Une tribune pour les luttes

« Patrie et progrès » - Quelques rappels sur le parcours politique de l’actuel Tuteur des musulmans de France.

Pierre Tevanian - LMSI

Article mis en ligne le dimanche 11 septembre 2016

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Ce n’est pas seulement une imposture, mais bien une offense, un crachat, que constitue la création, par l’actuel gouvernement socialiste, d’une Fondation destinée à « encadrer » l’Islam de France. Pas seulement une atteinte caractérisée au principe de laïcité, défini précisément comme séparation des autorités religieuses et politiques, mais aussi une réactivation de la logique coloniale de mise sous tutelle. Odieuse en soi, cette institution l’est un peu plus encore lorsqu’on apprend qu’elle est présidée par un non musulman – ce à quoi jamais ce gouvernement n’aurait osé penser, même une seconde, pour des Juifs ou des Chrétiens. Quant au choix de la personne, on pouvait, je pense, difficilement faire plus offensant. Un mâle évidemment, évidemment blanc, richissime évidemment, quasi-octogénaire évidemment, qui n’a jamais brillé, c’est le moins qu’on puisse dire, par son intérêt pour l’Islam ni même son respect pour les musulman-e-s. Les lignes qui suivent ne sont pas exhaustives, mais elles nous rappellent quelle sale espèce d’homme politique est aujourd’hui « en charge des affaires mahométanes ».

Les deux premiers actes posés par l’actuel Commandant des Fidèles ont suscité, à juste titre, des réactions de consternation, d’indignation et de dégoût : un appel à la « discrétion », dans la plus pure tradition coloniale, et une diatribe racialiste immonde sur la ville de Saint-Denis, prétendument occupée par « 135 nationalités » tandis qu’une seule – la française – aurait tout bonnement « disparu ». L’absence complète de rappel à l’ordre, du côté de son autorité de tutelle, à savoir la présidence de la république, nous confirme qu’il ne s’agit pas là d’un « impair », d’une « maladresse » ou d’un « dérapage », mais bien d’un choix politique absolument assumé. Pour quiconque connait le dénommé Jean-Pierre Chevènement, ce qui est le cas du président de la République qui le côtoie depuis quatre décennies, on ne pouvait tout simplement pas attendre, de sa part, d’autres propos.

Jean-Pierre Chevènement en effet est sans conteste l’un des plus acharnés sinon le plus acharné des entrepreneurs de morale raciste républicaine du demi-siècle passé. Il débuta dans un groupuscule d’énarques élitistes et pro-Algérie française – nommé « Patrie et Progrès » – et trois décennies plus tard, en 1989, il fut le premier, à gauche, à stigmatiser les collégiennes voilées et partir en croisade pour leur bannissement de l’école publique, à une époque – lointaine et oubliée – où la majorité des socialistes, et notamment Ségolène Royal, Lionel Jospin, Jack Lang, Julien Dray, soutenaient au contraire que l’école était pour tous et toutes, et qu’il était « exclu d’exclure ».

Notre national-républicain incarna ensuite, entre 1997 et 2002, la fameuse « réconciliation de la gauche avec la sécurité ». C’est lui qui popularisa le terme de « sauvageons » et organisa la mise en spectacle apocalyptique et ininterrompue de « l’insécurité » sur la scène politique pendant presque cinq ans de ministère de l’Intérieur (et de ce fait prépara le triomphe de Jean-Marie Le Pen le 21 avril 2002). C’est lui qui à l’automne 2001 fédéra pour sa campagne présidentielle des gens comme Paul Marie Couteaux et Florian Philipot (passés depuis chez Marine Le Pen), Max Gallo (passé chez Sarkozy) sans oublier Natacha Polony, un certain Michel Houellebecq et un certain Eric Zemmour. Tous ces gens ont alors soutenu publiquement sa candidature, tout comme un certain Alain Soral, qui a eu ces mots :

« Chevènement pour mon parcours personnel est une sorte de sas. Je n’aurais jamais pu me rapprocher du FN directement ».

On se contentera, pour finir, de quelques rappels.

