Une tribune pour les luttes

Internationalistes 13

Égypte : l’escalade des grèves et leurs conséquences politiques

par Jacques Chastaing

Article mis en ligne le dimanche 16 mars 2014

http://www.internationalistes13.org/article-egypte-l-escalade-des-greves-et-leurs-consequences-politiques-122920941.html


L’escalade des grèves

La grève illimitée lancée par les médecins, pharmaciens, dentistes et vétérinaires du secteur public, précédée de multiples mouvements partiels d’avertissement depuis le début de l’année, a commencé le 8 mars et a été suivie selon ses organisateurs pour les deux premiers jours par 80% des médecins (64 000 au total pour la profession). Selon le comité national de grève regroupant les différentes professions de santé, on notait une participation de 100% dans les gouvernorats de Louxor, Sharqiya et Ismaïlia, de 90% dans ceux de Port Saïd ou de Suez, de 80% au Caire et si elle n’était que de 60% et 30% samedi dans ceux d’Alexandrie et d’Assiut, elle passait respectivement à 70% et 80% le dimanche. C’est un véritable succès. Le comité de grève a annoncé qu’il continuerait la grève jusqu’à satisfaction de leurs revendications (augmentation des salaires, nouveau statut, augmentation du budget de la santé) comme il en avait le mandat de la dernière assemblée générale nationale au moins jusqu’au 28 mars, date à laquelle une nouvelle assemblée générale nationale décidera de la suite.

De leurs côtés, sans donner de chiffres de participation, les dentistes, vétérinaires et pharmaciens, publics et privés pour ces derniers, déclaraient que leur participation au mouvement était pleine et entière. Les vétérinaires bloquant pour leur part par un sit-in illimité le siège de la fédération des professions médicales, tandis que les pharmaciens du privé qui sont également membres du comité de grève, signalaient qu’ils étaient partie prenante de ce combat, même si leurs revendications n’étaient pas identiques mais allaient dans le même sens. Ils se battent pour leur part contre une nouvelle taxe que veut leur imposer le gouvernement, pour que la profession reste au service des malades et ne devienne pas un commerce comme le souhaite la chambre de commerce de la pharmacie. Ils demandent donc pour le bien des patients et des services de santé, une administration centrale du médicament comme aux USA et des investissements afin de pouvoir fabriquer en Égypte des médicaments génériques moins chers pour les malades.

Le gouvernement a tenté d’opposer les usagers de la santé et les médecins en tentant de pousser aux affrontements en présentant ces derniers comme des privilégiés égoïstes. Mais ça ne marche pas, les médecins ayant laissé ouvert les services des urgences et un certain nombre de services utiles, comme certains jours de consultation. Par ailleurs si quelques-uns sont riches et cumulent emplois publics et privés, la grande majorité est pauvre et gagne à peine plus qu’un ouvrier. De son côté et dans le même sens, Sissi a lancé un appel aux médecins l’avant veille du début de leur grève en leur demandant de penser plus au public et à l’Égypte qu’à eux-mêmes, d’aimer plus l’Égypte que leur argent, en concluant qu’ils devaient retourner au travail sans plus attendre. Ce qui peut-être une indication de la politique qu’il pourrait mener dans sa campagne s’il se présentait aux élections : tenter de jouer de la lassitude des usagers, citoyens et consommateurs contre les grévistes de tous secteurs.

Mais il a reçu une volée de bois vert en retour puisque le comité de grève lui a répondu immédiatement par voie de presse :

1. qu’il demandait que les hôpitaux militaires autrement mieux fournis que les civils soient ouverts au public si Sissi avait tant que ça le souci du public

2. que les salaires et revenus faramineux des dirigeants du ministère de la santé soient rendus publics et que leurs revenus soient reversés au public s’ils tenaient tant que ça à sa santé

3. que la part du budget de la santé passe de 3,5% à 15% pour le bien être des patients si c’était bien ça qu’avaient en tête Sissi et le gouvernement

4. que les étudiants en médecine pour le public soient aussi bien traités que ceux qui se préparent à travailler pour l’armée si le gouvernement a le souci du public

