Une tribune pour les luttes

Pourquoi créer un comité contre la guerre impérialiste ?

Comité « Ni guerres impérialistes, Ni état de guerre » de Marseille

Article mis en ligne le lundi 21 mars 2016

Pourquoi créer un comité contre la guerre impérialiste ?
(texte lu en introduction à la réunion tenue le 19 mars 2016 à l’Équitable Café
par le comité « Ni guerres impérialistes, Ni état de guerre » de Marseille)

Nous résumerons ici les raisons de la création d’un comité contre la guerre en présentant deux constats.

1° constat. Il n’existe pas à l’heure actuelle d’opposition sérieuse à la dénommée et interminable « guerre contre le terrorisme  » à laquelle s’est ralliée la France. Autrement dit, et pour simplifier : il n’existe pas de critique de principe, c’est-à-dire clairement anti-impérialiste, des guerres françaises. Les mouvements contre la guerre impérialiste n’ont certes jamais été puissants en France mais ils ont eu au moins le mérite d’exister et de faire entendre un antagonisme, une voix révolutionnaire. L’occupation de la Ruhr, la guerre du Rif contre l’héroïque soulèvement mené par l’émir Abdel Krim, la guerre d’Indochine ou la guerre d’Algérie ont donné lieu à des mouvements en France qui ont fait face à l’État. Ailleurs, quelles que soient leur orientation politique stratégique ou leurs limites, des mouvements ont existé dans les centres anglo-saxons comme « Not in our name  » pour dénoncer les réponses de Georges Bush au 11 septembre ou, plus proche de nous, la manifestation des vétérans anglais jetant leurs médailles pour protester contre les bombardements britanniques en Syrie.

Mais qu’en est-il aujourd’hui en France ? Sur la scène publique et militante, la critique des opérations guerrières ne semble pas aller de soi. En tout cas, la critique ne va pas au-delà de conseils avisés sur la meilleure manière de gagner contre les djihadistes de Daech, déclarés unanimement ennemis n°1 de l’ « extérieur  » et de l’ « intérieur  ». La désignation commune de l’ennemi n°1 a une conséquence évidente. L’ordre international des brigands impérialistes, le fameux capitalisme global, n’est donc pas défini comme l’ennemi n° 1, il n’est pas remis en cause comme ennemi principal des classes exploitées d’ici et de là-bas.

Il est vrai que l’État islamique n’a actuellement pas d’équivalent parmi les groupes djihadistes, y compris Al Qaida. Il est le seul à avoir un projet visant à la construction d’un État territorial doté d’une administration et d’une économie propre alors que les autres groupes djihadistes agissent à la manière de seigneurs de la guerre en occupant transitoirement de petits espaces de repli qui leur servent à monnayer leur « collaboration  » auprès des forces impérialistes et autres puissances régionales. Avec une part de ruse, mais aussi une indéniable intelligence politique, l’EI a su utiliser les humiliations provoquées par les interventions impérialistes pour s’insérer dans deux conflits importants non encore résolus pour l’instant : les luttes de pouvoir confessionnelles qui ont ravagé les terres d’Irak et de Syrie depuis 2003 et la relation des sociétés occidentales avec leurs propres musulmans. Il ne faut pourtant pas se leurrer : Daech ne fait pas le poids militairement et l’ordre social des états occidentaux n’est pas en danger. Comme toujours et bien qu’il détiennent une supériorité militaire évidente, sitôt que leurs intérêts sont quelque part remis en cause, les grands impérialistes hurlent que c’est l’humanité tout entière qui est menacée (voir Nasser qui avait été traité de « nouvel Hitler  » au moment de la crise du canal de Suez ou l’Irak de Saddam Hussein décrété quatrième armée du monde).

