Une tribune pour les luttes

CQFD n°118 (janvier 2014)

Palestine Vivre en cage à Gaza

par Pierre Stambul

Article mis en ligne le jeudi 20 février 2014

CQFD n°119, en kiosque à partir du 15 février 2014.

Les articles sont mis en ligne au fil de l’eau après la parution du CQFD d’ensuite. D’ici-là, tu as tout le temps d’aller saluer ton kiosquier ou de t’abonner...

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Cultiver pour résister

paru dans CQFD n°117 (décembre 2013), rubrique Le dossier, par André Aspic & Nicolas Rami, illustré par Val K
mis en ligne le 14/02/2014

http://cqfd-journal.org/Cultiver-pour-resister



Palestine
Vivre en cage à Gaza

paru dans CQFD n°118 (janvier 2014), par Pierre Stambul, illustré par JMB

mis en ligne le 19/02/2014

http://cqfd-journal.org/Vivre-en-cage-a-Gaza

Depuis 7 ans, le blocus israélien a transformé Gaza en un véritable laboratoire, où près de 1,8 million de personnes survivent, sans quasiment pouvoir sortir, dans la pauvreté, le chômage et les pires pénuries. À l’étranglement israélien s’ajoute le blocus égyptien par « mesure sécuritaire », depuis la prise de pouvoir de l’armée égyptienne. Pierre Stambul, coprésident de l’Union juive française pour la paix, a pu séjourner fin décembre dans cette cage, via le réseau de soutien internationalUnadikum.

Le 24 décembre, l’armée israélienne a attaqué la bande de Gaza avec les chars et l’aviation en 15 endroits différents. Un char israélien a pulvérisé à 800 mètres de distance une maison dans un camp de réfugiés. Une dangereuse terroriste, la petite Hala, 3 ans, est morte. Sa mère est ses frères ont été blessé-e-s. À l’hôpital, la famille nous a demandé de filmer et de témoigner. Deux jours auparavant, un autre redoutable terroriste, un chiffonnier qui recyclait les ordures, avait été abattu sans motif par un sniper israélien.

En 7 ans de blocus, 150 paysans et des milliers d’animaux qui avaient l’outrecuidance d’approcher de trop près la « barrière de sécurité  » – pour reprendre le vocabulaire de l’occupant – ont perdu la vie. « Pourquoi la justice internationale protège-t-elle les criminels de guerre israéliens ? », s’interroge le militant des droits de l’homme Khalil Shaheen. Quand les soldats de Tsahal ne tirent pas sur les paysans, ils visent les pêcheurs : la marine israélienne interdit à ces derniers de s’éloigner à plus de 3 km des côtes. Depuis 4 ans, elle a tué deux pêcheurs, elle en a blessé vingt-quatre et elle en a enlevé 147. Elle a également confisqué 45 bateaux et détruit une centaine d’autres, qui parfois naviguaient à seulement quelques milles de la côte dans l’espace autorisé. Les quelque 4 200 pêcheurs sont réduits à la misère. « Le droit international permet de cultiver et de pêcher. Israël viole ce droit en disant que c’est contraire à sa sécurité  », explique Mohamed al-Bakri, secrétaire général du syndicat des comités de travailleurs agricoles (UAWC) [1].

Comment la pénurie est organisée

Gaza est aussi une terre agricole. La superficie agricole a diminué d’1/3 à 1/5 de la bande en 7 ans. Les Israéliens interdisent la commercialisation des produits et les fraises de Gaza pourrissent sur place. Les paysans survivent avec 1/2 hectare de terre en moyenne. Gaza est autosuffisant en légumes et en poulet, mais tout le reste doit être importé (œufs, viande rouge, poisson). Lors des récentes inondations, 3 000 serres ont été inondées, le blocus israélien empêche leur remplacement.

L’eau à Gaza vient de Cisjordanie par l’aquifère. Les Israéliens ont creusé des puits sur la frontière tous les 100 mètres pour capter cette eau. Résultat, il manque à Gaza 40 % de l’eau nécessaire à son agriculture. La nappe phréatique est envahie par la mer et l’eau, devenue saumâtre, est impropre à la consommation.

En Égypte, l’essence est subventionnée et ne coûte que 0,12 euro le litre. Avant que le gouvernement égyptien ne bloque la frontière et ne détruise les tunnels, on trouvait de l’essence à Gaza. À présent, elle vient d’Israël, est rare et hors de prix. Les charrettes remplacent souvent les voitures. Conséquence de cette pénurie de pétrole, il n’y a en moyenne que 6 heures d’électricité par jour. Alors c’est la débrouille : groupes électrogènes et lampes de poche sont indispensables, mais ne garantissent rien.

