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Survie

L’accord de coopération de défense entre la France et le Mali ou le retour au temps béni des colonies

+ L’armée française hors de tout contrôle au Mali par Yanis Thomas

Article mis en ligne le mardi 21 janvier 2014

http://survie.org/billets-d-afrique/2014/231-janvier-2014/article/l-armee-francaise-hors-de-tout-4604

rédigé le 5 janvier 2014

Si la France est intervenue massivement au Mali à partir de janvier 2013, le statut de la force « Serval » n’a été clairement énoncé qu’à partir du 8 mars 2013, à travers un accord sous forme d’échange de lettres entre Paris et Bamako [1]. Celui-ci a pour but de définir les règles qui s’appliquent au corps expéditionnaire français présent dans le pays. Décryptage.

Tout d’abord, le préambule de l’accord rappelle que celui-ci s’applique « au détachement français pendant toute la durée de son déploiement sur le territoire de la République du Mali dans ses opérations d’assistance militaire à l’Etat malien et de protection des ressortissants français sur l’intégralité de son territoire. »

Deux missions sont ainsi dévolues à la force Serval, la première étant définie de façon assez floue pour englober toute action militaire menée par la France. On verra par la suite qu’il s’agit surtout de donner carte blanche à la soldatesque. L’esprit de l’accord commence à se dévoiler dès le premier article. Celui-ci stipule que « pendant la durée de son déploiement, le personnel du détachement français bénéficie des immunités et privilèges identiques à ceux accordés aux experts en mission par la convention sur les privilèges et immunités des Nations unies du 13 février 1946 ». Or, une partie de cette convention est tout à fait préoccupante.

Ainsi la section 22b de l’article 4, relatif aux experts en mission, stipule que ceux-ci jouissent de « l’immunité de toute juridiction en ce qui concerne les actes accomplis par eux au cours de leurs missions (y compris leurs paroles et écrits). Cette immunité continuera à leur être accordée même après que ces personnes auront cessé de remplir des missions pour l’Organisation des Nations Unies  » [2]. En un mot, les militaires français ne pourront pas être poursuivis par la justice pour des infractions qu’ils auraient pu commettre durant leur participation aux opérations au Mali. Une impunité totale, qui ne peut être levée que par le Secrétaire général dans le cas de l’ONU.

En territoire conquis

La suite de l’accord est tout aussi édifiante. L’article 5 permet au détachement français de circuler sans restriction sur le territoire malien, « sans qu’il ait à solliciter un accompagnement par les forces de la Partie malienne. » L’État malien n’a donc aucun droit de regard et encore moins un moyen de contrôle sur les agissements des troupes présentes sur son sol.

Par contre, la France prend bien soin d’incorporer au sein des unités maliennes des détachements de liaisons et d’appui afin de garder un œil sur les actions de ces dernières. L’article 6 annonce que les autorités maliennes chargées de l’ordre et de la sécurité publique «  autorisent les membres du détachement français assurant des missions de protection des ressortissants français à prendre toutes les mesures requises pour assurer la sécurité des personnes, y compris sur la voie publique  ». Cette disposition donne à peu de frais une couverture juridique à une éventuelle opération d’évacuation. Par ailleurs, si les choses tournent mal et qu’il y a du dégât, « la Partie malienne prend à sa charge la réparation des dommages causés aux biens ou à la personne d’un tiers, y compris lorsque la Partie française en est partiellement à l’origine. En cas d’action judiciaire intentée à l’occasion de tels dommages, la Partie malienne se substitue dans l’instance à la Partie française mise en cause [Article 9]  ». Donc si un blindé français percute une voiture ou cause un dommage quelconque à un malien ou une malienne c’est l’Etat malien qui paie !

Comble d’hypocrisie, l’article 12 rappelle que «  le présent échange de lettres n’a pas pour effet d’abroger l’accord de coopération militaire technique du 6 mai 1985  », lequel accord de coopération « exclut toute possibilité de stationnement d’unités constituées des Forces Armées françaises sur le territoire malien [article 12] » [3]. Ce qui n’est pas, bien évidemment, la nature même de l’opération Serval.

Vive la contradiction !

Le voile de fumée du raccrochage à l’ONU

Pour tenter de renforcer la légitimité de ses troupes, la France a cherché à draper son action d’un voile onusien. Un accord de coopération a ainsi été signé dans le courant de l’été entre les autorités françaises et l’ONU. Ce qui ne fait pas de la force Serval un élément à part entière de la MINUSMA (la Mission multidimensionnelle Intégrée des Nations Unis pour la Stabilisation au Mali). Celle-ci n’a pas plus d’emprise sur les troupes françaises que l’Etat malien. Ainsi, celles-ci sont «  supposées " intervenir en soutien à des éléments de la Minusma en cas de danger grave et imminent les menaçant, et à la demande" de Ban Kimoon. » (Le Monde, 17/07/2013).

