les chercheurs ont comparé les données de bébés exposés à l’iode 131 radioactif et nés entre le 17 mars et le 31 décembre 2011, avec celles de bébés non exposés nés en 2011 avant les expositions ainsi que d’autres nés en 2012.

Les cas confirmés d’hypothyroïdie, définis comme ceux ayant un niveau de TSH supérieur à 29 unités, ont augmenté de 21% dans le groupe de bébés qui ont été exposés à un excès d’iode radioactif dans l’utérus (*). Le même groupe d’enfants montre une augmentation de 27% des "cas limites" (**).

Contrairement à ce que disent de nombreux rapports, l’explosion des réacteurs et des piscines de combustible usé à Fukushima a produit des niveaux de contamination radioactive comparables aux rejets de Tchernobyl en 1986. En se basant sur les estimations du Laboratoire Norvégien de l’Air, il est possible d’estimer que plus de 250PBq (200 x 1015) d’iode 131 (d’une demi-vie de 8 jours) ont été rejetés à Fukushima.

Ceci est également prévu si l’on compare les estimations de césium 137 avec les rejets d’iode 131 rejetés à Tchernobyl, des quantités qui ont causé l’épidémie de cancers de la thyroïde de la Biélorussie, de l’Ukraine et de certaines parties de la République de Russie.

Nous y reviendrons plus tard. A Fukushima, les vents ont de manière générale poussé l’iode radioactif et les autres radionucléides volatils vers la mer, vers l’océan Pacifique. Le voyage de 5 000 miles jusqu’à la côte Ouest des Etats-Unis laisse beaucoup de temps pour la dispersion et la dilution. Néanmoins, de petites quantités d’iode 131 ont été mesurées dans le lait, provoquant l’inquiétude générale.

Les autorités ont minimisé les risques en se basant sur le fait que les "doses" étaient très faibles ; beaucoup plus faibles que le fond radioactif naturel. L’Université de Berkeley a mesuré de l’iode 131 dans l’eau de pluie du 18 au 28 mars 2011, date après laquelle les niveaux ont diminué. Si nous supposons que les mères buvaient 1 litre d’eau de pluie par jour pendant cette période (bien sûr, elles ne l’ont pas fait), le modèle actuel de risque radioactif de la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) calcule une dose absorbée par la thyroïde des adultes de 23 microsieverts, moins de 1/100ème de la "dose" de fond radioactif annuel. Le fœtus est plus sensible (environ 10 fois plus, selon le CIPR) mais il est exposé à moins que cela car il est peut-être 100 fois plus petit.

Donc, cette constatation est un exemple de plus pour dire que le modèle de risque radioactif actuel, utilisé par les gouvernements de tous les pays, est massivement inadapté pour prédire le préjudice de l’exposition des radionucléides internes ou pour expliquer des observations claires.

On a refusé que la catastrophe de Fukushima puisse être une cause potentielle d’effets sur la santé, même au Japon, et encore moins aussi loin qu’en Californie. Et sur ​​quelle base ? Parce que la « dose » est trop faible.

C’est le mantra scandé par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, en grande partie la même équipe) et le Comité Scientifique des Nations Unies sur les Effets des Rayonnements Ionisants (UNSCEAR). Et n’oublions pas tous les scientifiques nucléaires qui s’abattirent sur ​​Fukushima avec leurs conférences internationales et leurs présentations apaisantes.

On a entendu ce chant après Tchernobyl, après les leucémies infantiles des sites nucléaires, dans les cas concernant les vétérans d’essai nucléaire atmosphérique, et dans toutes les autres situations évidentes qui, dans n’importe quel domaine scientifique impartial, auraient depuis longtemps balayé la conviction que les expositions internes de bas niveau ne sont pas dangereuses.

Mais ce concept de « dose » qui s’adapte à tout est le navire en perdition de l’industrie nucléaire. Il offre un paravent essentiel pour l’utilisation des armes à l’uranium, que ce soient les bombes à fission ou les munitions à l’uranium appauvri, pour le développement de centrales nucléaires comme Hinkley Point, pour l’enfouissement des déchets radioactifs dans des décharges au centre de l’Angleterre, pour les rejets de plutonium en mer d’Irlande provenant de Sellafield (où il dérive jusqu’au rivage et provoque une augmentation des cancers sur les côtes du pays de Galles et d’Irlande) et, plus récemment, pour le déni des gouvernements britanniques des excès de cancers parmi les vétérans des essais nucléaires.

Cette nouvelle étude n’est pas la première à attirer l’attention sur la sensibilité de l’enfant à naître aux produits de fission internes. En 2009, j’ai utilisé les données qui m’ont été fournies quand j’étais membre de la Commission d’Examen des Risques des Rayonnements des Emetteurs Internes (CERRIE) du gouvernement britannique pour réaliser une méta-analyse des taux de leucémie infantile dans cinq pays d’Europe : Angleterre et Pays de Galles, Allemagne, Grèce, et Biélorussie.

Il y avait eu une augmentation inattendue et statistiquement significative des leucémies infantiles (0-1 ans) chez les enfants qui étaient dans l’utérus (le corps entier ayant été suivi) pendant l’augmentation des niveaux de césium 137 de Tchernobyl. L’intérêt de cette étude (comme l’étude de la TSH) est que, contrairement aux leucémies infantiles de Sellafield, il n’y a vraiment aucune autre explication possible.