Dans les hôpitaux, on manque de médicaments, d’hygiène, de médecins qualifiés. Les grands malades essaient de partir à l’étranger, mais sortir n’est pas évident et ça coûte très cher.

Un énorme effort est entrepris pour l’éducation. Il y a très peu d’illettrés. On compte à Gaza 100 000 étudiant-e-s dans cinq universités. Au bout du compte, il y a 35 000 chômeurs diplômés et d’autres qui survivent avec des petits boulots. Le chômage total ou partiel touche 60 % de la population. L’économie a été détruite. « Sans solution politique, on continuera à manquer d’eau, de terre, de médecins, d’éducation et ça va exploser  », ajoute Mohamed al-Bakri.

Colère et auto-organisation

Tous nos interlocuteurs-trices disent la même chose : la désunion palestinienne, l’existence de deux gouvernements, deux parlements, deux lois sont pour tous un scandale : « Ils ne pensent qu’à leur propre intérêt » ; « Ils ont perdu toute légitimité » ; « Cette désunion est une victoire de l’occupant » ; « Rien ne changera avec Abou Mazen. » « Il n’y aura pas de troisième Intifada à cause de la division palestinienne, pense Ziad Medoukh, responsable du département de français à l’université al-Aqsa de Gaza. Depuis la mort d’Arafat, il n’y a plus de leadership. La direction à prendre vient de l’extérieur de la société palestinienne et non de l’intérieur. Les deux gouvernements profitent de l’occupation pour garder le pouvoir. Ces deux gouvernements ont perdu toute légitimité. Les deux sont en échec. Mais ils savent que la population ne va pas se révolter contre eux. »

L’impopularité des deux gouvernements est certaine. « Notre rêve, c’est un seul État. Notre référence, c’est Mandela, [mais] nos dirigeants sont stupides, estime Eyad Al Alam, avocat au Centre palestinien des droits de l’homme (PCHR). Pourquoi n’y a-t-il pas réunification ? Je me fous des relations Fatah-Hamas. On voudrait des élections, mais Israël contrôle tout et ne laissera pas faire. »

Le PCHR fait partie de ce grand réseau d’associations qui viennent au secours des pauvres et des exclus, et permettent à la population de s’organiser, d’exiger le droit de «  vivre comme un être humain normal  ». Le PCHR enquête sur toutes les exactions, même sur les violences interpalestiniennes. Il aide les prisonniers politiques, combat la torture, dénonce l’impunité de l’occupant et la complicité occidentale. Il a fourni aux enquêteurs de l’ONU (Dugard, Falk, Goldstone) une grande aide pour leurs rapports. «  Comme palestinien, j’ai été victimisé et maltraité. La Naqba est en moi. Je suis né ici, c’est mon pays. Un Russe obtient la nationalité israélienne et moi, je n’ai rien. La loi vient du pouvoir, pas de la morale. Avec la globalisation, j’ai espoir que les barrières disparaîtront. Pourquoi la communauté internationale accepte-t-elle cette punition collective ? », s’indigne Khalil Shaheen.

Politiquement, il existe une gauche palestinienne, dont le parti le plus important est le FPLP. Ce parti a payé un très lourd tribut dû à son rôle dans la résistance (le secrétaire général Ahmed Saadat a été condamné à la prison à vie et son prédécesseur a été assassiné). Il essaie aujourd’hui de renouveler ses cadres et d’unifier un troisième pôle face au Fatah et au Hamas. Il se concentre aussi sur l’action sociale du FPLP : les jardins d’enfants, les hôpitaux (comme à Jabaliya), les ONG, l’aide aux agriculteurs et aux pêcheurs. Dans son programme, il exige la fin des négociations avec Israël.

Aujourd’hui les accords d’Oslo sont plus que jamais morts. On est passé à une lutte antiapartheid sur un espace unique. L’hypocrisie des discours de la France, de l’Union européenne et des états-Unis renforce l’économie israélienne et le blocus.