5. qu’enfin leur grève serait suivie par une escalade et une radicalisation de leurs actions si le gouvernement ne leur donnait pas satisfaction

De fait, Sissi a été contraint au dialogue par voie de presse avec les grévistes et il y a fort à parier qu’il n’en est pas sorti vainqueur dans l’opinion des travailleurs.
Cela d’autant plus que le mouvement des médecins peut être largement compris et soutenu par de vastes secteurs de la population eux-aussi en lutte ou aspirant à une amélioration immédiate de leur condition. A commencer par les autres personnels de santé, comme les infirmières dont on a vu celles de l’hôpital de Tanta, tout comme le personnel de sécurité de cet hôpital, entrer en grève le 8 mars pour le salaire minimum. Et il en a été de même dans d’autres hôpitaux. Mais aussi les habitants eux-mêmes comme dans plusieurs villages près de Kafr el Sheikh ou près de Daqaliya où les habitants se sont rassemblés pour dénoncer le manque de services médicaux dans leur région.

Mais pas seulement. Ainsi les employés des postes sont en grève quasi totale depuis plusieurs jours pour l’obtention du salaire minimum promis aux fonctionnaires d’État mais non aux employés de la fonction publique. Il n’y a pas de statistiques à propos de cette grève, une des premières dans ce secteur, où les employés réclament également la possibilité de construire un syndicat indépendant, mais Hani Shukrallah, un des journalistes considéré comme des plus sérieux en Égypte, estimait le 6 mars, que 80% des postiers étaient en grève. Depuis, on a constaté ici ou là des reprises du travail comme à Menoufiya ou Qenya suite aux promesses du ministre de leur accorder une hausse de 7%, une augmentation de 50% de leurs bonus et de prendre en compte toutes leurs revendications. Mais ailleurs la grève continuait de plus belle comme par exemple à Assiut où les employés des postes ont manifesté ou encore reprenaient le mouvement après un arrêt comme à Kafr el Sheikh, où le gouvernement avait poussé aux affrontements entre usagers et employés.

Par ailleurs si la tactique du nouveau gouvernement semble être de céder - ou tout au moins de promettre - quand la grève prend un caractère trop explosif ou médiatique, afin d’obtenir un délai, comme il l’a fait pour les ouvriers du textile ou les employés des bus du Caire, ce n’est pas sûr que s’il obtient là une accalmie, il ne réveille pas à côté une nouvelle colère. Ainsi après qu’il ait cédé aux employés des bus du Caire, ce sont ceux d’Alexandrie qui se sont mis en grève le 8 mars pendant que les compagnies de transport et les conducteurs de minibus de Mahalla, Kafr el Zayat, Mansoura et Daqalyia s’y étaient mis à leur tour, et réclamaient le salaire minimum et le limogeage de leurs dirigeants.

Mais pire pour le gouvernement, sa démagogie autour du salaire minimum et le fait qu’il ait cédé (ou promis) aux ouvriers des industries publiques du textile, a réveillé d’autres conflits qui s’étaient assoupis, autour de la renationalisation des industries publiques qui avaient été privatisées, notamment du textile. En effet, les salariés de ces compagnies voyant le salaire minimum promis aux ouvriers de la fonction publique alors que le privé en est exclu, sont entrés en lutte pour exiger la renationalisation de leurs entreprises ou même simplement que le jugement des cours de justice qui s’était prononcées pour la renationalisation, soit appliqué. Si Sissi est tant que ça pour la patrie et l’économie, pourquoi serait-il hostile à cette revendication ? Pourtant, il refuse. Ce qui a provoqué quelque chose de nouveau en Égypte, un «  Comité de coordination des travailleurs contre la privatisation  » regroupant 11 entreprises publiques privatisées dont, lin de Tanta, fil de Shebin, chaudières el Nasr, Ideal, Huiles et Savons d’Alexandrie, Mécanique agricole de Nubara, Samanoud, Papier Simo, Petrotrade, qui anime la lutte des travailleurs de ces entreprises depuis 31 jours, en occupant le siège du syndicat d’État depuis un mois. Le comité a manifesté devant le siège du gouvernement le 8 mars pendant que ceux des filatures Shebin al Kom manifestaient à Menofiya. Jusque là, ces combats s’étaient mené usine par usine. Pour la première fois, il y a un début de coordination.