Ce n’est pas la queue qui remue le chien. C’est l’inverse. Il est logique que les classes dominantes exagèrent l’importance de leurs cibles (même quand il s’agit d’Al Qaïda, qui est alternativement soutenu et combattu selon les circonstances) alors qu’elles ne visent en fait qu’à détruire l’Irak et à morceler le Moyen-Orient. Mais ce qui est inacceptable et honteux, c’est le comportement des anticapitalistes déclarés qui reprennent ce discours en le maquillant d’un jargon « gauchisant  ». Si on veut qu’un mouvement contre la guerre existe en France, il faut sortir à tout prix de la sidération anti-terroriste. Ce que nous dénonçons en premier lieu c’est l’impérialisme français dans toutes ses manifestations. Il est vrai, cette tâche s’accomplit dans un contexte difficile et nous le savons. Nous ne nous heurtons pas seulement aux ralliements purs et simples à la guerre des civilisations comme celui de l’écrivain Erri de Luca devenu un ardent défenseur de la déchéance de la nationalité et donc de la grandeur de posséder la nationalité française. Mais nous nous heurtons aussi et surtout aux semi-dénonciations de « l’état de sécurité  » instauré en France et à la semi-dénonciation du rôle des puissances impérialistes dans les conflits au Proche-Orient. Semi-dénonciations qui s’arrêtent à un point précis : le principe d’ingérence française dans les affaires des autres nations et d’intervention sur leurs territoires n’est pas remis en cause.

Semi-dénonciations qui cachent que l’état de guerre n’est pas seulement extérieur mais aussi intérieur, que dans la métropole impérialiste aussi il faut que règne un climat de guerre, de suspicion, de psychose, de contrôle, de militarisation : la démocratie sait recourir aux méthodes fascistes quand elle en a besoin.

Pour nous, la seule position internationaliste conséquente nécessite de considérer l’impérialisme français comme notre premier ennemi car c’est celui dans lequel nous vivons et que nous subissons.

2° constat. Nous avons besoin d’idées claires et de principes communs. Il est nécessaire de comprendre les origines et les tendances des guerres actuelles, de comprendre en particulier que les guerres sont consubstantielles à l’impérialisme, à sa situation actuelle de crise généralisée. C’est la seule solution si on ne veut pas être soumis aux seules explications de l’idéologie dominante et à ses diverses variantes véhiculées par la bourgeoisie de gauche. La position que chacun et chaque groupe est amenée à prendre face aux guerres actuelles et futures vient d’une analyse sur l’origine des violences qui ravagent le monde. Il faut donc se confronter à une question simple : d’où viennent les guerres qui ravagent le monde ?

L’explication standard matraquée un peu partout sur la situation actuelle est la suivante : depuis le 11 septembre 2001, le monde a changé, c’est-à-dire que c’est désormais le terrorisme qui menace les « grandes démocraties  » et « l’islam radical  » en est le ferment. Toute la situation mondiale est expliquée par l’opposition entre d’une part d’inoffensifs démocrates, en général occidentaux, libres et tolérants, au moins depuis les Lumières, et d’autre part des hordes meurtrières islamistes, des barbares arriérés et nihilistes, des monstres froids sortis tout droit du fanatisme moyenâgeux.

Nous refusons cette fable de la lutte de la Démocratie contre la Barbarie. Les confits fondamentaux de notre époque ne viennent pas de l’affrontement noble entre un Occident civilisé et ses alliés locaux face à des monstres barbares qu’ils s’ agissent de petits despotes locaux comme Bachar el-Assad ou Khadafi ou de bandes armées se réclamant de l’islam. Les guerres menées actuellement par la France et par d’autres puissances impérialistes ne sont qu’un épisode d’une guerre de domination pour le partage du monde, des zones d’influence et du contrôle des ressources. Lénine a décrit parfaitement, il y a 100 ans, dans sa brochure d’une actualité sidérante : l’Impérialisme stade suprême du capitalisme, les bases réelles des guerres contemporaines. L’impérialisme n’est pas une politique circonstancielle mais une étape précise du développement du capitalisme. Les grands groupes capitalistes, les banques et les fonds financiers se partagent « amicalement  » le marché mondial jusqu’à ce que la guerre le repartage à nouveau. Dès ses débuts, le capitalisme est né dans et par la guerre. Il fallait deux conditions pour que ce mode de production apparaisse : 1) une partie de la population qui n’a comme bien que sa force de travail et 2) une accumulation primitive du capital par la dépossession et le pillage et cela est passé comme chacun le sait par le génocide des Amérindiens et l’esclavage transatlantique. La guerre est consubstantielle au capitalisme. La « mondialisation  » ne vient pas des nouvelles technologies mais de la recherche de valorisation du capital et la lutte entre les capitaux débouche inévitablement sur les affrontements militaires.

