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Débat sur le burkini : une nouvelle offensive raciste

Christine Delphy

Article mis en ligne le vendredi 2 septembre 2016

Lire cet article sur le blog de Christine Delphy - nouvelles questions féministes.

Même si les médias étrangers semblent découvrir le fait depuis le débat sur le burkini, ce débat n’a rien de nouveau, mais s’inscrit dans une longue vague de mesures et controverses anti-musulmanes. Ces mesures n’ont pas été adoptées avant 2004, mais elles avaient été précédées par une propagande médiatique intense pendant au moins 30 ans, où l’on expliquait comment l’islam est incompatible avec la démocratie et donc un danger pour France – ce pays si démocratique.

Cette propagande contre l’islam s’est ensuite transformée en une attaque contre les personnes musulmanes elles-mêmes. En 2004, une loi a été votée contre le port d’un « foulard islamique » dans les lycées. On aurait pu penser que la portion raciste de la population avait été satisfaite. Mais c’était sans compter avec la réaction de cette catégorie de gens déjà victime de discrimination et maintenant ouvertement stigmatisée : on a vu plus de hijabs dans la rue, et quelques jeunes femmes ont commencé à porter le voile intégral, le « niqab ». Des politiciens, de droite ET de gauche, ont sauté sur cette occasion, mis en place un comité et obtenu l’adoption d’une nouvelle loi en 2010 cette fois contre le masquage du visage dans la rue. Exeunt les 200 femmes qui ne comprenaient pas que « sourire est la première chose que vous faites lorsque vous rencontrez un étranger » (comme l’a dit un homme politique français.) La nouvelle chasse aux sorcières contre les femmes portant un « burkini », et leur exclusion des plages publiques marque l’amplification d’un mouvement pour restreindre les libertés fondamentales des femmes musulmanes.

La rhétorique utilisée pour justifier cette exclusion devient de plus en plus violente. À l’avant-garde de cette bataille, rien de moins que notre premier ministre, Manuel « White » Valls. En 2012, il a déclaré : « Les Juifs peuvent porter leur kippa avec fierté. » Et en 2013 : « Le voile est pour moi un combat essentiel, et doit l’être pour la République. » (Car en quelques années, le foulard (le hijab) était devenu un « voile ».) Au cours des dernières années, il a répété au moins vingt fois la phrase « Le voile est un asservissement de « la femme » (sic) ». Aujourd’hui, il soutient la trentaine de maires qui ont émis des décrets contre le port du burkini sur « leurs » plages.

La Ligue des Droits de l’Homme – oui, c’est ainsi que les Français désignent les droits de la personne – a renvoyé un de ces décrets à la plus haute autorité judiciaire en matière de justice administrative, le « Conseil d’État ». Le 26 août, cette institution a déclaré que le maire – en l’occurrence, celui de Villeneuve-Loubet – avait outrepassé ses pouvoirs et omis de présenter des faits pour prouver que le burkini menaçait l’ordre public.

Mais la partie la plus intéressante de cette décision est la réponse du Conseil au décret du maire : la Haute Cour a déclaré que « la laïcité » n’existe pas dans l’espace public.

Toutefois, une analyste politique bien connue de l’une des principales chaînes de télévision a terminé son commentaire apparemment neutre par la phrase : « il reste la question du respect de la ‘laïcité’ dans les espaces publics », démontrant qu’elle n’avait pas lu ou pas compris l’arrêt.

Ni la loi, ni les conventions internationales, qui précisent toutes que les les religions peuvent s’exprimer en public et en privé.

Ce malentendu est largement partagé en France.

Pourquoi est-ce un malentendu ?

Le concept de « laïcité » repose sur la Loi de 1905, qui décrète la séparation de l’État et des autorités religieuses (le « clergé »). Les autorités religieuses ne peuvent plus, comme elles pouvaient auparavant, intervenir dans les affaires de l’État, et l’État ne doit plus, comme il le pouvait auparavant, intervenir dans les questions d’ordre religieux. L’État protège la liberté de conscience, et donc toutes les croyances, religieuses ou non, de manière égale, et n’en subventionne aucune.

L’interprétation qui a pu prêter à l’État le droit de réglementer l’expression d’opinions ou de croyances en public se fonde en partie sur de la mauvaise foi, mais aussi sur des événements subséquents en France, qui n’ont pas été des lois, mais des décrets administratifs. Ces décrets ont été adoptés dans les décennies 1920 et 1930. Ils ont exigé des fonctionnaires de l’État une « apparence neutre », soit de ne pas porter d’indication de leurs croyances ou de leurs opinions. Les Français ne savent pas que la France est le seul pays au monde à exiger de ses fonctionnaires une « neutralité » d’apparence.

Et l’État a de plus en plus agi et parlé comme si l’État et la République étaient une seule et même chose.

Une autre source de malentendu réside dans le fait que le même mot, « public », est utilisé pour nommer les services de l’État – soit les « services publics », tels les écoles, les hôpitaux, les administrations – et les endroits qui n’appartiennent à personne, et donc appartiennent à tout le monde, à commencer par la rue, et qui sont appelés « espace public ». Cette dernière appellation signifie espace du « public » ; mais on voit de plus en plus les hommes politiques, ainsi que les médias, jouer sur ce mot, pour récupérer cette aire comme espace de l’État. Il en est de même pour certains segments importants de la population générale qui revendiquent maintenant que le port du foulard soit interdit dans l’espace public.

Le tribunal administratif supérieur a peut-être ralenti pour un temps la chasse aux sorcières quand il a conclu que le décret du maire constituait une « une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d’aller et venir, la liberté de conscience et la liberté personnelle »

Mais pour combien de temps ? Et verra-t-on un jour les femmes musulmanes, qui ne peuvent pas travailler dans les services de l’État (santé, éducation, etc.), et sont de plus en plus exclues également du secteur privé, récupérer le droit de gagner leur vie ? Afin de parvenir à cette indépendance de leurs maris que les vieux hommes blancs qui gouvernent ce pays leur souhaitent si ardemment, tout en les privant des moyens de l’acquérir ?

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