Par ailleurs, le salaire minimum ne concernant que les titulaires, on revoit des mouvements de travailleurs précaires pour leur titularisation, comme par exemple, les enseignants temporaires de Minya qui ont manifesté le 10 mars après bien d’autres, comme les travailleurs temporaires de l’hôpital central de Kom Ombo, pour exiger leur intégration à plein temps.

En fait ce sont quasi tous les secteurs de la fonction publique qui entrent en lutte, à leur tour ou en même temps. Pour ne parler que de ceux entrés en lutte ces derniers jours, citons les employés de la bibliothèque de Damanhour, les personnels ouvriers de l’Université d’Alexandrie et de Kafr el Sheikh, les travailleurs de la Compagnie Nationale de Navigation d’Alexandrie, les agents de nettoyage d’Ashmun, de Banha et de Qena alors qu’à Assouan ils obtiennent une augmentation de 125 LE, les employés du ministère de l’agriculture pour la réforme agraire à Louxor, les salariés de l’irrigation à Kafr el Sheikh et Nag Hammadi, ceux chargés de la gestion des semences du ministère de l’agriculture aussi à Kafr el Sheikh, l’usine de verre pharmaceutique de Suez, sans oublier ceux de l’entreprise de Céramique Cleopatra à Suez, Benzaioun à Qena, la centrale électrique d’Ain Sokhna aussi à Suez pour différentes revendications et qu’à l’entreprise Kima à Assouan ainsi que ceux des engrais toujours à Assouan, le ministre de l’industrie a promis de satisfaire leurs revendications ...

Bref la grève générale illimitée des professions de santé s’affirme sur fond de multiples grèves éclatées dans les secteurs publics de la Poste, du textile, des transports, des routes et ponts, de la navigation, de la métallurgie, de l’administration agricole, du commerce et pourrait bien les représenter plutôt que de trouver l’hostilité du public, malgré le nouveau gouvernement et ses méthodes qui pour le moment n’arrête rien du tout.

Situation sociale désastreuse et situation politique électrique

Si les travailleurs entrent en grève ainsi, ce n’est pas par gaieté de cœur mais parce qu’ils y sont contraints par la situation économique catastrophique.

Depuis la révolution, le chômage a augmenté de 50%. L’inflation est à deux chiffres depuis longtemps, 11,7% sur la dernière année : et elle a été à nouveau de 11,4% en janvier et 10,2% en février et bien plus pour les produits de première nécessité alors quels salaries sont ridiculement bas. Les coupures d’électricité qui étaient rares en hiver deviennent la norme et se sont encore aggravées cet hiver. En réponse, une bonne partie des égyptiens sont en situation de désobéissance civile et ne payent plus leurs factures. On estime qu’ils ont été 12 millions l’an passé à ne pas payer. Du coup, le 9 mars 2014, le nouveau gouvernement a décidé d’augmenter les tarifs d’électricité de 10 à 15% pour les gros consommateurs. Ce qui ne va pas arranger sa popularité.

Par ailleurs, alors que la pénurie de gaz se fait déjà sentir, le gouvernement vient de relever de 800% en ce début d’année les tarifs autoroutiers pour les camions et bus, ce qui va se répercuter sur les prix à la consommation et pourrait bien entraîner aussi les camionneurs dans une lutte comme ils en ont menacé le gouvernement.

On a constaté que cet hiver, qui a été particulièrement froid et pluvieux, plusieurs personnes sont mortes de froid. Ce n’est pas que l’Égypte soit un pays froid, mais avec la malnutrition, la dégradation des services de santé et de nettoyage, la propagation plus facile et rapide des épidémies, les organismes sont fragilisés, tout particulièrement ceux des égyptiens qui vivent dans la rue ou des bidonvilles insalubres, en rappelant que 40% des 85 millions d’égyptiens vivent avec moins d’un euro par jour. Ainsi s’il n’y a pas de chiffres officiels, deux journalistes ont écrit que rien pour la région du Grand Caire, ils estimaient à 30 000, le nombre de personnes mortes de froid cet hiver.

