Une tribune pour les luttes

Douce France…

Témoignage (hélas banal, mais pas pour tous ceux qui ne "savent pas" !)

Article mis en ligne le lundi 3 février 2014


Douce France…

Ma cousine mexicaine de 19 ans, Claudia, m’annonce il y a quelque temps qu’elle arrive à Paris pour une dizaine de jours. Elle travaille, comme beaucoup, pour payer ses études et passe son temps libre à s’occuper de sa maman, très malade. Je me réjouis à l’idée de la recevoir, elle qui voyage pour la première fois, et de lui faire découvrir la capitale, mon pays et ma vie.

L’atterrissage est prévu le lundi à 14h et je l’attends donc à Roissy, impatiente de la retrouver. Au passage à la douane, on lui demande ses papiers et l’attestation d’accueil prouvant qu’elle a un lieu d’hébergement en France. Aïe. Elle ne l’a pas et ne savait pas que ce papier était nécessaire ; à l’ambassade de France de Mexico on lui a seulement dit qu’elle n’avait pas besoin de visa.

On lui refuse donc l’entrée en France et on la place en “zone d’attente” afin de lancer une procédure pour régler sa situation. C’est ce que l’on me dit. Je peux juste l’apercevoir en remettant aux policiers de l’aéroport ma carte d’identité, que je sors pliée de mon porte feuille. Lorsque je la lui tends, l’agent de police me dit : “Cette carte n’est pas à vous”. Je réponds : “Si c’est la mienne, c’est ma photo”. Il insiste : “Non elle n’est pas à vous !”. Je réplique à nouveau : “Mais si !” Et là il me rétorque : “Non mademoiselle, cette carte vous est prêtée par l’Etat Français. Et vous avez le devoir d’en prendre soin”. (sic)

Je prends donc congé de ma cousine, déçue et triste, et rentre chez moi seule.
J’informe mes parents, qui téléphonent aussitôt à Roissy pour avoir plus d’explications. On leur dit que ma cousine va devoir rentrer au Mexique car sans ce papier elle est dans l’illégalité. Mes parents précisent qu’elle est accueillie chez eux, dans sa famille, et qu’ils peuvent obtenir cette attestation en mairie dès le lendemain. On leur assure qu’avec le précieux document le problème sera réglé et que Claudia va être transférée dans un “hôtel” pour y passer la nuit, et qu’on pourra lui rendre visite sur place.

Dès le lendemain matin, direction mairie du domicile, mais mairie fermée le mardi matin.
À nouveau appel à l’aéroport pour expliquer le problème, et là on nous conseille de nous rendre sur place, au lieu d’hébergement, pour résoudre la situation et au moins rencontrer ma cousine.

On y arrive à 11h50 ; un policier nous accueille froidement en précisant que de midi à 14h c’est la pause déjeuner et qu’il faudra revenir plus tard. Nous nous présentons donc à 14h pile devant “l’hôtel” qui n’est autre que la ZAPI, sorte de centre de rétention pour les étrangers. Là, nous remplissons un formulaire de demande de visite et remettons nos pièces d’identité. 45 minutes plus tard, un policier vient nous chercher pour nous conduire dans un parloir où est assise Claudia, recroquevillée sur sa chaise, fatiguée, apeurée.

Elle n’a ni valise ni affaires personnelles, tout lui a été confisqué (papiers, téléphone, affaires de toilette…). Elle n’a que quelques minutes autorisées pour sortir dans une cour, se dégourdir les jambes, fumer une cigarette… Ils sont très nombreux avec elle, certains ont voyagé avec de faux passeports, d’autres avec de la drogue.
On la rassure, la réconforte, on lui dit qu’on va la sortir au plus vite de ce cauchemar.
Au bout de 30 minutes, le policier resté en faction derrière la porte vient nous signaler la fin du temps de visite autorisé et conduit Claudia, qui le suit docilement, vers une porte donnant sur un long couloir. La porte se referme.

Alors on demande à rencontrer les autorités chargées de la procédure, affirmant qu’on peut attester sur l’honneur que Claudia sera hébergée chez nous. Mais tout entretien nous est refusé, car sans le papier rien n’est possible. Un aimable policier (le seul d’ailleurs) nous avoue, gêné, que si ça ne tenait qu’à lui il nous laisserait repartir avec Claudia, mais qu’il n’a aucun pouvoir, que la procédure est déjà lancée, et que seul un officier peut en décider. On insiste à nouveau pour en rencontrer mais en vain.

Nous retournons alors à la mairie du domicile (1h30 de route), pour négocier cette fameuse attestation signée par le maire, et que l’on ne nous fournit qu’après un délai de 48h en temps normal.
Les employées de l’Etat Civil, pleines de compassion, acceptent de nous la remettre sur le champs, à titre exceptionnel. Mais trop tard pour retourner au centre de rétention : les heures de visites ont été dépassées.

Dès le lendemain matin, à 10h15, on s’y présente avec l’attestation. Le policier qui nous reçoit nous dit que Claudia a déjà été conduite à l’aéroport pour embarquer à 13h et nous conseille de nous y rendre au plus vite pour tenter d’arrêter le processus. À l’aéroport, un policier à qui on explique le problème accepte après une longue hésitation d’aller remettre le document” en mains propres” à l’intéressée, afin qu’elle n’embarque pas. Il revient 45 minutes plus tard en nous assurant que le nécessaire avait été fait, que Claudia n’avait pas embarqué, et allait être de nouveau transférée au centre.

Retour au centre : grève du personnel ! Aucune visite possible. On nous conseille de rentrer chez nous et d’attendre que le juge statue sur le dossier de Claudia, qui détenait désormais le précieux “sésame” entre ses mains.

Le soir même, on téléphone au centre pour la joindre et le policier répond qu’elle n’y est pas et figure sur la liste de ceux qui ont embarqué. Nous exprimons notre incompréhension, relatant l’épisode de l’aéroport, mais le policier nous répond qu’il ignore ce qui se passe là-bas, qu’il reçoit juste la liste des touristes qui ont embarqué et qu’elle y figure. Il ajoute qu’elle a d’ailleurs dû le faire de son propre chef car elle avait la possibilité de refuser. Nous savons que c’était impossible puisque Claudia ne voulait pas repartir. Nous raccrochons, effondrés.

Quelques instants plus tard, on reçoit un appel téléphonique d’une jeune fille latino américaine, qui se trouvait avec Claudia au moment de l’embarquement et qui, elle, a réussi à rester en France. Elle tient à nous livrer son témoignage et nous relate que la police s’est “énervée” contre certains étrangers qui criaient et refusaient de partir, qu’un groupe d’asiatiques a été frappé et embarqué sans ménagement et que Claudia, très calme et exprimant son refus d’embarquer, y a été contrainte sous la menace d’être menottée.

Nous sommes révoltés, attristés, bref, nous n’avons pas de mots pour décrire cette sensation d’injustice et de profonde impuissance. Nous imaginions Claudia si jeune, si frêle, si seule, pour ce long et éprouvant voyage.

Dès le lendemain matin on essaie de réagir, porter plainte, en appelant le consulat du Mexique, un organisme d’avocats chargés des droits des étrangers… Malgré une écoute attentive et chalheureuse, nous entendons partout la même chose : il n’y a rien à faire, la police est dans son droit.

Vive la France, notre chère patrie, Pays des Droits de l’Homme.

Source : http://albalala.tumblr.com/post/75276020121/douce-france via http://rezo.net/

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