Revenons à quelques circonstances particulières immédiates. Pour quelle raison subite les courants de la religion politisée de type saoudiens se sont mis à essaimer, à se renforcer, sur les décombres de l’Afghanistan, de l’Irak, de la Syrie, de la Libye, du Sahel, de la Somalie et d’où vient que parfois ils prennent pour cible ceux qui les ont sponsorisés depuis des décennies ?

D’une part, les mouvements nationalistes anti-coloniaux ont été systématiquement détruits (quelquefois par la répression, mais aussi par la corruption et l’intégration des élites arabes, qui les a amenées à accepter le statu quo impérialiste et à abandonner la perspective de la nation arabe unifiée). Le prolétariat des pays impérialistes étant absent en tant que sujet historique actif, ce sont donc des groupes se revendiquant de l’islam politique qui ont repris le drapeau de l’opposition aux ingérences occidentales. Mais sous le masque de la religion et la glorification du passé, ce sont des forces sociales bien réelles qui sont en action. Dans cette affaire, la religion joue un rôle de ciment socio-politique pour des populations abandonnées, isolées et opprimées.

D’autre part, les États impérialistes mènent actuellement et depuis de nombreuses années des opérations guerrières dans de nombreux pays. En Irak, en Syrie, dans le Sahel et en Centrafrique. Et une nouvelle intervention en Libye se prépare. Manuel Valls, le premier ministre de l’Impérialisme Français, a déclaré que la guerre en cours était celle contre le djihadisme, l’islamisme et contre Daech, qu’elle était « totale et mondiale  », et qu’elle allait durer pour une ou plusieurs générations (déclaration à la BBC le 22 janvier 2016). On sait que la destruction de l’Irak puis le chaos installé en Libye ont été favorables à l’apparition des petits émirats et des états clients comme le Kurdistan irakien autour des puits, des mines, des voies de passage aux ressources. Des mouvements qui ne reconnaissent pas les États-nations arabes sont donc avantagés par ce genre de situation.

La France a déjà bombardé la Syrie en 1945 et l’ordre de toute la région est depuis l’expédition de Bonaparte en Égypte de 1798 et surtout depuis le démantèlement de l’Empire Ottoman après 1918 (préfigurés par les fameux accords Sykes-Picot), un ordre dans lequel toute velléité d’indépendance du monde arabe est réduite en cendres, jusqu’à imposer de toutes pièces une colonie occidentale comme « Israël  ».

Mais la logique de guerre s’étend en France elle-même. Avant de l’être dans les banlieues en 2005, l’état d’urgence fut déclaré en Kanaky en 1984, là où les communards et les insurgés kabyles furent déportés après la Commune de Paris et la révolte de Si-Mokrani. Ce théâtre oublié du colonialisme contemporain forme une sorte de triangle avec l’Afrique et en particulier l’Algérie (l’ancienne colonie de peuplement) et les banlieues ou quartiers populaires. De cette vie de parias aux interventions économiques et militaires actuellement menées par la France, il n’est pas si difficile de comprendre pourquoi l’État Islamique exerce une telle attraction sur une partie de la jeunesse. Il y a une surdité totale sur cette question en France. Les raisons d’embrigadement d’eurodjihadistes sont présentées surtout comme le résultat d’une propagande sophistiquée sur le web. Beaucoup moins souvent comme le résultat de la relégation et de la discrimination mais quasiment jamais comme le fruit des guerres actuelles.