C’est ce fond social hautement explosif de misère et de luttes qui a provoqué la chute du gouvernement Beblawi le 24 février.

En effet, depuis le début de la révolution de 2011, la promesse d’un salaire minimum a été le hochet que les gouvernement successifs ont agité devant les classes populaires en révolte pour tenter de les calmer. Et tout le monde a en mémoire que la chute du gouvernement Morsi a été provoquée en partie par son refus de mettre en application le salaire minimum sinon pour seulement 120 000 fonctionnaires alors qu’il y a 7 millions d’agents de la fonction publique. Par ailleurs le printemps 2013 avait vu surgir un nombre considérable de grèves, tel que l’histoire n’en a jamais connu. Des millions de personnes des milieux populaires qui n’avaient pas été entraînées par la révolution de 2011 montaient sur la scène sociale. Ce sont particulièrement eux que Sissi a su trompé.

Sissi a renouvelé la même promesse en septembre 2013 : le salaire minimum de 1200 LE serait appliqué en janvier 2014 à toute la fonction publique. C’est entre autre grâce à cela mais aussi à ses promesses de renationaliser une partie du secteur privatisé et d’accorder les libertés syndicales, tout cela personnalisé au gouvernement par la présence du ministre Kamal Abu Eita, fondateur du premier syndicat indépendant sous Moubarak et acteur important de la lutte pour le salaire minimum, que Sissi avait pu obtenir un certain soutien populaire pour sa lutte contre le terrorisme islamiste. C’est pour ça qu’on a vu des centaines de syndicats -y compris indépendants - se prononcer en faveur de Sissi et de sa constitution. Et que les travailleurs ont fait preuve d’une certaine patience. dans certaines grèves, on voyait même des portraits de Sissi portés par des travailleurs.

Mais entre temps, la promesse du salaire minimum a été réduite aux seuls fonctionnaires d’État. C’est pour ça qu’on a vu ressurgir des luttes début février quand bien des salariés de la fonction publique qui avaient patienté jusque là se sont aperçu de l’escroquerie. Et à cette revendication du salaire minimum a été associé à ce moment tout ce qu’avait promis Sissi et qui traîne depuis janvier 2011, la renationalisation des secteurs privatisés, l’obtention des libertés syndicales et l’élimination de la corruption au sommet de l’État comme de la machine économique. Car le «  dégage Moubarak  » de début 2011 signifiait pour le peuple « dégage tous les petits Moubarak  » à tous les niveaux et pas seulement le dictateur. Il en allait de même en 2013. Le peuple en lutte voulait dégager la politique économique de Morsi et tous ses serviteurs, et pas seulement Morsi et encore moins – dans un premier temps en tous cas - les Frères Musulmans.Ce dans quoi l’armée l’a finalement entraîné.

Les revendications actuelles sont donc le retour de boomerang des promesses non tenues de Sissi. En quelque sorte, un spectre le hante : ses promesses. Car à la différence de Moubarak qui n’avait qu’à lever un sourcil pour qu’aussitôt ses forces de sécurité écrasent sans bruit toute velléité de révolte, Sissi, lui, est obligé d’écouter l’opinion publique, de tenir compte d’elle, de gouverner avec elle. Pour ça il promet, il promet, il promet. C’est ce que semble faire le nouveau gouvernement. Il réprime un peu, mais surtout il va à la rencontre des grévistes, cède à tout, ou plus exactement promet tout, en se disant que comme ça, il gagne du temps, qu’il ne tiendra pas ses promesses mais que les élections lui permettront alors de gagner encore un peu de temps, et ainsi de suite, jusqu’à ce que la situation lui permette de frapper vraiment.

