Une tribune pour les luttes

Adresse aux manifestants sauvages de la police

Article mis en ligne le dimanche 23 octobre 2016

Texte de Serge Quadruppani tiré de Lundimatin #77 https://lundi.am/

Flics en colère, policiers à bout, gardiens de la paix en guerre, monsieur l’agent, bonjour !

Même si l’observation de votre comportement quotidien inciterait fortement à penser le contraire, on peut supposer que beaucoup d’entre vous sont capables de réfléchir. Ceux-là ont dû se rendre compte que votre mouvement reproduit par bien des aspects les formes qu’a pris celui de mars dernier, ce mois qui dura quatre mois et durant lequel le refus d’une énième loi néo-libérale ouvrit la porte à des remises en cause bien plus vastes. Cortèges aux premiers rangs masqués, nuits debout dans toute la France, prise à partie des responsables politiques, rejet des directions syndicales, auto-organisation, cortèges nocturnes sauvages, toutes ces similitudes avec les événements du printemps vous auront certainement frappés. Ce mimétisme est si grand qu’il ne saurait être un phénomène superficiel.

Vous éprouvez comme nous une grande rage devant la vie qui vous est faite et un grand mépris pour ceux qui prétendent la gouverner. Ceux qui vous ont placé au premier rang de la défense d’un ordre dont ils sont les unique bénéficiaires se fichent éperdument de vos états d’âme, tant que vous tapez où ils vous disent de taper : sur les manifestants contre la loi travail mais pas sur les bonnets rouges, sur les zadistes et pas sur la FNSEA.

Vous êtes mieux placés que quiconque pour savoir que les classes sociales existent : de ceux d’en haut, vous êtes les « plantes vertes », c’est à dire des plantons protégeant les évadés fiscaux, les empoisonneurs de l’air, de l’eau et de la terre, les brigands de la banque et des bureaucraties internationales, tandis que de ceux d’en bas, vous êtes les persécuteurs routiniers, contrôleurs au faciès, petits profiteurs en quête de dommages et intérêts pour outrage et rébellion, vous provoquez les lascars en bandes semblables aux leurs – mais vous êtes mieux armés, vous les tuez quand ils vous fuient dans les cités et quant aux mécontents qui manifestent dans les rues, vous ne rechignez ni à les gazer, ni à les tabasser jusqu’au coma, ni à leur crever les yeux.

Quant à cette « racaille » que vous prétendez domestiquer, vous savez d’expérience que la « guerre à l’économie de la drogue » dont les gouvernants vous veulent les soldats ne saurait être gagnée, parce que cette économie-là n’est que la prolongation de l’économie officielle et qu’aussi longtemps qu’on gagnera plus en un jour à vendre de la beu qu’en un an dans un de ces boulots de merde qu’il faut se prosterner pour avoir, toutes les rodomontades des politiciens ne serviront qu’à masquer cette évidence que vous vivez sur le terrain : c’est la prohibition qui fait prospérer les mafias. Vous savez que la mise au pas des banlieues par les mafias et les intégristes arrange tous les pouvoirs, malgré les morts sur les trottoirs parisiens et niçois, parce que mafieux et barbus, en plus de contrôler le territoire, fournissent un commode ennemi censé regrouper le troupeau citoyen autour de l’Etat. Vous savez très bien que sur le front de la drogue, aussi longtemps que les fantassins de l’armée adverse seront mieux payés que vous, elle recrutera davantage : ce n’est pas par hasard si certains d’entre vous n’hésitent pas à jouer dans les deux équipes à la fois.

Vous savez enfin que les chefs qui ont envoyé quelques uns de vos collègues au casse-pipe à Viry-Châtillon ne s’intéressent à votre sort que quand vous haussez le ton et ne respectez plus les règles. Vous le savez si bien que c’est précisément le rappel au règlement qu’a voulu vous imposer votre directeur qui a fait monter la vague de votre fureur.

Qu’allez-vous faire de ces savoirs ? Qu’allez-vous faire de votre colère ? Pour commencer, en reconnaissant les similitudes de forme entre ce que vous faites et ce que nous avons fait au printemps, vous devrez bien admettre que vous avez appris à notre contact. Ce fut souvent rude, mais en voyant votre mouvement aujourd’hui, nous sommes plus que jamais convaincus que nous eûmes raison de crier « tout le monde déteste la police », et de vous l’avoir fait sentir par divers moyens, plus ou moins contondants. Vous êtes au cœur de la contradiction majeure de la société capitaliste : elle ne peut fonctionner que dans un relatif consensus mais ne cesse de créer des raisons de le rompre. Alors, qu’il y ait un malaise dans la police, c’est une bonne nouvelle et nous autres, participants au cortège de tête, nous nous flattons de n’y avoir pas peu contribué.

En tant que gardiens de l’ordre, vous en êtes aussi le maillon faible, car vous auriez toutes les raisons de savoir que cet ordre est injuste.

Mais vos raisons, comme celles de tant de vos concitoyens, sont rarement raisonnables. Selon les sondages, vous êtes majoritairement lepénistes, et ce ne sont pas les occasions que nous avons eues de vous entendre vous exprimer dans un langage articulé qui nous en feraient douter. Plus d’armes et de matériel, plus d’années de prison contre les délinquants, plus de liberté de défourailler, les solutions qu’on vous entend proposer cadrent parfaitement avec le programme du FN. Mais il y a un détail qui semble vous échapper : c’est que celui-ci n’est que la version à peine extrémisée de celui mis en pratique par tous les gouvernements depuis plusieurs décennies, pour faire face à la crise d’une vie sociale, une vie économisée, une vie capitalisée toujours moins gouvernable. Si ce programme avait eu le moindre effet pour obtenir cette paix que vous êtes censés garder, ça se saurait.

En attendant que la crise s’aggrave au point que certains d’entre vous passent – si possible avec armes et bagages – du côté de la remise en cause du pouvoir de l’Etat et de l’argent, vous devriez -c’est un conseil entre cortèges de tête – tirer un autre enseignement du mouvement de mars. Ce qui lui a donné toute sa visibilité, ce qui lui a évité le destin de toutes les manifs traîne-savates, ce sont les vitrines brisées, les slogans bombés, les projectiles non-létaux lancés vers vous, avec l’approbation, sinon la participation, de dizaines de milliers de personnes, syndicalistes compris. Alors, si vous voulez vraiment vous faire entendre, continuez à refuser de vous laisser représenter par les syndicats, et lundi, exigez qu’à leur place, ce soient vos cortèges qu’on laisse entrer à l’Elysée.
Et si vous y parvenez, un dernier effort : laissez enfin s’exprimer votre devenir-casseurs.

Serge Quadruppani en attendant que la fureur prolétarienne balaie le vieux monde, publie des textes d’humeur, de voyages et de combat, autour de ses activités d’auteur et traducteur sur https://quadruppani.blogspot.fr/

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