Pour autant, la France se garde le droit de choisir si son soutien sera « direct ou indirect, au sol ou aérien  » et aura ainsi « le choix des moyens, du nombre et du lieu  ». En clair, Paris décide selon son bon vouloir de son assistance aux troupes de l’ONU. Et selon son agenda politique : que fera la France si la MINUSMA lui demande d’intervenir contre les rebelles du MNLA, que la DGSE a soutenu et soutient peut être encore en sous main [4] ? Si la France voulait réellement se mettre au service de la MINUSMA, pourquoi ne pas avoir directement intégré celle-ci ?

Incorporées à la MINUSMA, les troupes françaises auraient très bien pu avoir un mandat offensif (autonome du mandat général de stabilisation de la situation donné à la mission), afin de lutter contre les groupes armés, sur le modèle de la brigade d’intervention constituée au sein de la MONUSCO en République Démocratique du Congo. Mais la France préfère garder les mains libres, afin d’imposer sa ligne politique.

La France s’installe

Conscient du caractère plutôt bancal de l’accord relatif à l’opération Serval,la France va prochainement signer un accord de coopération de défense avec le Mali afin de renforcer le poids juridique de son intervention et donner un cadre fort à son implantation durable dans le pays. Ainsi « le nouvel accord franco-malien ira au-delà de la simple coopération de défense classique (…). Paris agira selon ses besoins. S’il s’agit officiellement de mieux échanger le renseignement, cela n’ira pas jusqu’à informer au préalable les autorités maliennes des actions entreprises.  » Le régime d’exception accordé à la France lors de son offensive contre les groupes armés, déjà hautement critiquable en temps de guerre, va donc être maintenu ad vitam aeternam, piétinant allègrement la souveraineté des Maliens.

[1] Accord déterminant le statut de la force Serval, décret du 29/04/2013

[2] Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies p.2021

[3] Accord de coopération technique entre la France et le Mali de 1985

[4] Mali : les secrets d’une guerre éclair, Le Nouvel Observateur, 11/06/2013 et L’avenir du Mali suspendu à la question touareg, Jacques Follorou, Le Monde, 14/08/2013

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L’accord de coopération de défense entre la France et le Mali ou le retour au temps béni des colonies

16 janvier 2014 par Survie

http://survie.org/francafrique/mali/article/l-accord-de-cooperation-de-defense-4611

Alors que l’opération Serval vient de fêter sa première année, l’association Survie dénonce la signature imminente d’un accord de coopération de défense entre la France et le Mali, qui constitue un grave retour en arrière sur le plan de l’indépendance et de la souveraineté maliennes, comme plusieurs mouvements de la société civile malienne s’en sont déjà alarmés.

Tandis que le gouvernement précédent avait amorcé la divulgation et la soumission au Parlement de huit « partenariats de défense  », destinés à remplacer les accords signés au lendemain des indépendances africaines avec certaines anciennes colonies françaises [1], un accord tout aussi stratégique avec le Mali devrait être signé le 20 janvier dans le plus grand secret. Les informations sur cet accord révélées par Le Monde laissent présager d’une future mainmise de la France sur le Mali hautement condamnable.

Alors que la tendance de ces dernières années était à l’amorce d’une réduction, particulièrement souhaitable, de la présence de l’armée française en Afrique, l’accord devrait entériner le maintien sur le territoire malien d’une force permanente d’un millier d’hommes, sous couvert de lutte antiterroriste. Un déploiement permanent va à l’encontre de l’histoire des relations militaires entre la France et le Mali et de l’accord de coopération militaire de 1985 entre les deux pays, stipulant explicitement l’impossibilité de déployer des unités constituées de l’armée françaises sur le territoire malien.

La pérennisation de l’opération Serval, dont le cadre légal actuel est déjà scandaleux, interroge les motivations réelles du gouvernement français dans le déclenchement de la guerre.

Sans complexe, la France annonce qu’elle va fouler aux pieds la souveraineté de l’Etat malien, déjà mise à mal par la situation à Kidal : « Paris agira selon ses besoins. S’il s’agit officiellement de mieux échanger le renseignement, cela n’ira pas jusqu’à informer au préalable les autorités maliennes des actions entreprises  », peut-on lire dans l’article du Monde. On y apprend également que la tutelle exercée par les militaires français sur les troupes maliennes sera pérennisée puisque des détachements français encadreront l’armée nationale, mais qu’en plus Serval pourra jouer le rôle de « force de réaction rapide  » pour l’armée malienne.  » En vertu de cet accord la France sera de fait toute puissante sur le territoire malien, reléguant le Mali au rang de simple département comme au temps de la colonisation.

En conséquence, Survie demande :

- L’annulation de l’accord de défense entre la France et le Mali
- La complète transparence des accords de défense et de coopération militaire
- Un contrôle parlementaire systématique des actions engagées par l’exécutif français en matière de défense, y compris la signature de tels accords
- La fermeture des bases militaires françaises sur le continent africain.

[1] Côte d’Ivoire, Cameroun, République centrafricaine, Comores, Djibouti, Gabon, Sénégal, Togo

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