Mais en même temps, plus il promet, plus il accumule de la dynamite, chaque promesse se transforme en un spectre de plus en plus grand et menaçant qui vient hanter le régime et tous les possédants. Les promesses sont d’autant plus dangereuses que la partie du peuple qui y croit est celle, la plus pauvre, la plus marginalisée dans l’économie, qui n’a pas participé à la révolution de janvier 2011 mais qui est montée sur la scène sociale seulement en juin 2013 et que Sissi a maintenu sur la scène politique depuis en en faisant un acteur de sa lutte contre le terrorisme. Cette population qui vient d’arriver sur la scène politique et qui veut croire dans les promesses de Sissi parce qu’elle meurt de faim, pourrait très bien se retourner contre son idole, et cela du jour au lendemain, dés qu’elle s’estimerait trompée. Ce qui sépare leur espoir de leur rage est infime. On les voit en rage contre les Frères Musulmans ou contre les militants démocrates révolutionnaires qui s’opposent à l’armée, parce qu’ils voient en eux des privilégiés très loin de leur préoccupation de survie quotidienne et qui ne font par leur opposition que repousser l’arrivée au pouvoir de Sissi et la réalisation de leurs espoirs. Mais les mêmes ne s’opposent pas aux ouvriers en lutte, parce qu’ils en sont aussi, ou les côtoient dans les mêmes quartiers, les mêmes luttes pour le pain, en particulier dés que ces ouvriers manifestent avec des pains ou des gamelles, ce qu’ils font souvent, pour faire comprendre dans quel camp ils se trouvent. Si les espoirs de ces nouveaux arrivés sur la scène politique tombent, ils seront les premiers à vouloir brûler leur idole. Et d’autant plus violemment. Car il n’y a rien de pire que les espoirs trahis.

Aussi, dans une dernière tentative dérisoire à la manière de Coué, le gouvernement vient de signer le 10 mars une charte avec le syndicat d’État à sa solde, où les ouvriers s’engageraient à ne plus faire grève pendant un an et à travailler gratuitement deux heures de plus chaque jour pour sauver la patrie. Ça indique bien ce qu’il veut : du temps pour les élections. Mais c’est ridicule, ça ne peut que convaincre un peu plus que ce nouveau gouvernement est encore pire que le précédent. D’autant plus que Sissi avait promis de rompre avec le vieil appareil de Moubarak et qu’on voit ce dernier revenir au galop.
La chute du gouvernement Beblawi est une rupture avec les hommes de l’opposition, ceux qui ont accompagné la révolution du 25 janvier 2011. Ceux du parti Destourien, social-démocrate, nassérien l’ont quitté parce qu’ils étaient en profonde crise, ne pouvant plus assumer l’essentiel des reproches populaires, sans risque d’explosion interne, comme ils l’avaient fait depuis leur appel au secours de l’armée le 3 juillet contre la révolution sociale menaçante. Il ne reste que des anciens du PND ou proches de Moubarak - comme la nouvelle ministre du travail - pendant que d’autres, ou les mêmes, sont des nouveaux milliardaires, hommes d’affaires partisans des privatisations. Certains y voient un gouvernement resserré autour de Sissi ayant jeté dehors les anciens de l’opposition pour préparer l’élection de Sissi. Certes il y a un peu de juste dans ce point de vue. Mais il faut peut-être aussi et surtout se demander si ce n’est pas l’opposition qui a choisi de partir en voyant venir la tempête et que Sissi n’a plus le choix de ses amis surtout depuis son échec au référendum, depuis que tout le monde - partis d’opposition compris - a vu que le peuple avait commencé à le lâcher. Quoi qu’il en soit, c’est un bien mauvais gouvernement pour préparer la candidature de Sissi. Et le fait que les grèves ne s’arrêtent pas, le montre chaque jour qui passe.

Et c’est bien pour tout cela que Sissi hésite à se présenter aux présidentielles. Peut-être le fera-t-il finalement autour du 11 mars, comme ses amis l’ont à nouveau écrit. Ce que les humoristes raillent en disant qu’ils ont écrit au moins mille fois depuis deux mois qu’il allait se présenter dans les heures qui suivent.