Cet aveuglement a créé un climat de psychose très particulier. Lorsque les élèves des collèges et lycée de France ont dit après le 13 novembre que les odieux attentats étaient une conséquence des bombardements en Syrie, leurs enseignants ont été paniqués et désemparés et dans le pire des cas, ils ont dénoncé cette évidence comme un propos hérétique et toxique.

La France est un centre impérialiste mondial amassant des ressources considérables, sans égard pour leur coût humain. Des multinationales françaises, comme Total, Bolloré ou encore Areva, protégées par les troupes françaises, continuent à piller les ressources de pays comme le Mali, le Niger ou la République Centrafricaine, les appauvrissant chaque jour davantage.

Les attentats de Paris ou de Bamako ont un lien direct avec le déploiement de forces militaires au service des intérêts économiques français. Les mêmes stratégies de contre-insurrection, déjà utilisées au Mali, entre Centrafrique, au Tchad, en Libye ou ailleurs, pourraient transformer n’importe lequel de ces endroits en d’autres Syrie, justifiant de nouvelles mesures antiterroristes sur le sol de la puissance tutélaire.

Dans les centres de domination du monde, dans les centres impérialistes, comme celui dans lequel nous vivons, les États ne promettent plus la prospérité, la paix et une vie bienheureuse, une confortable et prétendue vie démocratique comme ils en avaient pris l’habitude après l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. Au contraire, l’opinion est désormais conditionnée, au nom du salut de la République, à accepter l’état d’exception, à se préparer à des conflits armés gigantesques pour la défense de la Nation et de la culture occidentale, à vivre dans un climat de tensions interconfessionnelles ou interethniques et à se résigner aux sacrifices en tous genres en attendant de payer l’impôt du sang.

L’enjeu de la guerre contre le terrorisme n’est pas la liberté, la démocratie, le progrès et les nombreuses idéologies en lettres majuscules qui jonchent comme autant de croix le chemin de la société bourgeoise, mais les rapports de force et les conditions de survie des grands systèmes économiques et politiques du capitalisme, parmi lesquels la France constitue un maillon essentiel.

C’est donc l’État français que nous devons dénoncer et combattre en priorité. Car c’est cet impérialisme que nous subissons frontalement. Car les guerres dévastatrices dans lesquelles il est impliqué soit directement par ses interventions militaires ou son soutien logistique (opération Chammal en Syrie et en Irak, opération Barkhane Sahel, opération Sangaris en Centrafrique, forces spéciales au Yémen et en Libye), soit indirectement par ses ventes d’armes (Arabie saoudite, Égypte) ont pour corollaire la politique dévastatrice qu’il mène à l’intérieur contre les classes pauvres, par l’aggravation des discriminations et de l’exclusion subie par une grande partie d’entre elles, par l’attaque directe contre les conditions de vie et de travail des prolétaires. Les vagues de licenciements se succèdent les unes après les autres, les cadences de travail ne cessent d’augmenter avec pour conséquence les accidents du travail, la précarité ne cesse de gagner du terrain, en un mot l’incertitude du lendemain se généralise, y compris parmi les couches sociales qui se croyaient « protégées ».

Cette agressivité tant intérieure qu’extérieure est la réponse de la bourgeoisie française à la concurrence de plus en plus agressive qui agite le marché mondial du fait de l’approfondissement de la crise du mode de production capitaliste. Dans les deux cas, il s’agit pour elle de contrecarrer la baisse du taux de profit, de permettre au capital d’apaiser son insatiable faim d’accumulation et de valorisation.

L’impérialisme qui divise les dépossédés de la terre en camps opposés, les unifie involontairement, par la logique de son développement, dans un destin commun. Si les guerres impérialistes portent à leur exaspération et à leur tension maximales les manifestations de violence, d’arrogance, d’oppression du mode de production bourgeois, elles portent également plus haut ses contradictions internes, conditions objectives de son inéluctable renversement.

Pour tout contact : antiguerre13 chez gmail.com

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