C’était la faible "dose" de césium 137 qui a causé les leucémies. Et la corrélation dose-réponse n’est pas une ligne droite : l’effet avec une "dose" très faible était supérieur à celui de la "dose" très élevée. Sans doute parce qu’avec les doses élevées les bébés ont péri dans l’utérus et ne pouvaient pas, par conséquent, développer une leucémie. J’ai publié les résultats et attiré l’attention sur l’échec du modèle de la CIPR dans le International Journal of Environment and Public Health en 2009.

J’ai publié un article sur cette preuve par la leucémie infantile de l’échec du modèle de risque dans Energie et Environnement en 2000, et je l’ai également présentée la même année à la conférence de l’Organisation Mondiale de la Santé à Kiev. C’est là que j’ai vraiment affronté pour la première fois le renversement de la science déployé par les chefs de l’AIEA et de l’UNSCEAR. La conférence a été filmée par Wladimir Tchertkoff et vous pouvez voir son excellent documentaire, qui été fait pour la télévision suisse, Mensonges Atomiques (titre original : Atomic Lies), réédité en 2004 en Controverses Nucléaires (lien vers Youtube, documentaire sous-titré en français, visible en 5 parties - titre original : Nuclear Controversies, lien vers Youtube, 51 minutes, sous-titrage en anglais).

Ce que font ces gens, c’est de rejeter tout élément de preuve d’une augmentation des taux de cancer ou de toute autre maladie en opposant que "les doses étaient trop faibles". De cette façon, la réalité est dissipée. Mais que signifie cette quantité de "dose" ? Il s’agit d’une simple quantité physique, qui représente l’absorption de l’énergie du rayonnement. Un Sievert de rayonnement gamma correspond à une Joule par kilogramme de tissu vivant.

Cela pourrait fonctionner pour le rayonnement externe. Mais cela ne fonctionne pas pour les expositions internes à des éléments radioactifs qui peuvent produire d’énormes effets sur l’ADN cellulaire à de faibles "doses" moyennes. C’est comme comparer le fait de se réchauffer devant un feu avec le fait de manger un charbon ardent. Ou comme comparer un coup de poing avec un coup de couteau. La même dose, la même énergie. Des effets très différents…

Cette escroquerie de la "dose" a été utilisée pour rejeter les effets réels depuis son invention en 1952 pour faire face aux risques liés aux expositions dues au développement des armes nucléaires et aux essais. Pour ceux qui veulent creuser plus profondément dans la science, il y a un chapitre récent que j’ai écrit dans le livre New Research Directions in DNA Repair [Nouvelles orientations de la recherche pour la réparation de l’ADN].

Les cas les plus inquiétants de la sensibilité du fœtus à la radioactivité sont les études de sex-ratio de Hagen Scherb, un biostatisticien allemand et membre du Comité Européen sur les Risques Radologiques (CERI). Avec sa collègue Christina Voigt, il a publié une série d’articles montrant un changement soudain dans le sex-ratio des nouveau-nés après divers incidents d’exposition à la radioactivité.

Le sex-ratio - c’est-à-dire le nombre de garçons nés pour 1 000 filles - est un indicateur bien accepté pour les dommages génétiques, et les perturbations dans le ratio normal de 1 050 (garçons pour 1 000 filles) sont dues à la mort avant la naissance d’individus touchés par la radioactivité, d’un sexe ou de l’autre selon que le père (le sperme) ou de la mère (œuf) a été plus exposé.

Nous avons trouvé un tel effet (plus de filles) dans notre étude de Falloujah, en Irak, où il y avait une exposition à des armes à l’uranium. Mais Scherb et Voigt ont étudié les grandes catastrophes, Tchernobyl, les retombées des essais d’armes nucléaires, la proximité de sites nucléaires dans les données de nombreux pays du monde. C’est un ensemble de données énormes.

Ils estiment que des millions de bébés ont été tués par ces expositions discrètes aux rayonnements internes. Le projet nucléaire militaire est responsable d’un très grand nombre de décès. Dans les années à venir, je crois que cela finira par être considéré comme le plus grand scandale de santé publique de l’histoire humaine.

Bien entendu, l’exposition à l’iode radioactif est associée au cancer de la thyroïde chez les enfants. Il y a eu une forte hausse du cancer de la thyroïde en Biélorussie, en Ukraine et en République de Russie après Tchernobyl. La situation à Fukushima semble devoir y faire écho, bien que les autorités affirment qu’il n’y aura pas d’effet.

Notre article rapporte 44 cas de cancer de la thyroïde confirmés dans la classe des 0-18 ans dans la préfecture de Fukushima pour les six derniers mois (un chiffre qui a augmenté depuis à 53). Dans l’article sur l’hypothyroïdie, nous discutons des 44 cas relativement à la population et calculons que cela représente un excès de 80 fois, sur la base des données nationales d’avant les rejets d’iode de Fukushima.

Cela pose un sérieux défi pour le Dr Wolfgang Weiss de l’ONU et de l’OMS, qui a déclaré l’année dernière qu’aucun cancer de la thyroïde ne pourrait résulter de la catastrophe de Fukushima car les "doses étaient trop faibles". Comment explique-t-il l’augmentation de 80 fois dans cette situation normalement rare ?

Ou plutôt, quand admettra-t-il que l’ensemble du modèle scientifique qui sous-tend son point de vue est frauduleux ? Et que le rayonnement nucléaire est - grosso modo – 1 000 fois plus dangereux pour la santé humaine qu’il ne le prétend ?

Chris Busby

source : http://www.vivre-apres-fukushima.fr/

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