D’un côté, Sissi peut difficilement ne pas se présenter sans trahir tous ceux du peuple à qui il avait promis de défendre leur cause et on voit quelques petites manifestations d’encouragement à sa candidature, mais dont on peut se demander si la faible participation ne fait pas la démonstration inverse. D’un autre côté, il sait d’une part qu’il ne pourra pas résoudre la question sociale et d’autre part que sa tentative de bonapartisme, de dire aux ouvriers «  je vous ai compris  » pour les calmer, est en train de trouver ses limites. En conséquence, en se présentant aux présidentielles, il sera peut-être le prochain a être renversé, lâché par l’appareil d’État comme l’ont été Moubarak et Morsi pour sauver l’essentiel face à la révolte qui gronde, peut-être même arrêté, jeté en prison. Il servira de bouc émissaire et peut-être même ce mouvement a-t-il commencé. Peut-être commence-t-il à sentir que le soutien de ses partisans ressemble de plus en plus à la corde qui soutient le pendu.

Le jour où Sissi décidera de se présenter aux élections, s’il le fait, il scellera son destin, qui peut être tragique. Alors que s’il ne se présentait pas, il serait assuré du plus haut poste dans l’armée et d’une certaine tranquillité.

Mais quel que soit son choix, ses longues hésitations depuis que son plébiscite a échoué les 14 et 15 janvier, avec une participation faible, en particulier dans la jeunesse, montrent que le régime n’est plus celui qui mobilisait des millions d’Égyptiens le 26 juillet dans les rues ou qui imposait des lois scélérates en novembre 2013 interdisant de fait, les grèves et les manifestations, mettant plus de 20000 personnes en prison.

Et ce qui est encourageant pour l’avenir, quels que soient les calculs et les tactiques en haut, c’est qu’on voit des évolutions de conscience politique en bas.Et c’est ça qui est important, pas tant les calculs en haut.

Le dimanche 2 mars, les travailleurs en grève de 9 compagnies industrielles, les représentants de la grève des médecins, des représentants de la poste, ainsi que des représentants des syndicats indépendants de l’aviation civile et des chemins de fer ont répondu au nouveau premier ministre égyptien qui avait lancé un appel à cesser les grèves et à travailler plus pour sauver l’économie égyptienne, en déclarant que dorénavant ils unifieraient leurs luttes et leurs forces afin d’obtenir :

· le salaire minimum que le gouvernement avait promis mais pas tenu

· le retour des compagnies privatisées au secteur public

· le limogeage de tous les éléments corrompus de leurs secteurs respectifs

· de meilleurs conditions de travail et de salaires pour tous les secteurs, santé, poste, aviation, chemins de fer, compagnies privées...

Ils ont expliqué que jusqu’à présent, ils avaient tous mené des luttes et des grèves, même nationales, mais isolément et avaient tous perdu. Ils avaient donc dorénavant décidé d’unir leurs luttes. Ce qui est un peu plus qu’une coordination des luttes, mais dans le contexte égyptien, aussi l’embryon d’un parti ouvrier large encore flou avec l’amorce d’un programme.

Les médecins ont fait une déclaration spécifique disant que pour leur part, ils avaient toujours mené leurs luttes de leur côté, séparés de ce qui se faisait ailleurs, mais que maintenant ils avaient décidé de se battre avec les autres.

Par ailleurs ils ont rejeté le choix de la nouvelle ministre du travail Nahed Al-Ashry, «  l’ennemi numéro 1 des travailleurs ». Une campagne de pétitions du type de « Tamarod  » a déjà commencé dans les milieux ouvriers et syndicaux afin de retirer la confiance à la nouvelle ministre. Ils ont demandé également le limogeage du ministre de la santé dont les médecins avaient déjà refusé la nomination du temps de Moubarak. Ils ont enfin dénoncé le nouveau gouvernement comme un cabinet de guerre contre les travailleurs, composé essentiellement d’anciens du PND, le parti de Moubarak.

Quel que soit le choix de Sissi, qui tend peut-être de plus en plus à se réduire maintenant chaque jour qui passe à une question d’ordre secondaire, l’avenir se construit là.

Jacques Chastaing

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