Une tribune pour les luttes

La première internationale des travailleurs, une grande âme

Article mis en ligne le mercredi 10 septembre 2014

Source : blog.mondediplo.net

mercredi 3 septembre 2014, par Christophe Goby

« Jésus ne pouvait pas, c’est Marx qui est venu » telle est la dernière réplique de la farce de la compagnie L’Autre scène, adaptée de la pièce d’Howard Zinn [1] présentée à l’occasion des 150 ans de la première Internationale à Nancy le week-end du 13 au 15 juin 2014.

C’est une chorale militante de Nancy qui est à l’initiative de cet anniversaire de l’Association internationale des travailleurs (AIT), dont ont fait partie Karl Marx ou Michel Bakounine mais également des acteurs importants de la Commune de Paris, comme Eugène Varlin. Un stage intersyndical entre militants de la CGT, de la FSU et de Solidaires sur l’histoire du mouvement ouvrier avait réuni quatre-vingt participants deux jours auparavant. Stéphane Thomas, militant au NPA entre autres, explique son engagement pour ses journées : « Du 13 au 15 juin j’étais à Nancy parce que c’est là que je vis. C’est aussi là que je milite : j’étais donc au week-end des 15 ans de l’AIT. Je suis d’ailleurs toujours à Nancy et toujours prêt à saisir une opportunité de faire un croche-pied au talon de fer. »

Manu fait partie des Sans Noms, cette chorale qui regroupe bon nombres de militants de Nancy dans un œcuménisme tout à gauche. Il raconte entre deux invités : « Ça entre en résonance avec les débats de l’extrême gauche. L’AIT fut la première force politique dans le camp prolétarien et sans donner prise au stalinisme et aux querelles qui suivirent. » La scission interviendra au Congrès de la Haye entre les antiautoritaires (les anarchistes), et les « marxistes », pour reprendre le terme de Bakounine. Les premiers refusent d’entrer dans le jeu politique tandis que les autres y voient un moyen d’action supplémentaire. A cela s’ajoute une donnée fondamentale que Mathieu Léonard a rappelé dans son livre [2] : la création des caisses de grève. Trois ans après la naissance de l’AIT, en 1864, des caisses modestes soutiennent les combats. Mais l’AIT restera « une grande âme dans un petit corps », comme le disait Charles Rappoport, un militant communiste anti-stalinien dès les années 1920. Elle aura le mérite de regrouper des proudhoniens et des fouriéristes, des hommes du peuple qui exercent les métiers de mécanicien, imprimeur ou joaillier à Paris, des Suisses de la Chaux-de-Fonds, des blanquistes qui claqueront la porte, une poignée d’Italiens et de Belges. Elle fut surtout tenue par les Trade Unions anglais et par les ouvriers de Paris.

On mesure l’importance de cette déclaration, moins d’un siècle après la révolution française, un slogan, comme l’explique Mathieu Léonard, qui devait écarter le peuple de la morale bourgeoise ou cléricale, et des partis. On sait comment le syndicalisme en France s’est construit dans cette ambivalence à l’égard des partis. « Benoit Malon, Albert Theisz, Varlin organisent des milliers de travailleurs. Le rapport de cotisations donne un millier de membres à l’AIT à Paris mais beaucoup s’inscrivent dans son projet par consentement oral. » André Bastelica, « un apôtre », qui sera fer de lance de la Commune de Marseille, fédérera des milliers de travailleurs jusque dans le Var. Jean Vasseur annonce alors que cinq cents ouvriers sont prêts à adhérer à Marseille tandis qu’à Fuveau les mineurs débrayent.

Comme d’habitude, « la guerre sera une déchirure pour l’AIT. Elle n’a pas les épaules ». Comme l’ajoute Eric Fournier [3], historien de la Commune de Paris à propos d’un de ses membres, « Tolain est exclu parce qu’il siège à Versailles ». Et pour cause… Si la Commune fut un élan spontané, les membres de l’Internationale présents dans la Garde Nationale, qui ne voulait reconnaître que les chefs qu’elle se donnait, furent nombreux : lors d’une réunion au Vauxhall en février 1871, ses délégués représentant deux cent cinquante-quatre bataillons refusent de se laisser désarmer par Adolphe Thiers. C’est en assemblée générale qu’ils font regrouper les canons à Belleville et Montmartre. Ces éléments hostiles aux armées permanentes et à la discipline sont souvent des anarchistes.

Pour Mathieu Léonard, la Première Internationale fut d’une grande fraîcheur. « Elle répond à une nécessité, celle pour les travailleurs de prendre la parole ». Le besoin de s’associer a contribué à sa fondation. « J’ai un attachement particulier à Eugène Varlin qui fut tout le contraire d’un chef, et le modèle d’un organisateur. » Son abnégation le conduit à mourir sur la butte Montmartre, lynché, et fusillé. Sa soif de dépassement de sa condition ne l’a pas mené au dogmatisme. Il fonda la Marmite, une coopérative où l’on mangeait et chantait notamment le Chant des ouvriers, un petit chef d’oeuvre de poésie. Varlin demeure moins connu que Louise Michel, « une franc-tireuse, une blanquiste ».

A côté d’Hubert Truxler, alias Marcel Durand [4], ouvrier chez Peugeot, Jean Marc Rouillan explique aussi sa venue à Nancy en pleine grève des cheminots — ceux de Sud Rail sont d’ailleurs venus donner des nouvelles : « Je maintiens mon passé vivant pour participer au futur. J’ai eu une chance dans ma vie : avoir seize ans en 68 ! »

La parole ouvrière fut au cœur de cette rencontre. Anne Mathieu organisa à dessein une table ronde sur l’histoire du syndicalisme. Si la grève lui faucha ses intervenants, elle trouva une relève conséquente avec les travailleurs du spectacle ou les cheminots présents. Hasard de l’histoire, ce furent des chorales révolutionnaires venues de Marseille, de Londres ou encore le chœur d’Alsthom de Manheim qui chantèrent l’Internationale avant qu’une femme, seule, impérieuse, n’entame le chant de Cheik Imam, Chayed Kousourak, un hymne repris de la place Tahrir à Marrakech. Comme quoi l’Internationale passe un peu plus au sud désormais... et reste ce grand mouvement de fraternité, célébré souvent par la chanson, entre des hommes de même condition, portés par une souffrance, celle du travail, dans une société fondée sur son exploitation.

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