Avec Ziad Medoukh, la discussion se porte sur le boycott : « La notion est peu développée en Palestine parce que les marchés sont captifs. Il n’y a pas beaucoup de produits israéliens, aucun produit des colonies, mais les Palestiniens n’ont aucune marge de manœuvre. Toutes les formes de solidarité sont les bienvenues. Mais la priorité, c’est de lever un blocus qui dure depuis 7 ans. S’il n’y a pas un mouvement comparable à ce qui s’est fait en Afrique du Sud, ça ne marchera pas.  »

Pierre Stambul


Nétanyahou mon louloup

Après le raid aérien de l’armée israélienne sur Gaza du 24 décembre, inutile de compter sur un début de commencement d’indignation côté Hexagone. Comme on l’a vu ces derniers temps, Hollande, dit « Flamby  », semble vouer au Premier ministre israélien Nétanyahou, dit « Bibi  », un élan pour le moins irrépressible. Durant sa visite en Israël en novembre dernier, on a pu ainsi voir le petit François se lancer dans un «  chant d’amour  » à l’occasion d’un pot d’honneur : «  Si on m’avait dit que je viendrais en Israël, et qu’en plus de faire de la diplomatie, j’aurai été obligé de chanter… je l’aurai fait ! Pour l’amitié entre Benjamin et moi-même. J’aurai toujours trouvé un chant d’amour pour Israël et pour ses dirigeants. »

Sous Sarkozy, le gouvernement français avait déjà multiplié les embardées sentimentales à l’égard de l’État d’Israël et de son gouvernement ultranationaliste, rompant avec la politique antérieure de la France plutôt pro-arabe. Cependant, même Sarko avait fini par lâcher en marge du G20 en 2011, au sujet de Nétanyahou : «  Je ne peux plus le voir, c’est un menteur.  » Un comble ! Pourtant, les braises de la passion franco-israélienne étaient toujours vivaces. C’était bien la ministre de la Justice, une certaine Alliot-Marie, qui avait exigé du Parquet en 2010 qu’il poursuive les participants à la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanction. Hollande et Valls avaient eux-mêmes signé une tribune dans Le Monde du 1er novembre 2010, en compagnie de Pascal Bruckner, Frédéric Encel, Alain Finkielkraut et Bernard-Henri Lévy, décrétant que « le boycott d’Israël [était] une arme indigne  ». Coup du sort, la Cour de cassation a reconnu la légalité du boycott dans une décision prise le 19 novembre dernier. Mieux, à partir du 1er janvier 2014, les pays membres de l’Union peuvent imposer un boycott des produits provenant des territoires occupés et geler le financement de projets scientifiques dans lesquels seraient impliqués des chercheurs ou des institutions liés aux colonies, afin qu’Israël respecte le droit international et accessoirement celui des Palestiniens. Tout ceci devrait avoir pour conséquence immédiate l’abrogation de la circulaire Alliot-Marie et de jeter potentiellement le trouble sur l’idylle entre Flamby et Bibi.

M. L.

Notes

[1] Le syndicat des travailleurs agricoles UAWC appartient à Via Campesina. Il organise les paysans et les pêcheurs, établit des programmes de développement (tracteurs, étanchéité, filets de pêche).


CQFD 119

Le dossier

« La pente naturelle de la machine consiste à rendre impossible toute vie humaine authentique. » (Orwell) Osez critiquer publiquement la technologie et vous vous retrouverez qualifié d’obscurantiste, de nostalgique de la bougie et de l’âge des cavernes, d’antihumaniste, voire de pétainiste nostalgique du « retour à la terre  ». Le philosophe Günter Anders prédisait «  une mort intellectuelle, sociale ou médiatique  » à ceux qui encourent ce risque. Or force est de constater que la technocratie qui règne sur le monde, dédiée intégralement à l’efficacité, a effectivement à voir avec un processus de domination totalitaire auquel l’homme est sans cesse condamné à s’adapter. Dans un ouvrage synthétique, intitulé Technocritiques, Du refus des machines à la contestation des technosciences (éditions La Découverte, 2014), l’historien François Jarrige retrace le fil politique des oppositions sociales et intellectuelles aux changements techniques. On y croise luddites et paysans réfractaires, mais aussi un Rousseau qui refuse de croire en la libération du travail par la technique et propose de « proscrire avec soin toute machine qui peut abréger le travail  » ; un Charles Fourier, annonciateur du dérèglement climatique ; un Gandhi lecteur de William Morris, John Ruskin et Tolstoï ; et aussi Jacques Ellul, les penseurs de la décroissance ou encore nos camarades de Pièces et main-d’œuvre (PMO). Discussion avec l’auteur autour de ces résistances qui refusent d’abdiquer face à la captation du futur par la technique.

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