Je me dirigeais ce soir, à 18 heures 30 vers le Palais Longchamp où était annoncé un rassemblement en mémoire de Rémy Fraisse. Arrivée aux grilles du Palais, un écriteau signalait de se rendre aux Réformés. Là personne. Je descends le Boulevard Longchamp et je me dirige vers la Canebière. Arrivée au kiosque à musique, je vois des jeunes qui sautent par-dessus la grille et des CRS en bas qui les chassent. Certains se sauvent, il en reste 5 ou 6. Un policier plaque brutalement un jeune homme aux cheveux logs contre le mur du kiosque, je m’approche et apostrophe les CRS. De quel droit brutalise-t-il ce garçon ?
On me répond « contrôle d’identité » Je me mets à côté de ce jeune et de 2 jeunes filles interpellées elles aussi, alors qu’elles prenaient un café à la terrasse du bar d’à côté. Je demande à ce qu’on me contrôle moi aussi, il n’y a pas de raison de s’en prendre toujours aux jeunes. Les policiers ne se le font pas dire de fois, prennent mes papiers et fouillent mon sac.
Je leur demande de quel droit ils nous contrôlent. « Parce que nous faisons, disent-ils, partie de la manifestation (ils ne disent pas laquelle) et que nous n’avons pas d’autorisation de la préfecture. Je dis « ce n’est pas une manifestation mais un rassemblement et dans ce cas, nous n’avons pas à demander d’autorisation. »
Le ton monte. Les Crs se montrent hargneux et veulent embarquer au commissariat deux jeunes qui n’ont pas de papier. Je leur dis qu’ils n’ont pas le droit de les embarquer, qu’ils ont déjà montré de quoi ils étaient capables, leur rappelant la mort de Rémy, un jeune de 21 ans. Ils me répondent que c’est la loi, qu’ils obéissent aux ordres. Je m’oppose. Un d’entre eux me dit que c’est leur déontologie. Celui la, il a retenu les « gros mots » qu’on lui a appris.
Ils sont plus d’une vingtaine, nous sommes 7. Sur les trottoirs, je le verrais en repartant, il y a une file impressionnante de véhicules de police.
Il fait nuit, leurs gyrophares soulignent leur présence, l’ambiance inquiétante, la peur qu’ils veulent faire régner sur les passants.
Excédée, j’essaie d’appeler mon mari au téléphone. Il me dit que le même scénario a eu lieu 30 minutes plus tôt devant le Palais Longchamp, sauf qu’il y avait encore plus de présence policière, une cinquantaine de CRS. Il me dit qu’il vient me rejoindre avec deux copains. Je reste vigilante, les tentatives des flics pour impressionner les jeunes n’arrêtent pas. Ils menacent d’emmener ceux qui n’ont pas leurs papiers au commissariat : il est interdit de sortir sans papier dans la rue, disent-ils. Ils bousculent encore les jeunes. Je crie qu’il est aussi interdit qu’ils nous touchent. Ils s’en prennent à moi, me disant que je les énerve et me poussant pour me faire partir. Je veux rester pour voir ce qui se passe. Il me dise de me taire, de me calmer, sinon… et il me bouscule, hargneux.
A ce moment mon mari arrive avec les 2 copains et demande, choqué ce qui se passe. Il se fait très vite contrôler avec la même brutalité. Il parle de police du peuple ; les CRS sont furibonds et lui répondent qu’ils ne sont pas là pour parler de politique. Les flics nous cernent de plus en plus près mon mari et moi et nous poussent violemment pour nous faire partir. J’en pousse un moi aussi, ça le met en rage, mon mari me fait signe de m’arrêter car ça sent le grabuge. Il vaut mieux ne pas les énerver plus. Je leur dis qu’à leur place j’aurais honte de faire ce métier. Ils répondent furieux qu’ils ne font qu’obéir aux ordres. Nous nous mettons à l’écart. J’appelle les journalistes que je connais, la rédaction de la Marseillaise me répond. L’AFP me dit que n’assistant pas à la scène car pas avertis, ils ne feront pas d’article à partir du texte que je me propose d’écrire. C’est – me disent-ils- ma parole contre celle de CRS. Je raccroche écoeurèe.
En repartant, je vois tous les véhicules de police garées sur les allées Gambetta. Une quinzaine. Il y avait donc encore plus de policiers prêts à intervenir.
Nous étions 7 jeunes et moi en face d’eux ! Ce serait ridicule si on pouvait en rire. Malheureusement, la situation à Marseille devient chaque jour plus tendue, les contrôles et les fouilles sur n’importe quel prétexte, la population jeune visée directement, jusqu’où ça va aller ? Chaque jour on se dit qu’on est au pied du mur, que ce système ne peut plus durer. On constate qu’on est en état de guerre, que la démocratie recule chaque jour et que la dictature s’installe.
Témoignage de Viviane Sanchez-Delanaud
Marseille 1er arr.
Militante politique et droits de l’homme.
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