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Lettre à Mme Taubira et M. Valls concernant les contrôles d’identité opérés au métro Robespierre

+ Guyane : des barrages policiers entravent l’accès aux droits

Article mis en ligne le vendredi 7 mars 2014

Communiqué

Guyane : des barrages policiers entravent l’accès aux droits

Seconde requête en annulation déposée par huit associations

Deux barrages policiers permanents, véritables frontières internes, sont établis sur la seule route permettant l’accès à Cayenne, l’un à l’Est, l’autre à l’Ouest (voir la carte). Ces contrôles de gendarmerie sont renouvelés tous les six mois par des arrêtés préfectoraux.

Ces postes fixes systématisant les contrôles d’identité impactent directement les droits des étrangers en situation administrative précaire et des peuples autochtones dépourvus de preuves de leur identité et/ou leur nationalité française en entravant leur accès à la préfecture, à certains tribunaux, à des formations professionnelles ou universitaires et à plusieurs services hospitaliers et consultations spécialisées.

Les professionnels de santé de l’Ouest guyanais constatent notamment, pour ces seuls patients, des retards au diagnostic, des retards de prise en charge voire une absence de prise en charge, des urgences mal traitées ou de manière inadéquate, des ruptures dans la continuité des soins. Les procédures complexes requises, même pour raisons médicales, pour franchir le barrage d’Iracoubo, retardent en effet les examens complémentaires ou dissuadent de les demander.

Huit associations - Aides, la Cimade, le Collectif Haïti de France, le Comede, la Fasti, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme et Médecins du Monde - ont déposé, le 26 février 2014, devant le tribunal administratif de Cayenne un recours en annulation contre le dernier arrêté concernant le barrage situé à l’Ouest, à Iracoubo (texte de la requête) après en avoir fait de même, trois mois plus tôt, pour le barrage de l’Est, pour le barrage de l’Est. Elles invoquent la violation de plusieurs droits fondamentaux protégés par des conventions internationales : liberté d’aller et venir, droit à un recours effectif lorsque la vie privée et familiale est en jeu, égalité devant la loi, droit à la santé et à l’éducation. Les associations requérantes contestent la légalité de « ces contrôles permanents à l’intérieur du territoire » dont « le caractère exceptionnel et dérogatoire au strict droit commun » (mentionné par l’arrête préfectoral lui-même) ne fait aucun doute.

Il est temps que cessent les mesures d’exception prises par l’administration française dans ses terres d’outre mer au mépris des droits fondamentaux.

Le 7 mars 2014

Signataires

Associations requérantes :
Aides, la Cimade, le Collectif Haïti de France, le Comede, la Fasti, le Gisti, la Ligue des droits de l’Homme, Médecins du Monde.
À Kourou :
ADER (Actions pour le Développement, l’Éducation, la Recherche).


Madame Christiane TAUBIRA
Garde des sceaux, ministre de la justice
Monsieur Manuel VALLS
Ministre de l’intérieur

Madame la ministre,
Monsieur le ministre,

Depuis plusieurs semaines, des contrôles d’identité, fondés sur des réquisitions du procureur de la République selon les fonctionnaires de police, sont opérés aux abords du tribunal administratif de Montreuil-sous-Bois, à la sortie de la station de métro Robespierre. Ces contrôles ont généralement lieu en matinée, aux heures mêmes où se tiennent les audiences du tribunal administratif. Plusieurs témoins ont en outre constaté que seules les personnes de type africain ou maghrébin étaient la cible de ces contrôles.

Ces faits révèlent de graves dysfonctionnements au regard tant des conditions dans lesquelles les réquisitions du procureur de la République sont délivrées que des conditions dans lesquelles elles sont exécutées.

Sur le premier point, le procureur de la République n’ignore évidemment pas que de nombreuses audiences du tribunal administratif de Montreuil sont dédiées au contentieux des obligations de quitter le territoire français (OQTF). Il va de soi que les audiences sont publiques et il est évidemment fortement conseillé aux requérants d’y être présents si bien que de nombreuses personnes, alors en situation irrégulière, s’y présentent quotidiennement, en empruntant notamment le métro. Or, si elles ont fait l’objet d’une OQTF notifiée depuis plus d’un mois, ces personnes peuvent être retenues pour vérification de situation et faire l’objet d’un placement en rétention alors même qu’elles ont formé un recours sur lequel le tribunal doit précisément statuer. Les contrôles aux abords du tribunal les menacent ainsi directement et ne peuvent que les dissuader de se présenter aux audiences où il est pourtant de leur intérêt légitime d’être entendues. Cette pratique constitue une entrave grave et intolérable à l’accès au juge.

En incluant le tribunal administratif et ses abords immédiats dans le champ de ses réquisitions, le procureur de la République fait donc preuve, à tout le moins, d’un manque de discernement particulièrement fâcheux s’agissant d’une autorité chargée de veiller au respect tant des libertés fondamentales que de la loi pénale.

D’autre part, le comportement des fonctionnaires qui exécutent ces réquisitions est également inacceptable et ce à un double titre :

- d’abord au regard des principes qui gouvernent les contrôles d’identité, lesquels ne sauraient être sélectifs et ciblés sur la base de l’origine réelle ou supposée des personnes (C. const. 13 août 1993, n° 93-325, C. cass. Civ 1re, 28 mars 2012, n° 11-11099) ; alors que le périmètre défini par les réquisitions leur permettrait de les exécuter en tout autre lieu que les abords du tribunal, le choix de cibler ce lieu révèle la volonté de viser spécifiquement les étrangers en situation irrégulière, comme de nombreux témoins l’ont constaté ;

- ensuite parce que les interpellations auxquelles les services de police cherchent à procéder par le moyen de ces contrôles d’identité ne sont rendues possibles que par un véritable détournement de l’objet de ces réquisitions : alors même, en effet, qu’elles ne sont délivrées qu’aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’elles précisent, l’interpellation des étrangers dépourvus d’autorisations de séjour ne tend, en pratique, qu’à permettre la mise en œuvre de procédures administratives d’éloignement.

Il est au demeurant pour le moins surprenant que le Procureur de la République ne soit pas, là encore, plus attentif à l’usage qui est fait de ses réquisitions aux fins de recherche d’infractions pénales. Le laxisme dont il fait preuve à cet égard entretient évidemment le soupçon qu’il n’est pas dupe tant du ciblage que des détournements ainsi opérés, à moins qu’il ne les encourage volontairement.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous demandons instamment qu’il soit immédiatement mis fin à de telles pratiques.

Nous souhaitons avoir une réponse rapide à ce courrier que, compte tenu de l’importance des enjeux, nous entendons rendre public et, dans cette attente, nous vous prions de croire, Madame la ministre, Monsieur le ministre, à l’assurance de notre parfaite considération.

Paris, le 4 mars 2014

Signataires :

ADDE, Avocats pour la défense des droits des étrangers
Gisti, Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s
Ligue des droits de l’Homme
Mrap, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples
SAF, Syndicat des avocats de France
Syndicat de la magistrature

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