Février 1997. Jean-Pierre Chevènement affirme dans Le Monde : « L’immigration est absorbable à petites doses ».

Octobre 1997. Congrès de Villepinte. Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement font de « la sécurité » une priorité. Le député RPR Patrick Devedjian se félicite d’une « grande victoire idéologique de la droite ».

Décembre 1997. A propos de la mort d’Abdelkader Bouziane, abattu par la police alors qu’il est en fuite, le ministre de l’Intérieur Chevènement cautionne la thèse infondée de la « légitime défense ».

4 mai 1998. Publication d’une lettre de Jean-Pierre Chevènement à Lionel Jospin, demandant de mettre fin à la « double compétence » du juge pour enfants. Le ministre de l’Intérieur écrit : « La double compétence contribue à brouiller l’image de ce magistrat, tantôt juge de la pathologie familiale, proche de l’assistant social, tantôt juge répressif. (...) Cette confusion des rôles est néfaste à l’égard des mineurs dépourvus de repères les plus élémentaires et auxquels il convient d’offrir des représentations plus structurantes ». Cette demande, qui suscite un tollé chez les juges et les éducateurs, est finalement rejetée par le Premier Ministre.

8 Juin 1998. Réunion du Conseil de Sécurité Intérieure et annonce d’une politique de « fermeté ». Dans Le Monde, l’escroc Alain Bauer, PDG d’une société privée de conseil en sécurité, AB Associates, 1 millions de francs de chiffre d’affaire pour un seul salarié (lui-même), salue le gouvernement, qui a « enfin reconnu honnêtement et courageusement l’existence de l’insécurité ». Le ministre de l’intérieur Chevènement lui commande un rapport sur l’insécurité et l’organisation de la police.

Septembre 1998. Une circulaire de Jean-Pierre Chevènement encourage les préfectures à refuser des titres de séjour aux parents et aux conjoints de français ou de résidents réguliers, autrement dit à séparer des familles, et donc à violer la Convention Européenne des Droits Humains, en prétextant que l’atteinte à la vie familiale n’est « pas excessive » par rapport au « but légitime » qu’est « la protection du bien-être économique du pays ».

15 février 1999. Interrogé sur les « bavures » policières mortelles, le ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement déclare qu’il y en a « très peu ».

Octobre 2001. À la suite du meurtre d’un policier par Jean-Claude Bonnal, dit « le Chinois », des manifestations de policiers sont organisées pour protester contre le prétendu « laxisme » de la justice et réclamer une révision de la loi Guigou sur la présomption d’innocence. La droite relaye cette revendication, et de très nombreux médias s’alignent sur le discours des principaux syndicats de policiers, selon lesquels « désormais », et « de plus en plus », « les policiers se font tirer comme des lapins ». Jean-Pierre Chevènement reprend également ce discours. À Serge July, qui lui objecte que les statistiques officielles de la police indiquent plutôt une baisse du nombre de policiers tués en service (10 cas en 2001, contre 32 en 1990, et une moyenne de 20 à 25 depuis trente ans), Jean-Pierre Chevènement répond par ces mots désarmants : « Moi, les chiffres, cela ne m’intéresse pas ! ».

Octobre-novembre 2001. Jean-Pierre Chevènement, qui est alors considéré par les sondeurs et les commentateurs comme le « troisième homme » de la future élection présidentielle, multiplie les discours sur « l’insécurité », la « perte des repères » et le nécessaire « rétablissement de l’autorité de l’État ». Il s’en prend aussi aux « bandes ethniques » qui sèment le désordre et la violence dans « nos quartiers ». Dans une tribune publiée en octobre dans Paris-Match, il réagit aux commémorations du crime d’octobre 1961 en déplorant qu’on salisse toujours la France et qu’on ne parle jamais de « l’actif de la colonisation » – et notamment de « l’école républicaine, qui a donné aux peuples colonisés les cadres intellectuels de leur émancipation ». Près d’un an plus tard, dans l’émission Ripostes, sur France 5, il persistera :

« La colonisation est aussi le moment où le continent africain a été entraîné dans la dynamique de l’Histoire universelle ».

Patrie et progrès : la boucle est bouclée.

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